Elliania est désormais la Reine des Six-Duchés. Devoir a relevé son défi et Glasfeu a posé sa tête sur la pierre d’âtre de sa maison natale. Elle et Devoir ont eu deux enfants, deux princes. Elle vit désormais dans un pays qui lui est étranger tout en tentant de respecter ses coutumes et ses traditions. Comme les autres, il faut qu’elle fasse avec des événements imprévus : le retour des Dragons, mais aussi l’enlèvement de la fille de Fitz, Abeille. Le quotidien n’est pas non plus à minimiser : Elliania est obsédée par l’envie d’avoir une fille et elle est toujours marquée par les atrocités de la Femme Pâle.
La relation entre Devoir et Elliania a d’abord commencé par être un arrangement politique entre deux pays. Puis, leur amour a éclos, grandi puis s’est développé en quelque chose de sincère. Ils ont ensemble fait face à la cruauté de la Femme Pâle. Devoir connaît bien sa femme, il a appris à s’intéresser à sa culture. Ses paroles ont donc un poids certain et nous offrent dès le début des romans du Fou et de l’assassin un bon aperçu de la situation d’Elliania : « sa terre natale lui manque, et aussi la liberté dont elle jouissait en tant que narcheska et qu’elle n’a plus comme reine des Six-Duchés (…) et elle s’irrite de n’avoir pas encore donné de fille à sa Maison des mères (…) elle a fait deux fausses couches ». Elliania vient d’un pays où les femmes ont le pouvoir : on l’a clairement vu quand les gens des Six-Duchés se sont rendus dans les îles d’Outre-Mer. Si Elliania n’a pas de fille, sa lignée ne pourra plus gouverner les îles et laisser la place à une autre.
La question de la fausse couche ou du bébé mort après la naissance n’est pas anodine, elle marque les femmes. Par exemple, Kettricken n’a toujours pas dépassé la mort d’Oblat. Fitz, qui ne va que de temps en temps à Castelcerf, est au courant de la situation. Preuve de la gravité de la situation, des rumeurs lui sont parvenus (« j’avais appris qu’elle ne se laissait plus pousser les cheveux depuis qu’elle avait perdu une fille en bas âge »).
L’intégration d’Elliania à Castelcerf fut assez différente de celle de Kettricken. Alors que l’hostilité régnait pour la Montagnarde (jusqu’à la fameuse chasse aux forgisés) et qu’elle devait faire avec la froideur de Vérité, Elliania est soutenue par son mari. Surtout, elle a des amies, notamment Ortie. Les deux ont dû quitté leur nid natal pour venir dans une ville inconnue ; Crible rapporte à Fitz qu’« il faut comprendre qu’Ortie et la reine Elliania sont devenues très proches au cours des années ; elles ont quasiment le même âge, et toutes deux se sont senties comme des étrangères à leur installation à la cour de Castelcerf ». Il n’est donc pas étonnant de voir ensuite leurs routes se croiser fréquemment : Elliania consent au mariage d’Ortie avec Crible, elle révèle à tous la réelle identité d’Ortie (fille de FitzChevalerie Loinvoyant) et nomme la fille d’Ortie et Crible (« la reine Elliania est ravie ; elle a demandé le privilège de la nommer, et Crible et moi avons été d’accord. Espérance, elle s’appelle Espérance »).
Elliania s’intéresse à l’histoire des Six-Duchés, notamment des femmes qui ont été reines (Devoir : « Elliania me prêtera main-forte ; elle connaît nos bibliothèques aussi bien que moi »). On voit bien là l’influence de son éducation et de son passé qui accordent une grande place aux femmes et à leur leadership. Crible explique ainsi à Fitz que les Outrîliens ont un proverbe : « chaque mère reconnaît son enfant ». Autrement dit, c’est la femme qui est charge de l’enfant et lui donne son identité. Ainsi, pour Fitz, cela veut dire que « selon la généalogie d’Elliania, vous êtes le fils de Patience ».
Mais, ce qui marque Elliania, c’est la colère, une colère qui ne l’a pas quittée depuis que sa sœur, Kossi, a été enlevée par la Femme Pâle et qui a été ravivée quand Fitz et les autres sont parvenues à la délivrer. Kossi ne peut pas avoir d’enfant : Crible, décidément au courant de beaucoup de choses grâce à Ortie,précise qu’elle est « une femme fragile comme une brindille desséchée, et elle manifeste une aversion marquée pour les hommes ». Elliania n’en veut pas qu’à la Femme Pâle, elle en veut au destin qui l’a rendue seul responsable de l’avenir de sa lignée.
Elliania se sent responsable et concernée par le sort de chaque fille de sa famille élargie. Quand Abeille est enlevée, la famille Loinvoyant et les enfants de Molly ainsi que Heur se réunissent au château pour discuter de la situation. La réaction d’Elliania est claire et montre clairement sa détresse. Elle ne joue pas la comédie, elle est réellement marquée par ce qui se passe (« elle brandit sa couronne comme si elle allait la jeter à terre ; Fortuné lui saisit le bras, et elle ne se débattit pas : elle se laissa tomber au sol, entourée du tissu de sa robe royale, puis enfouit son visage dans ses mains »). Ses paroles sont claires : « nous avons perdu une enfant ; une petite fille ! Une Loinvoyant ! Disparue tout comme ma petite sœur a disparu pendant des années. Sommes-nous obligés de revivre ce supplice ? L’ignorance de ce qu’elle devenue, la douleur dissimulée. » La perte d’Abeille réveille en elle des souvenirs douloureux mais cette fois-ci, elle peut compter sur le soutien de proches et la possibilité d’extérioriser ce qu’elle ressent. Elle ne subit pas la menace de la Femme Pâle qui la contraignait à tout garder en elle.
Dès lors, c’est une succession de moments où on voit éclater sa colère et son esprit de vengeance. Elle hurle qu’il faut « les traquer et les tuer ! Les tuer comme des cochons qui couinent devant le boucher ! » Bien entendu, Devoir tente de modérer ses propos. Elliania est même prête à solliciter les forces de sa terre natale pour aller guerroyer à Clerres : « je vous donne mon fils. Il vous accompagnera pour venger cette insulte mortelle, cette perte terrible pour notre maison des mères ! J’enverrai un message à ma mère la narcheska et à ma sœur Kossi et elles rassembleront les hommes du clan du Narval pour se joindre à vous . » L’offre est poliment refusée par Fitz. Elliania lui adresse alors une dernière requête qui trouble Fitz (et c’est un bon indicateur, lui qui a vu tant de choses) : « Elliania me tendit un mouchoir en me demandant de le tremper dans le sang de mes adversaires afin qu’elle pût l’enfouit dans la terre de sa maison des mères et que l’âme de ceux que j’avais tués ne connût jamais la paix. Elle me parut un peu exaltée. »
Enfin, une autre situation montre que Elliania ne réagit pas uniquement comme ça parce que c’est une fille de sa famille. Quand Lourd est moqué par des soldats lors du voyage retour de Flétribois à Castelcerf, après l’enlèvement d’Abeille, elle s’emporte également à juste titre contre le comportement des soldats des Six-Duchés. Elle réclame une sanction exemplaire (« dissoudre leur compagnie, faire donner le fouet à ceux qui ont maltraité Lourd, les bannir à jamais de Cerf ») tout en ne perdant pas de vue la chaîne de commandement. C’est un Lant mal à l’aise qui prend le blâme. Elle lui reproche de n’avoir rien fait, d’avoir permis par sa passivité les abus : « Messire, avez vous à un moment ou à un autre clairement réprouvé leur mauvais comportement ? »
Colérique, passionnée, Elliania est juste. Elle est une femme différente des autres reines ou cheffes de clan (et familles) que nous avons suivies. Elle n’a pas le sens du calcul de Ronica, elle n’a pas la résilience physique de Kettricken. Comme tant d’autres, elle a subi son lot d’épreuves et elles lui ont permis de s’affirmer.
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