Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses. Keffria, tu remontes dans notre estime. Il était une fois Clerres.

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lundi 20 janvier 2025

Fitz se voit-il en héros ?

Fitz est-il un héros ? Pour le lecteur, la réponse est positive. Peu importe la série de livres choisis, il est celui qui fait changer les choses, qui met à bas les antagonistes et accomplit, parfois en partie, les prophéties. Et même si Hobb ne traite pas les prophéties comme des choses comme devant absolument se réaliser, elle fait de Fitz le catalyseur, celui que le Prophète de son époque (le Fou) choisit pour mener à bien à ses ambitions.

Fitz, lui, ne se voit pas nécessairement comme un héros. Il faut dire que, dès son enfance, on lui a appris à rester dans l’ombre, à ne pas chercher la gloire, à obéir aux ordres des autres. On martèle à Fitz qu’il n’est qu’un outil.


La bataille de l’île de l’Andouiller oppose les Pirates rouges aux forces des Six-Duchés. Alors qu’il navigue sur le Rurisk, un navire de guerre, Fitz et d’autres font enfin face aux agresseurs venus des Îles d’Outre-mer. Le combat en lui-même n’a rien de glorieux, rien d’ordonné. Pour Fitz, c’est enfin la chance de savourer la vengeance, de faire couler le sang de ceux qui oppriment son peuple. D’ailleurs, Fitz en a conscience ; il sait que le combat est simplement une opportunité d’apaiser un peu de colère : « il n’y avait nulle stratégie, nulle formation, nul plan de bataille, seulement un groupe d’hommes et de femmes à qui s’offrait soudain l’occasion de se venger. C’était plus qu’il n’en fallait ».

La façon dont Fitz perçoit la chose est différente de la façon dont cela est perçu pour le peuple. Avoir défait un équipage de Pirates rouges réveille la fierté populaire. Cela laisse croire que la guerre n’est pas perdue d’avance. C’est une victoire inattendue qui fait beaucoup de bien. Bien entendu, la victoire est célébrée et mise en chanson. Fitz devient un personnage inscrit dans la légende (« j’ai entendu des histoires, et même une chanson, sur ce que j’ai fait ce jour-là. Je ne me rappelle pas avoir poussé de rugissement l’écume à la bouche pendant que je me battais »). Si cette dernière image est sans doute un peu exagérée, on peut voir là le côté terre à terre de Fitz qui l’empêche, à ce moment du récit, d’assumer son statut de héros.

Pourtant, Fitz aurait dû comprendre le besoin d’avoir des héros pour le peuple. C’est une période trouble pour les Six-Duchés et les dirigeants sont incapables de fixer un cap. Kettricken a beau faire ce qu’elle peut, elle n’est qu’une étrangère ; Subtil est vieux et fatigué alors que Vérité se perd dans l’Art. Le peuple a besoin de héros et de belles histoires qui rassemblent, de succès à fêter. C’est ce qu’ils font suite à la bataille : « plus vite que je ne l’aurais cru possible, la nouvelle du combat et de la capture du vaisseau pirate fit le tour de Bourg-de-Castelcerf, il n’y eut bientôt plus une taverne où l’on ne se battit pour nous servir de la bière et entendre nos exploits ».


On a une preuve que Fitz n’assume pas son statut quand il écrit une lettre à sa promise, Célérité. Alors que Subtil lui demande d’écrire de façon positive à la fille du duc de Brondy, le bâtard en est incapable. Il parle froidement de ce qu’il a vécu, il se dévalorise presque. Si certains mettraient en avant leurs prouesses, Fitz ne le peut pas. D’après Célérité et le duc de Brondy, « l’homme qui doit vanter ses mérites sait que personne d’autre ne le fera à sa place ». Toutefois, on peut se dire que Fitz est modeste, qu’il est un héros qui ne s’assume pas. On peut même penser que c’est sa retenue qui le rend héroïque.


C’est Astérie, une ménestrelle à la langue acérée, qui permettra à Fitz de commencer à assumer son statut. 

Astérie fait de la bataille un histoire personnelle. Elle en parle avec passion et remerciement. Sans l’intervention de Fitz, son frère serait mort (« mon frère me l’a racontée et je vous décris tel qu’il vous a vu : comme un héros, vous lui avez sauvé la vie »). On peut trouver la coïncidence forcée et un peu grosse, mais elle a le mérite de pousser Fitz à réfléchir et à quitter son dénigrement perpétuel. Les mots touchent très vite le jeune homme, ont un impact immédiat et marqué : « Héros… Des mots, rien que des mots. Mais j’avais l’impression qu’elle avait percé un abcès, qu’elle m’avait débarrassé du poison qu’il contenait et qu’à présent je pouvais guérir ». Entendre des mots valorisants fait donc du bien à Fitz.


Dans le tome le Poison de la vengeance, Fitz traverse incognito les Six-Duchés afin de rejoindre Vérité dans les Montagnes. Il entend des gens parler de lui. Ils discutent de la nuit où il aurait tué Subtil, de ses motivations, du fait qu’il soit aimé ou non. La bataille de l’île de l’Andouiller est évoquée et on comprend que Fitz a toujours autant de mal à être mis en avant. Il n’arrive pas à assimiler qu’on puisse penser du bien de lui (« j’éprouvais un étrange sentiment d’humiliation à entendre mes actes d’alors décrits comme plein de noblesse et désormais quasi légendaires : bien des combattants rêvent de voir leurs hauts faits chantés dans des ballades, mais, pour ma part, je trouvais l’expérience déplaisante »). Là encore, on peut penser que le conditionnement éducatif de Fitz l’empêche de savourer ce qu’il fait de bien. Il n’est convaincu d’avoir fait que son devoir. Surtout, il n’est qu’un bâtard, pas un prince ou un roi, et il ne mérite aucune lumière.

Fitz n’est plus aimé en Cerf (« c’est une chanson cervienne, vous savez, et on aimait bien le Bâtard en Cerf, à une époque) à cause de son régicide, il reste méprisé en Bauge qui lui a toujours préféré Royal (« les ballades sur le bâtard de Chevalerie ne doivent pas être assez populaires par ici pour me rapporter un sou »). Les réalisations de Fitz ont toujours été mal vues par Royal, le plus jeune fils de Subtil a toujours pris plaisir à réduire Fitz à un personnage quelconque.


Au final, c’est Umbre qui résume parfaitement ce que Fitz peut être pour certains. Il le dit à une époque où Fitz n’est plus Fitz, un enfant de la lignée royale mais Tom Blaireau, un simple domestique au service d’un noble. Umbre lui explique pourquoi Astérie tient tant à raconter son histoire : « renié, rejeté par ton père, tu es pourtant resté fidèle, tu es devenu le héros de la bataille de l’île de l’Andouiller ». Là est tout l’aspect héroïque de Fitz : il n’est pas celui qui cherche la lumière, il est juste un jeune homme qui fait ce qu’il doit faire sans rechercher de récompenses. Un vrai héros.

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