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Kennit, maître de son destin ?

Kennit est un des personnages majeurs des Aventuriers de la Mer. Comme un bon nombre d’autres, on le voit se transformer au fur et à mesure ...

samedi 30 mars 2024

Ronica Vestrit, une simple figure d'opposition ?

La famille Vestrit est en train de chuter. Les revenus se font plus rares, le commerce grâce à la vivenef se fait de plus en plus périlleux. A la mort du patriarche, Ephron Vestrit, les filles, Keffria et Althéa se déchirent et se séparent. Ronica assiste impuissante à tout cela. Elle qui a passé une bonne part de sa vie à tenter de contrôler les choses ne peut rien. Quand on lit les Aventuriers de la Mer, on peut penser que Ronica est une figure d’autorité ; les choses sont plus complexes : Ronica subit les choses et supporte la pression comme elle peut.


Les premiers tomes de la saga nous montrent donc une famille, les Vestrit, qui perd tout. Leur richesse s’envole, Kyle Havre prend le contrôle du navire familial, la Vivacia. On pourrait trouver des causes dans la situation politique de Terrilville, la réalité est que Ephron et Ronica ont pris une mauvaise décision. Ils ont confié le commandement de la Vivacia à Keffria, et donc à son époux Kyle Havre, plutôt qu’à Althéa. Pourtant, Althéa adorait le bateau, elle avait les compétences pour naviguer et le commander. Le choix a donc été différent et Ronica a perdu le respect de sa fille. Ronica tente de se justifier en disant que « j’ai persuadé ton père de signer le document. Je l’ai persuadé, Althéa, je ne l’ai pas trompé (…) Keffria était l’aînée qui doit pouvoir aux besoins de ses enfants, j’ai suivi la tradition et j’ai fait d’elle l’unique héritière ». Elle se réfugie donc derrière des prétextes fallacieux mais qui résument bien ce qu’est Terrilville à cette époque : une ville ouverte sur le commerce mais repliée sur elle-même, qui se ment à elle-même (on le voit, par exemple) avec sa position sur l’esclavage, interdit en apparence et grandement pratiqué). 

Ronica prend donc une mauvaise décision. Pour quelqu’un habituée à gérer les affaires familiales, habituée à prendre des décisions d’affaires, c’est un bien mauvais choix. Comment expliquer cela ? Il faut avoir conscience que Ronica est soumise à une forte pression. Son mari meurt, Terrilville est sous la menace du Gouverneur, de Chalcède et des Nouveaux Marchands… Et les Vestrit sont soumis à des accords du passé qui l’effraient avec les gens du désert des Pluies. L’obtention d’une vivenef et des cartes de navigation n’a pas été gratuite ; il faut la rembourser, en argent ou en donnant un enfant. Caoloun, une envoyée du désert des Pluies, le lui rappelle : « et si le montant n’y est pas, nous nous tiendrons au serment original qui nous lie : en or ou en sang, la dette doit être payée. Vous remettrez une de vos filles ou un de vos petits-enfants à ma famille ». Dès lors, l’unité de la famille Vestrit repose sur une personne que Ronica méprise, un étranger : le chalcèdien Kyle Havre. En décidant de donner la Vivacia à Keffria, Ronica a remis son destin entre les mains d’un homme qu’elle n’estime pas.


Althéa prend la fuite. Keffria, elle, reste à la maison et doit vivre avec sa mère, Ronica et Kyle (avant son départ à bord de la Vivacia). Les deux se disputent sa loyauté et ne laissent aucune place à Keffria pour s’exprimer. De toute façon, Keffria ne sait pas quoi faire, elle n’a pas assez de volonté pour s’imposer (« les yeux de Keffria quittèrent le visage de sa mère pour le regard granit de son époux. Elle avait le souffle court comme un animal acculé »). Keffria ne peut pas s’opposer à sa mère, elle en est physiquement et mentalement incapable. C’est en tout cas ce que pense Kyle. L’homme dresse un portrait bien peu flatteur de sa femme et de son lien avec sa mère : « je n’ai pas oublié ce que tu étais avant notre mariage, ni le fait que ta mère te retenait dans ses jupes ». Pour Keffria, entendre ça dans la bouche de son époux est comme un coup de poing dans le ventre : elle est saisie, sans voix. Mais, c’est aussi le début d’une prise de conscience. Keffria réalise qu’elle était comme une prisonnière dans sa propre famille, incapable de tracer son propre chemin.

Keffria réfléchit à son passé, elle réalise son auto-critique. C’est un signe de maturité, la preuve qu’elle commence à se construire sa personnalité. Keffria éprouve une forme de rancoeur envers sa mère. Elle lui reproche d’avoir toujours préféré, volontairement ou non, Althéa (« quand elle était petite, elle était la préférée de papa à cause de son entêtement et de son indiscipline ; aujourd’hui, il est mort, elle est partie et, par sa nouvelle absence, elle t’a détournée de moi »). Keffria en veut donc à ses parents, mais aussi à Althéa. Si elle avait poussé la réflexion un peu plus loin, elle en aurait peut-être conclu que son salut était de quitter le domicile familial comme sa soeur. Mais, cela n’a pas été le cas et elle est restée chez elle, tenant de gagner sa place auprès d’une mère étouffante (« te rends-tu compte à quel point j’ai toujours eu l’impression d’être stupide et bonne à rien ? »). Ronica décide de tout.


Contrairement à Keffria, Malta ne se laisse pas faire. La jeune femme Vestrit n’est pas timide quand il s’agit d’exprimer ses sentiments et son désaccord. Elle a vite cerné Ronica, une femme qui rêve d’un statu quo et qui est forcée de changer. La détresse de Malta éclate alors qu’elle désire se rendre à un ban pour montrer à tous qu’elle est enfin une femme : Ronica et Keffria la voient encore comme une gosse, se moquent de sa tenue. Pour Malta, c’en est trop : « tout plutôt que d’être obligée de m’habiller et de me conduire comme une petite fille alors que je suis une femme presque faite, obligée de toujours me taire, me montrer polie, rester…. Rester invisible ! Je ne veux pas de cet avenir, je ne veux pas devenir comme toi et maman ! ». Cette diatribe est adressée à Ronica puisque Malta a compris que c’est elle qui a le pouvoir. Malta ne veut pas être contrôlée ou vivre dans une prison dorée. Elle veut vivre. Même si elle ne le dit pas, on peut penser qu’elle comprend la volonté d’Althéa de quitter la maison de famille. Y rester, c’est être condamnée à un triste destin : « tu veux que je devienne une rombière mal fagotée comme maman et toi ! Tu veux que je sois vieille sans même avoir eu le temps d’être jeune ! ».

Un autre point de discorde est le cas Kyle. Malta adore son père, elle le vénère. Elle ne tolère pas qu’on dise du mal que lui, elle ne tolère pas le mépris de Ronica. Malta est convaincue que Ronica voit en Kyle seulement, un géniteur, un reproducteur (« pour te donner des petits-enfants et satisfaire maman, il est parfait, mais tu ne veux rien de lui à part ça, parce qu’alors il risquerait de mettre en péril tes propres projets : harder tout le pouvoir pour toute seul, quitte à ruiner la famille ! »). La critique est dure mais reflète ce que pensent d’autres personnages : Ronica veut les contrôler. Elle se servirait d’eux tant que cela sert ses desseins et ferait tout pout étouffer leurs volontés d’émancipation.


Cela a bien fonctionné avec Keffria, biens moins avec Althéa et Malta. Cela ne fonctionne pas du tout avec Kyle Havre. L’homme étant chalcèdien, il est fortement influencé par sa culture qui veut que l’avis d’une femme compte bien peu. Tant qu’Ephron était vivant, Kyle donnait le change et faisait semblant de considérer Ronica. Mais, le vieil homme est mort et il n’a plus besoin de faire semblant : « vous vous en êtes bien tirée, pour une femme, tout ces années : mais les temps changent et Ephron n’aurait pas dû vous laisser débrouiller toute seule ». Les mots font mal. Kyle insulte presque Ronica d’être incompétente.


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