Dans les cycles de fantasy, la mort est banale, commune. Elle est, bien entendu, un déchirement pour le lecteur qui s'est investi pour les personnages. Mais, elle est également quelque chose qui touche et qui marque les personnages. La mort, ce n'est pas uniquement la fin de la vie, c'est également un concept à étudier ; c'est la douleur, la peine, quelque chose qu'on peut attendre.
Une des particularités du Vif, une des magies développée par Robin Hobb, est le lien créé entre un humain et un animal. Certains y mettent des limites, d'autres non. Ils peuvent fusionner de corps et d'esprit. Fitz et Oeil-de-Nuit en sont le parfait exemple : quand Fitz a décidé de cesser de vivre, il s'est réfugié dans le corps du loup. Il est mort en tant qu'humain mais son esprit a continué de durer dans son compagnon. Et comme son corps a été lavé et pansé par Patience après sa mort, il a pu regagner son enveloppe. Il faut aussi préciser que les deux ont une conscience fine de la mort : ils ont déjà vu des gens mourir (Fitz en a tué beaucoup, Oeil-de-Nuit chasse pour manger). Toutefois, ils ont selon Rolf le Noir, une incompréhension totale de ce qu'est la mort ; ils vivent comme si la vie ou la magie n'avaient pas de limite, ce qui est faux. Clairement, pour Rolf le Noir, quand le moment de mourir est venu, il convient de l'accepter et pas chercher d'artifice pour la tromper : « et que se passera-t-il quand l'un de vous mourra ? La mort nous prend tout, tôt ou tard, et il est impossible de tricher avec elle ! (…) voilà pourquoi les traditions du Lignage repoussent avec dégoût cette avidité de vivre, tout effort pour se raccrocher égoïstement à la vie. » Si Rolf est aussi intransigeant, c'est parce qu'il a été témoin d'abus de la part d'humains qui ont refusé de mourir et ont décidé de poursuivre leur vie dans le corps de leur compagnon. Cela n'a créé que des choses bancales, des animaux malheureux. Quand il rencontre Fitz et le loup, il se rend compte à quel point les deux sont naïfs, sont trop proches et n'ont aucune connaissance des règles du Lignage (le Vif). Il tente de leur enseigner ce qu'il peut, à quel point il faut accepter ce qui doit être, et cela même si la mort d'un compagnon est douloureuse (« quand la vie d'une créature est finie, elle est finie, et c'est pervertir toute la nature que la prolonger. Cependant, seul le Lignage sait la vraie profondeur de la souffrance qu'engendre la séparation de deux âmes qui ont été unies »).
Quand démarre le deuxième cycle, Fitz et Oeil-de-Nuit ont pris de l'âge. Le loup apparaît fatigué, usé. S'il jette toujours un regard pénétrant et vif sur le monde qui l’entoure, on sent bien que ses capacités physiques ont diminué. Fitz le sait aussi et il se met à le traiter différemment. Oeil-de-Nuit, ce fier animal, le prend mal (« si c'est ainsi que tu me vois, j'aime mieux être mort pour de bon. Tu voles le maintenant de ma vie quand tu crains que je disparaisse maintenant »). Oeil-de-Nuit n'est pas mort et pourtant il a déjà une patte dans la tombe pour Fitz. Fitz le traite comme un animal vieillissant. Il lui propose de lui donner de l'énergie, c'est une vexation pour le loup. Il a l'impression d'être en fin de vie, au bout du rouleau, il ne le supporte pas. Les événements qui suivront montrent que le loup a encore de l'énergie et de la vitalité. Il combattra les Pie, sauvera Devoir et donnera sa vie pour sauver Fitz et le Fou. Oeil-de-Nuit est mort et Fitz n'a rien pu faire pour l'en empêcher. La disparition du loup modifie le comportement de Fitz, c'est une nouvelle perte immense pour le bâtard de Chevalerie qui s'était déjà vidé de souvenirs et d'émotions dans la Fille-au-Dragon. Fitz a conscience de ce qui lui arrive : « la mort de mon loup me plongeait dans l'isolement et une sorte de torpeur, d'engourdissement : la disparition d'Oeil-de-Nuit était un atroce déchirement ».
Des amis de Fitz tentent de l'aider à traverser cette épreuve. Kettricken et le Fou en font partie. L'ancien bouffon du roi Subtil partage la peine de Fitz, il est touché par la mort du loup mais encore plus par ce que ça provoque chez son ami. Il veut l'aider et se heurte à un refus. Il tente de lui faire comprendre que Fitz n'est pas obligé de vivre ça seul, qu'il est là pour lui et prêt à prendre une part du poids : « si tu préfères porter seul le fardeau de ton affliction, je respecte ton choix (…) un fardeau partagé n'est pas seulement plus léger ; il peut aussi créer un lien entre ceux qui se le répartissent. De cette façon, nul n'est obligé de le porter seul. » Les mots peuvent paraître maladroits, presque accusateurs. On a presque l'impression que le Fou reproche à Fitz de ne pas accepter son aide.
Kettricken, elle, avait un réel lien avec le loup. Il ne s'agissait pas du Vif mais d'une acceptation, d'une compréhension mutuelle. A leurs façons, ils se comprenaient l'un l'autre. Ils ont d'ailleurs partagé ensemble des moments forts dans les Montagnes (notamment lorsque Kettricken se sentait triste suite aux rejets de Vérité). Si la perte d'Oeil-de-Nuit n'est pas aussi intense que pour Fitz, elle crée quand même un vide, une perte. Kettricken ressent pleinement la disparition du loup pour ce qu'il est. Ainsi, quand elle en parle avec Fitz, ce dernier ne ressent pas une douleur aiguë quand il en parle mais le commencement d'un début d'acceptation (« alors sa peine, non sa pitié pour moi, mais le chagrin que lui inspirait la mort d'Oeil-de-Nuit permit à la mienne de s'exprimer, et ma douleur se libéra dans un grand déchirement d'âme »).
La mort crée donc un manque. Quand des proches partent, les souvenirs partagés s'envolent. Quelque chose d'indicible s'en va également. Fitz s'en rend compte quand il apprend la mort de Kerry (« seul, désormais, je me rappellerais les jours que nous avions partagés. J'eus soudain l'impression d'avoir perdu un peu de ma substance. Un fragment de mon passé avait disparu »).
La mort est inévitable. Celui qui est parti ne rate rien : il est hors du champ de la vie, des choses qui se passent. Mais, c'est différent pour Fitz. Il est mort puis revenu à la vie. Très peu de gens le savent mais lui les voit continuer à vivre. Il est coupé de quasiment tous et tout, il ne fait plus partie de leur quotidien. On sent dans ses propos une grande douleur, une envie de partager avec eux des moments forts : « disparus, les rythmes des vies qui se mêlaient à la mienne ; des amis moururent, d'autres se marièrent, des enfants naquirent, ils devinrent des hommes, et de tout cela je ne vis rien. »
Puisque la mort est inévitable, tout le monde devrait avoir conscience qu'elle peut frapper à n'importe quel moment. C'est en tout cas ce que pense Oeil-de-Nuit : « la mort est toujours au bord de maintenant. La mort nous guette et elle est toujours assurée de son prix. Il ne sert à rien d'y songer sans cesse, mais, dans nos entrailles et dans nos os, nous savons tous qu'elle est là. Sauf les humains. »
La mort est la fin de tout. Le Fou tente de maintenir Fitz en vie parce qu'il est nécessaire à ce qu'il veut accomplir. Si Fitz meurt, il a échoué. Quand les deux discutent et se rendent compte à quel point rester en vie demande des efforts et qu'il pourrait être plus simple de mourir, le Fou a une révélation : « la mort n'est pas le contraire de la vie, mais le contraire du libre arbitre. C'est à la mort qu'on parvient quand il n'y a plus de choix possible. »
Affronter une mort connue d'avance n'est pas une chose aisée. Les gens réagissent différemment quand on leur dit qu'ils vont mourir, quand ils savent qu'ils vont mourir. Astérie pose la bonne question à Fitz alors qu'ils sont sur la route d'Art à la recherche de Vérité : « comment peut-il espérer que vous ayez le courage d'accomplir ce qu'on attend de vous si vous êtes convaincu que vous mourrez alors ? » Bien plus tard, sur l'île d'Aslevjal, c'est le Fou qui apportera une réponse. Le Fou sait qu'il va, qu'il doit mourir pour permettre le retour des dragons. Il est donc prêt à tout pour atteindre son but, il le fait avec détermination. Il est donc vaillant mais faillible : il pleure, il hurle, il confesse des secrets quand il est torturé par la Femme Pâle. Il met de côté toute sa dignité alors qu'il est sur le chemin de la mort. C'est ce qu'il dit à Fitz après que son vieil ami l'ait fait revenir du côté de la vie : « j'ai affronté ma mort, sans grand courage peut-être, mais avec une volonté inébranlable, parce que j'avais vu ce qui pouvait se produire ensuite et jugé qu'il valait la peine d'en payer le prix. »
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