Le Royaume des Anciens n’est pas qu’une histoire de Dragons contre les Serviteurs. Ce sont aussi des hommes et des femmes, des bateaux magiques, des animaux et tout un tas de créatures qui ressentent des choses, certaines négatives, certains qui les dépassent et peuvent les mener au suicide.
Il n’est pas étonnant de voir que la première référence au suicide concerne Fitz. Le bâtard royal est bien connu sa forte capacité à s’apitoyer sur son sort et vivre pleinement ses émotions. Elles le débordent fréquemment. Fitz est formé à l’Art par un professeur (Galen) cruel et méchant qui profite de son autorité et son pouvoir pour manipuler l’esprit de Fitz. Il y trouve des points faibles et le pousse à essayer de se suicider. Le lecteur suit la lente agonie de Fitz, sa pénible traînée vers la mort (« l’esprit ancré sur une seule idée, je me mis en route vers le mur bas, j’avais l’intention de me hisser sur un banc et, de là sur le sommet du mur. Ensuite, la chute. Et rideau. ») Mais, Fitz a des amis, des compagnons qui tiennent énormément à lui et sont prêts à beaucoup pour l’aider et le sauver, malgré tous ses défauts. Doué du Vif, Fitz est lié à Martel, un chiot, qui partage toutes les peines et douleurs de Fitz, mais qui a en lui suffisamment de positif pour prendre le dessus. Fitz est sauvé de justesse par Martel. Le chien « pleurait à l’unisson de mes souffrances physiques et mentales. Et alors que je cessai de chercher à me rapprocher de l’enceinte, il explosa dans un paroxysme de bonheur et de victoire pour nous deux. Je ne pus rien faire d’autre pour le récompenser que ne plus bouger, ne plus essayer de e détruire ; et il m’assura que c’était assez, que c’était une plénitude, que c’était une joie ».
Tout donner pour sauver un autre, quelqu’un on aime, Fitz le fait également. Quand l’énergie de Vérité est sucée par Galen, il est prêt à tout donner, sa vie comprise, pour sauver son oncle, le seul homme de sa famille qui l’a sincèrement aimé. C’est un geste courageux de sa part, un geste désespéré d’un neveu pour un oncle aimé (« je projetai toutes mes forces en Vérité, toutes mes réserves que j’ignorais posséder (…) prenez tout, de toute façon, je vais mourir. Et vous avez toujours été bon pour moi quand j’étais enfant »). La famille occupe une place importante : on peut mourir pour sauver un proche, on peut décider de mourir en voyant les horreurs commises par un proche. Déjà affaibli physiquement par la vieillesse, le drainage d’Art par les membres du clan, le roi Subtil perd toute volonté de se battre et de vivre quand il voit ce dont Royal est capable pour prendre le pouvoir. Ce n’est plus un roi courageux, c’est un vieil homme pathétique dépassé par les événements et qui a baissé les bras : « j’ai changé d’avis, Fitz. Je crois que je vais rester ici et mourir dans mon lit cette nuit ».
Fitz, lui, continue sa route de souffrance. Il est torturé par Royal : on le bat, on lui dit sa femme Molly est en danger, que tous ses plans sont connus. Prisonnier dans un cachot, il n’a aucune chance de s’échapper. S’il veut survivre, il doit mourir d’après Burrich. Il faudra un long moment et de nombreux coups de poing pour que Fitz comprenne. Il décide alors de cesser de vivre dans son corps pour rejoindre celui d’Oeil-de-Nuit (« soudain tout devint facile, le choix limpide : abandonner ce corps-là pour celui-ci ; il n’était plus très efficace, de toute façon, et il était enfermé dans une cage. Inutile de le conserver. Inutile de demeurer un homme »). De retour à la vie grâce au Vif, Fitz n’est aimé que par une envie : la vengeance. Il veut tuer Royal et est prêt à tout pour y arriver, même donner sa vie. Il en fait la démonstration quand il se rend compte être tombé dans un piège des artiseurs royaux. Il s’empoisonne volontairement. Les réactions de ses opposants montent leur étonnement, leur incompréhension (« Guillot se dressa d’un bond, stupéfait, tandis que Carrod et Ronce prenaient une expression d’horreur et de dégoût »). Même Vérité qui le connaît si bien a la même réaction,, le prince es choqué : « ton suicide ? Quelque part, tout au fond de moi, Vérité était frappé d’horreur ».
Car, le suicide est mal vu dans les Six-Duchés. Cela est considéré comme de la faiblesse, de la couardise. On en a la preuve lorsque Fitz avale un pain de courage qui le prive de son Art et lui donne des idées noires. Fitz est alors en route pour traquer Glasfeu à Aslevjal. Il est accompagné de Trame, un homme qui a parcouru les Six-Duchés en long et en large, et connaît bien ses traditions, ses règles. Ses propos sont assez clairs quand il affirme que « je vous tenais en plus haute considération ; toutefois, étant donné votre accablement d’hier, j’ai préféré ne pas courir de risque ». La peur transparaît clairement, tout comme une forme de mépris. Fitz en a bien conscience, il comprend que cela peut affecter sa relation avec l’homme, qu’il a abordé un sujet tabou (« j’avais honte d’avoir seulement évoqué pareille idée. On a toujours regardé le suicide comme un geste de lâcheté dans les Six-Duchés »).
Savoir n’empêche pas Fitz d’avoir des idées noires, de céder à la fatalité. Et parfois d’envisager l’acte. Dans le Fou et l’assassin, c’est Ortie qui est témoin de son renoncement et le remet en selle à sa façon, en le bousculant, en qualifiant sa conduite d’inqualifiable, de honteuse pour quelqu’un comme lui. Ortie et Devoir connaissent bien Fitz, ils sont liés à lui par l’Art, ils ont remarqué que quelque chose n’allait pas et s’inquiètent. Ils décident de ne pas le laisser seuls alors qu’ils reviennent des Montagnes après la mort du vieux Roi Eyod (« Devoir m’a parlé il y a déjà plusieurs jours pour me dire qu’il te trouvait très morose, même pour des funérailles, et qu’il vaudrait peut-être mieux ne pas te laisser seul. Kettricken était là, et elle a ajouté que le voyage avait peut-être réveillé chez toi de vieux souvenirs, des souvenirs tristes. Du coup, me voici »). Mais, très vite, la bienveillance se transforme en colère de la part d’Ortie. Molly est morte et Fitz ne parvient pas à dépasser la mort de sa femme. Il a l’impression que lui seul a subi une perte alors qu’Abeille et Ortie ont perdu leur mère. Ses pensées le rendent aveugle à la douleur des autres. Il y a pire : il se répand dans l’Art, montre à tous ses peines et son ingratitude. Ortie le lui reproche : « debout sur un tabouret, un nœud coulant autour du cou ? En train d’affûter une lame sur ta gorge ? (…) La douleur ne cesse pas, alors supporte la, parce que tu n’es pas le seul à l’éprouver ». Elle insiste même en confessant même avoir tenté aussi (« c’est un mauvais exemple à donner aux apprentis, et puis tu n’es pas le seul à avoir été tenté de s’échapper par ce moyen »).
Vérité avait un talent pour l’Art inégalé. Il n’a pas que repoussé les Pirates Rouges, il est parvenu à construire son propre dragon de pierre et d’Art. S’il s’est lancé dans ça pour sauver les Six-Duchés, ce n’était pas sa seule motivation. L’Art le rongeait, l’affamait et le poussait à donner sa vie. Subtil lui dit que « l’appétit de l’Art est de ceux qui dévorent l’homme, pas de ceux qui le nourrissent ». Kettricken a tant souffert quand Vérité a forgé son dragon, elle a vu son mari s’éloigner d’elle, devenir insensible. Elle voit la même chose chez Fitz (« vous avez la même expression que Vérité quand il sculptait son dragon : il se savait lancé dans une entreprise dont il ne reviendrait pas »).
Se tuer peut aussi être une réponse à des gens qui ont subi de graves traumatismes. Évite a dû lutter contre une famille qui a cherché à la tuer. Ne trouvant aucune échappatoire, elle a cherché le meilleur moyen de se tuer (« je ne crois pas que je pourrais me trancher la gorge, mais me pendre oui. J’ai même appris le nœud nécessaire »). Astérie, elle, a été violée et laissée pour morte. Elle est « restée au milieu de cadavres, certaine de mourir bientôt » car elle ne voulait pas « continuer à vivre ». Mais, elle a survécu (« mon corps était plus fort que ma volonté »).
Et, il y a l’histoire tragique de la mère de Civil, de dame Brésinga. Alors qu’on la pensait manipulatrice, on se rend compte qu’elle n’est qu’un jouet dans la main d’hommes plus déterminés, bien plus violents et sans pitié. Les Pie la considèrent comme un jouet sexuel, ils la violent dans sa propre maison et l’obligent en menaçant son fils. Umbre rapporte à Fitz ce qui s’est passé : « Sa mère s’est suicidée, Fitz ; elle lui a envoyé un message où elle le suppliait de la pardonner et se déclarait incapable de continuer à vivre à sachant ce à quoi il était réduit pour acheter leur sécurité, alors même que les hommes la violentaient à loisir dans le fallacieux abri de son propre château ».
Le cas de Glasfeu est intéressant. On apprend dans le tome Adieux et retrouvailles que le dragon noir a voulu mourir. Prilkop est témoin de la tentative de suicide de Glasfeu, il rapporte à Fitz que Glasfeu « était plein de tristesse, malade comme d’une maladie ». Il était sourd à toute tentative d’encouragement, à toute parole d’aide. Le dragon « s’est enterré la glace ». Prilkop était impuissant : « j’ai essayé, j’ai parlé avec lui, supplié.. encouragé, mais il s’est détourné pour chercher la mort ». Des années plus tard, un Glasfeu revenu à la vie récoltera du dédain de la part de Tintaglia. Elle se moquera de son attitude, de son moment de faiblesse ; elle ne comprend pas comment un Seigneur des Trois Règnes (le ciel, la mer, la terre) a pu s’abaisser à ce point : « Sache d’abord ceci : Glasfeu est un pleutre. Un dragon qui préfère s’ensevelir dans la glace plutôt que de se venger, par crainte pour sa propre sécurité, n’est pas un dragon ! » On apprendra dans le Destin de l’assassin que Glasfeu a été trompé et empoisonné, ses pensées devenues confuses (« comment, alors que je me battais contre vous, vous m’avez rempli l’esprit d’une malédiction ? (…) A l’époque je me suis enfui. Vous m’avez couvert de honte ! »)
Parangon, la vivenef, a également essayé de mourir. Après ce qu’elle a vécu avec Igrot et Kennit, elle n’a pas voulu continuer à naviguer. Elle a tout tenté, se noyer, se brûler mais rien n’y fait (« j’ai essayé de mourir ; je pensais que j’allais mourir, mais je n’ai pas plus besoin d’air que de nourriture »). Elle a survécu et a vécu une vie misérable jusqu’à tomber sur Ambre, Brashen et Althéa.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire