Les Six-Duchés sont en guerre contre les Pirates Rouges. Les rivages sont attaqués, des villages détruits et des habitants tués, ou pire, forgisés. Pour ne rien arranger, les fils du Roi Subtil, les Princes Vérité et Royal se lancent dans une guerre mesquine de pouvoir. Les deux s'affrontent, se livrent sans merci et s'assènent des coups. Et les conséquences se font directement sur le peuple : la sécurité est moins assurée, les ventres moins bien remplis...
Puisque la narration se fait à travers Fitz, on sent et ressent ses émotions, ses sentiments. Mais, il y a d'autres personnages, plus au second plan, qui comptent et qui forment le peuple. Eux aussi souffrent, eux aussi sont parfois des jouets dans les mains du destin.
Fitz est un membre de la famille royale, il fréquente régulièrement le roi. Avec lui, il apprend la responsabilité. Au fur et à mesure des événements, il comprend que le peuple se repose entièrement sur les dirigeants quand les choses vont mal. Il faut un coupable, ou au moins un responsable, et c'est le rôle de la royauté : « quelqu'un – Umbre, peut-être – m'avait dit que les gens tenaient le roi responsable de tout, même des sécheresses et des incendies ». Cela, Fitz l'a appris durement. Il a vu des gens être forgisés, il a vu des villages être détruits. Il a vu un peuple longtemps sans leader lors de la guerre contre les Pirates Rouges. Il a également bénéficié des enseignements de Subtil. Le vieil homme fatigué a fait tout ce qu'il a pu pour que les gens de sa famille aient conscience de leur devoir. Fitz a retenu la leçon car il dit que « les gens des Six-Duchés étaient mon peuple, que c'était dans mon sang de les protéger, de ressentir leurs blessures comme les miennes ». Ces propos font écho à ceux de Subtil lors du massacre de Vasebaie. A ce moment-là, Subtil montre qu'il est un roi qui tient réellement à son peuple, un homme qui partage la douleur des siens. Le roi ne va pas bien, il est épuisé, il dort mal et le Fou le prie de se reposer. Le Fou sous-entend qu'il serait si facile de détourner les yeux en ayant passé le fardeau à un autre ; Subtil s'y oppose (« je souffre, mon fou, parce qu'ils ont souffert. Parce que je suis roi (…) Fou, par le sang qui est en moi, ce sont mes sujets »).
Kettricken vient des Montagnes. Là-bas, les dirigeants se voient comme des Oblats, des gens prêts à tout pour leur peuple, du geste le plus anodin (réparer un toit) au geste le plus fort (mourir pour le peuple). Kettricken redonne de la vitalité à la famille royale et elle leur remet à l'esprit que tous leurs actes devraient être tournés vers la satisfaction des duchéens. Kettricken a également conscience de la situation, elle sait que le royaume est au bord du gouffre, rongé par l'infection des forgisés. Il y a beaucoup de détresse et de colère, deux forces qui peuvent être mal dirigées. Kettricken prend un ton grave, elle met en avant l'importance de la situation et la solennité à avoir quand il est décidé de chasser les forgisés dans les alentours de Castelcerf (« Nous ne partons pas à la chasse. Nous allons récupérer nos morts et nos blessés. Nous allons donner le repos à ceux que les Pirates Rouges nous ont volés »). Si Kettricken est comme ça, c'est grâce à son éducation. On n'a a eu de cesse de lui répéter qu'elle était au service de son peuple, elle met cela en application : « je serais l'Oblat incarné, prête à tous les sacrifices pour le bien de mon pays et de mon peuple ». On peut presque trouver cela naïf. En tout cas, cela réveille quelque chose en Vérité. Le prince était passif, presque perdu dans son usage de l'Art. Il se ruinait la santé pour bien peu de résultats. Kettricken modifie ses habitudes, lui rappelle sa réelle fonction. Vérité prend conscience de ses manquements : « je n'ai manifesté nulle patience pour vos propos sur le rôle de l'Oblat, je n'y voyais que les élucubrations idéalistes d'une enfant. Mais je me trompais. Le terme n'existe pas chez nous, pourtant nous vivions la réalité qu'il recouvre et j'ai appris de mes parents à faire passer les Six-Duchés avant moi ».
Vérité a donc eu besoin d'un rappel, ce n'est pas le seul noble. Dame Grâce aussi est passée par là, même si elle a l'excuse de son inexpérience. La jeune femme ne voyait que les avantages d'être duchesse et avait oublié que le peuple comptait sur elle, encore plus en ces temps troubles. Fitz lui assène un discours plein de passion qui la réveille : « je sentis en elle le désir brûlant de se distinguer, de susciter l'admiration du peuple dont elle était issue (…) Qu'il la considère dorénavant comme quelqu'un qui se préoccupait de sa terre et de son peuple et plus comme un joli petit animal ».
Mais, les bonnes volontés ne suffisent pas. Les Six-Duchés sont en train de perdre la guerre. Subtil est mort, Vérité lancé dans une folle quête, Kettricken a pris la fuite. Royal est au pouvoir et l'homme ne pense qu'à lui. Le peuple est seul(« ce fut une triste époque pour le petit peuple de Cerf abandonné par leur roi, défendu seulement par une troupe réduite et mal ravitaillée, les gens du commun se trouvaient privés de gouvernail sur une mer démontée »). Une femme se dresse alors : Patience. La femme aurait pu être reine si les choses avaient tourné différemment. Elle aurait pu aussi tourné le dos à ses devoirs, elle n'a plus d'obligation. Pourtant, quand tous sont absents, quand la situation est plus que périlleuse, c'est Patience qui prend les choses en main et devient la leader officieuse en Cerf. Elle sacrifie tout ce qu'elle a pour aider les gens, « elle ne porte plus aucun bijou ; ils ont tous été vendus pour payer des navires de patrouille, elle a bradé ses terres familiales pour engager des mercenaires afin de garnir les tours ». Autrement dit, Patience a une attitude d'Oblat.
Cette idée de sacrifice anime également Vérité. On peut penser que sa quête des Anciens est déplacée. On peut penser qu'il aurait mieux fait de rester à Castelcerf pour lutter épée à la main contre les Pirates Rouges (avec le risque de se faire tuer). Quand Fitz et son groupe le retrouvent au fin fond des Montagnes en train de sculpter son dragon d'Art et de pierre, on comprend l'étendue de son sacrifice (« Mais... trop tard pour sauver le peuple des Six-Duchés. Sinon, que ferais-je ici ? Pourquoi aurais-je abandonné mon pays et ma reine pour venir ici ? »). Les propos sont clairs. Vérité a laissé un bon nombre de choses derrière lui. Pire, il nourrit son dragon en se vidant de ses souvenirs et émotions. D'une certaine façon, il se forgise volontairement ; c'est bien la preuve qu'il est prêt à tout pour son peuple.
D'autres ne sont pas enclins à tout cela. Ils n'ont que mépris pour le peuple. Galen et Royal en sont de bons exemples.
Lorsqu'il forme les artiseurs, Galen leur fait comprendre qu'ils sont des gens à part, presque des élus. Ils sont au-dessus, ils valent plus que les autres. Cet état d'esprit contamine les élèves, Fitz compris (« ces simples soldats discutaient chaque possibilité avec un bon sens et une finesse dont Galen ne les aurait jamais crus capables (…) Galen m'avait entraîné à les considérer comme des ferrailleurs ignorants, des tas de muscles sans cervelle »).
Le dégoût de Royal est encore plus flagrant. Il est même difficilement compréhensible pour les autres. Pour Royal, les gens du peuple ne comptent pas car ils n'ont aucun pouvoir. Quand il tente un coup d’État lors du mariage de Kettricken et Vérité, il est prêt à tuer des gens innocents en sachant que leurs morts n'auront aucune conséquence (« à ton avis, qui va se mettre en émoi pour la mort d'un maître d'écurie ? Tu es tellement plein de ton importance de plébéien que tu l'étends à tes serviteurs »). L'insulte est encore plus flagrante lorsqu'il resserre son emprise à Castelcerf en profitant de l'absence de Vérité. Il rappelle à Fitz que ce dernier est un bâtard, que son père s'est souillé en couchant avec une femme banale : « toi qui te donnes le nom de FitzChevalerie Loinvoyant, il te suffit de te gratter un peu pour trouver Personne, le garçon de chenil. Sois heureux que je souffre ta présence au Château au lieu de te renvoyer habiter aux écuries ». Pour Royal, le peuple est une quantité négligeable.
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