Le temps est un élément important dans la saga de l’assassin royal. Ce n’est pas uniquement la question du temps qui passe ou de l’âge, c’est aussi la possibilité de se libérer du temps et de son implacable effet. Quelques personnages tentent de défier le temps : Umbre se drogue pour lutter contre la vieillesse, le Fou veut briser la chaîne d’événements créée par les Quatre de Clerres.
Fitz est aussi concerné comme on le voit dans le prologue de l’assassin du roi. Alors qu’il vient d’être empoisonné par Royal, Fitz perd le contrôle de son corps et se convainc qu’il n’est plus bon à rien. Il se voit diminué et affaibli, il se définit comme un vieil homme usé et inutile. Pour lui, c’est une infamie d’être privé de la vigueur de sa jeunesse (« ça ne me dérangerait pas d’avoir un corps de vieillard si je l’avais acquis au cours des ans ; mais je ne peux pas continuer ainsi »). Fitz pense être devenu une chose dispensable, un poids mort. Son état physique fait qu’il ne sert plus à rien, plus à personne. Il se compare à une personne âgée incapable de contrôler les tremblements de son corps ou de retrouver sa vigueur physique. Les plaintes de Fitz ne se font pas dans le vide. Jonqui, une femme des Montagnes, est une de ses interlocutrices. Elle ne comprend pas pourquoi Fitz se plaint tant, elle ne comprend pas pourquoi il est si pressé d’aller tout de suite bien. Elle lui explique que « guérir peut être long et fastidieux parfois ». Autrement dit, Fitz doit se laisser le temps d’aller mieux. Le bâtard ne comprend pas ça. Il est même en attente d’une solution miracle, d’un acte qui le remettrait immédiatement sur le bon chemin.
Plus tard, Fitz est mort. Il est donc hors du temps. Torturé par Royal, il choisit d’arrêter de vivre plutôt que d’être torturé puis pendu. Il se réfugie dans le corps du loup. Ce n’est pas seulement une nouvelle vie qui s’offre à lui mais aussi une autre façon de concevoir les choses. On savait déjà qu’Oeil-de-Nuit ne voyait pas le temps comme ces humains qui découpent tout en heures et minutes. Le loup, lui, vit dans le présent (il a faim alors il chasse). Le loup est le propre maître de son temps et de sa vie : « il est un lieu où tout temps est maintenant ; où les choix sont simples et ne sont jamais ceux d’un autre ». Le loup ne se sent pas concerné par ces humains qui veulent tout contrôler, qui veulent se projeter dans le futur. Lui n’a qu’une vie, il la vit, et le reste lui importe peu.
Cela marquera Fitz. Quand il finit par revenir à la vie, Fitz réalise qu’il a perdu beaucoup. Bien entendu, il ne peut plus espérer être FitzChevalerie Loinvoyant. Mais, il a perdu bien plus : des souvenirs et des moments partagés, des liens futurs, des amitiés à entretenir. On sent le regret dans ses pensées. La peine est présente quand on lit que « disparus, les rythmes des vies qui se mêlaient à la mienne ; des amis moururent, d’autres se marièrent, des enfants naquirent, ils devinrent des hommes, et de tout cela je ne vis rien ». Il se sent presque comme étranger de son époque.
Ecrire est important pour Fitz. Les mots lui servent d’exutoire à ses peines et ses douleurs même si il écrit dans un but bien différent : écrire une histoire des Six-Duchés. Sa plume dévie donc et trace sa vie, ses souvenirs, son passé. Alors qu’il est devenu Tom Blaireau, Fitz décide de rentrer chez lui pour effacer son ancienne vie ; il ne veut pas qu’on tombe sur des anciens parchemins qui mentionnent des secrets.
C’est un moment où Fitz prend conscience des choses. Certains pourraient croire qu’il s’apitoie encore quand il dit que « j’ai compris que le passé avait échappé à mes efforts pour le défier et le comprendre, et qu’il en serait toujours ainsi ». Cela laisse croire ou entendre que Fitz baisse les bras, qu’il ne sert à rien de regarder hier pour comprendre demain. La chose est toute autre car les paroles suivantes le montrent enclin à prendre les choses en main (« l’histoire n’est pas plus figée ni morte que l’avenir. Le passé est tout près ; il commence à la dernière respiration qu’on a prise »). Cela sous-entend un Fitz prêt à agir, prêt à contrarier le destin comme le dirait le Fou.
Mais, Fitz reste un homme et comme tous les hommes, il est plein de contradictions. On peut penser que sa résolution faiblit quand on lit ces lignes dans le tome suivant : « je continue à me promettre : « La prochaine fois, je ferai mieux », dans ma certitude orgueilleuse et typiquement humaine qu’il me sera offert une prochaine fois ». Cela peut aussi supposer que l’avenir ne garantit rien, que rien ne peut laisser un espoir d’amélioration. Rien ne dit que la prochaine fois existera. Et, dans cette optique, l’idée de vivre dans le présent du Loup Oeil-de-Nuit semble la bienvenue.
Mais, plus les années passent et plus Fitz prend du recul. L’âge le fait murir et considérer les choses avec un autre regard. Il revisite son passé, le passé des gens qu’il a connus et comprend différemment certaines décisions. Il réalise que « le temps est un professeur cruel qui donne des leçons que nous apprenons bien trop tard pour en avoir l’utilité ». Au final, ce sont des « leçons apprises trop tard, des situations comprises avec des dizaines d’années de retard. Et tant de choses perdues à cause de cela ». Quelle tristesse.
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