L'assassin
royal est l'histoire de gens à part qui changent les choses :
Fitz est un enfant illégitime, le Fou est un étranger inquiétant,
Kettricken est une grande blonde qui détonne. Mais, tous autant
qu'ils sont, ils finissent par être acceptés par leurs pairs et
leurs différences leur permettent de grandir. Ce n'est pas le cas de
Lourd, un serviteur différent physiquement et mentalement. Il est
plutôt petit et réfléchit différemment des autres. Cela se
remarque. Ce que très peu savent est que Lourd est extrêmement
puissant dans l'Art, sans doute la personne la plus forte à ce
moment des événements. Il n'est donc pas étonnant qu'il attire le
regard d'Umbre ; le maître assassin est toujours à la
recherche de talents particuliers. Umbre dit donc que Lourd n'a pas
« le cerveau le plus brillant du château, mais il convient
admirablement à mes desseins ». Umbre ne s'intéresse donc pas
à la personnalité de Lourd mais à ce qu'il peut lui apporter.
Quand
Fitz finit par rencontrer Lourd, il a un mouvement de recul, il a
instinctivement un acte de défiance (« je ne sais pourquoi,
ses différences le rendaient un peu effrayant : un frisson de
répulsion me parcourut : il ne présentait pas de danger, j'en
étais sûr, mais, je n'avais aucune envie qu'il m'approche »).
Clairement, la différence de Lourd rebute Fitz. Dans un premier
temps, il s'arrête aux apparences sans chercher à creuser. Puis,
lorsqu'il passe de plus en plus de temps avec lui, Fitz développe
ses arguments. Ce qui dérange Fitz est de ne pas pouvoir partager
réellement avec Lourd. Quand ils discutent, il ne sait pas si le
petit homme comprend ce qu'il dit : « la manière qu'avait
son esprit d'emprunter d'autres directions que le mien, d'attacher de
l'importance à des détails que je négligeais tout en
désintéressant de pans entiers de ce que j'appelais la réalité ».
Alors
qu'il a été séparé de sa mère, Lourd a de la chance d'être
vivant. Dans d'autres contrées, il aurait connu la mort. Fitz nous
apprend que « dans le royaume des Montagnes, un enfant comme
Lourd aurait été abandonné dans la nature dès sa naissance ». Le
constat est le même dans les îles d'Outre-Mer (« à
l'évidence, les Outrîliens partageaient l'avis des Montagnards sur
les enfants déficients. Si Lourd était né à Zylig, il n'aurait
pas vécu un jour »).
Pour
autant, il n'est pas nécessaire d'aller chercher dans d'autres pays
le mépris ou le dédain. Ce sont des choses bien répandues dans les
Six-Duchés. Devoir nous en donne une belle preuve en s'exclamant :
« vous plaisantez, j'espère (…) cette créature doit faire
partie de mon clan ». Il n'est pas seulement choqué de devoir
lier des liens avec Lourd, il emploie également un terme qui retire
à Lourd son statut d'humain. Mais, le talent de Lourd avec l'Art le
rend indispensable au trône Loinvoyant et Devoir se rapproche de
lui. Ce rapprochement est mal vu à la cour : Lourd n'est qu'un
serviteur débile. Aux propos méchants sur ce qu'il est se développe
en plus une jalousie qui l'ostracise encore plus. En espionnant, Fitz
se rend compte que « nombre de nobles acceptaient avec
difficulté l'amitié du prince pour le simple d'esprit, et pour des
raisons que je ne comprenais pas, certains serviteurs s'offusquaient
encore davantage ». Toutes les classes sociales se moquent donc
de Lourd, de sa différence. On en a une autre preuve sur le bateau
qui se rend chez les Outrîliens lors de la quête de Devoir. Lourd
est malade en bateau et cela réjouit les soldats (« Lourd
était différent, simple d'esprit empêtré dans un corps maladroit,
et ils se réjouissaient de sa détresse qu'ils prenaient pour une
preuve de son infériorité »).
Tout
cela participe également à la façon dont voit Fitz lourd. Il est
partagé entre pitié et admiration.
La
pitié est due au destin qui attend Lourd, il n'a aucun espoir d'être
normal selon les critères de l'époque. Il est condamné à rester
le même homme fragile, à part et moqué. Cela attriste donc Fitz
lorsqu'il le comprend (« il était simple d'esprit, gros,
maladroit, contrefait, sans raffinement (…) aussi peu à sa place
dans la château où régnaient luxe et plaisir (…) Lourd resterait
toujours vulnérable »).
Cependant,
grâce à l'Art, Fitz sait que Lourd est bien plus que ça, il sait
qu'il a un talent unique et qu'il participe grandement à la
stabilité du royaume. Il est même étonné que ce soit le cas :
Lourd est un puissant artiseur qui n'a pas l'air de s'en apercevoir :
« je me demandai comment un esprit aussi simple pouvait
concevoir une musique aussi complexe et subtile – et une intuition
m'illumina soudain : cette broderie musicale constituait le
cadre de ses pensées et de son univers ».
Puisqu'il
est retardé ou simple d'esprit, beaucoup pensent qu'il n'est pas
capable de ressentir des choses et se permettent donc d'avoir une
attitude déplorable ou des mots durs en sa présence. C'est le cas
de Civil, sur les îles d'Outre-Mer, qui se sent contraint de
s'occuper de Lourd et le fait crûment remarquer (« moi, je
reste avec l'idiot »). Quand Fitz lui dit de ne pas parler
comme ça, Civil est surpris et perplexe, on dirait presque qu'il
croit que Lourd est comme un forgisé, vide (« il se tourna
vers le petit homme endormi, comme étonné d'apprendre qu'il
éprouvait des sentiments »).
Or,
Lourd ressent les insultes et il est capable de dire que ça lui du
mal. Il se plaint à Fitz que « tu dis mots gentils mais je
sais que tu penses sur moi ; c'est comme des poignards, des
cailloux et des gourdins ».
Alors
que la quête de Devoir se conclut sur une terrible bataille avec des
dragons et les forces de la Femme Pâle, le regard sur Lourd change.
Il use de ses dons avec l'Art pour guérir des blessés. Il devient
alors une personne importante, une personne appréciée ; on lit
qu'il « devint l'incarnation des Mains d'Eda. J'entendis l'Ours
implorer le pardon du prince Devoir pour l'irrespect dont ils avaient
fait preuve ».
Bien
entendu, tout ne devient pas rose du jour au lendemain. La vie de
Lourd et son acceptation progressent doucement (« les occupants
de la salle de garde avaient appris à tolérer la présence du
compagnon du prince »). Certains continuent de lui faire du
mal, de façon assez méchante, et pas même l'amitié que lui montre
Devoir ne suffit à leur faire dépasser les préjugés. Devoir
témoigne, par exemple, que « les domestiques s'en prennent à
Lourd, ils le piquent avec leurs aiguilles par accident si je ne suis
pas là pour le défendre ».
Dans
la trilogie du Fou et de l'assassin, Lourd est bien moins présent ou
important. Sa puissance dans l'Art n'a pas diminué mais il est très
fatigué, son corps le freine. Or, Lourd peut très bien changer cela
comme signale Ortie : « j'ai répondu qu'il était
beaucoup plus fort que moi dans ce domaine et plus que capable
d'employer son talent sur lui-même s'il le souhaitait. Il ne le fait
pas, et je respecte son choix ». Ortie éprouve donc de la
considération, elle comprend qu'à sa façon Lourd fait preuve de
sagesse.
Malheureusement,
dans d'autres aspects de sa vie, Lourd fait preuve d'une énorme
naïveté. Alors qu'il est sur le chemin vers Castelcerf avec des
soldats, il ne saisit par leur humour et leur méchanceté. Il est à
la merci de leur cruauté et là où d'autres auraient vu le piège,
ce n'est pas son cas. Il est donc victime d'une déplorable
plaisanterie (« ils ont envoyé des filles m'embêter ;
elles ont dit que je n'étais pas capable de leur toucher les seins,
et elles m'ont giflé quand je l'ai fait »). Les moqueries
n'ont pas cessé : Lourd continue d'être moqué et humilié
publiquement à cause de sa différence. Cette anecdote illustre bien
ce qu' a été sa vie ; il a été un homme à part, jamais
reconnu ou accepté par la population pour ses apports ou pour ce
qu'il est ; il a été une cible facile que certains ne se sont
pas gênés d'attaquer ou de rabaisser.