Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses. Keffria, tu remontes dans notre estime. Il était une fois Clerres.

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Petit-Furet dans la légende

Il existe des personnages qui paraissent anodins et qui ont un grand impact sur l’histoire. Il existe des personnages qui accomplissent des ...

mercredi 7 juillet 2021

Les Aventuriers de la Mer : l'esclavage

On pourra retenir des Aventuriers de la Mer les aventures de la famille Vestrit ou le retour des Dragons, on pourra aussi mettre en avant les destinées individuelles (Hiémain, Malta, Kennit). Et puis, il y a des thématiques qui ont l’air d’être secondaires et qui finalement prennent une place importante. L’une d’entre elles est la question de l’esclavage. Simple pratique commerciale au début du texte, plus ou moins tolérée, elle gagne en importance quand la famille Vestrit décide de s’y intéresser. On assiste alors à des gens qui cherchent des prétextes pour le justifier mais aussi à des pratiques plus que douteuses : les esclaves sont marquées et abusées. Mais Terrilville et Jamaillia sont en proie au changement, et les esclaves aussi.

Dès le début du récit, on comprend très vite que l’hypocrisie règne sur la question de l’esclavage. Les romans de l’assassin royal nous avaient déjà appris que tout pouvait s’acheter à Terrilville, on se rend compte que c’est aussi le cas pour les hommes et les femmes. Seulement, le terme « esclave » est mal et il faut le camoufler : « mais les esclaves faisaient plus que passer désormais : de plus en plus de champs et de vergers en employaient. Naturellement, les propriétaires terriens les appelaient serviteurs sous contrat (…) en façade, il était illégal à Terrilville de posséder des esclaves, sinon comme marchandise de passage ». L’esclavage n’est donc pas combattu ou banni, il est toléré. Surtout qu’il représente une manne financière importante dans une époque compliquée.

A ce titre, il est intéressant de voir la façon dont les habitants de la ville considèrent les esclaves. Deux exemples sont assez éclairants et montrent à quel point la culture locale favorise l’esclavage. C’est Ronica qui cherche des excuses pour ne pas aider un jeune esclave maltraité en pleine rue (« la première fois que Ronica avait vu un Nouveau Marchand frapper un de ses serviteurs au visage en plein marché, elle était restée choquée, non pas à cause du geste de l’homme (…) en ne se défendant pas, il rendait impossible toute intervention de spectateurs ; chacun hésitait en se demandant s’il n’avait pas mérité ce châtiment en fin de compte »). Il faut préciser que Terrilville s’est construite et développée sous l’impulsion de gens qui ont pris leur destin en main et refusé la fatalité. Ne pas se rebeller, c’est accepter son sort.

Et c’est aussi Davad Restart qui analyse la situation du point de vue de l’efficacité (« c’est à vous faire regretter que l’esclavage soit interdit à Terrilville ; un esclave sait que son confort et son bien-être dépendent uniquement de la bonne volonté de son maître, et ça l’oblige à faire attention à ce qu’on lui dit »). Ses propos paraissent d’autant plus froids et cinglants que lui-même est un personnage maladroit. Mais lui est un Marchand alors que l’homme n’est qu’un domestique.

Les différents membres de la famille Vestrit occupent une part importante du récit et tous ne sont pas opposés ou touchés de la même façon par l’esclavage. On peut ainsi différencier ceux qui doivent gérer les affaires financières (Ronica puis Keffria) des autres. Ephron, de son vivant, a toujours combattu l’esclavage, rien ne peut justifier le recours à cette pratique, pas même des soucis d’argent (« nous pouvons apprendre à tant apprécier l’esclavage qu’il nous devienne égal que nos petits-enfants y soient réduits à cause de dettes excessives d’une année »). Sa femme, Ronica, a un avis différent (« elle pensait que la plupart des esclaves ne devaient leur sort qu’à eux-mêmes »). Bizarrement, Ronica vit avec une servante anciennement esclave, Rache, et cela ne modifie en rien son comportement. Rache a beau lui dire que « si j’allais en Chalcède, avec cette marque sur ma figure, on aurait tôt fait de me reprendre comme esclave fugitive. Je redeviendrais une chose », elle ne change pas de position. Elle est sans doute trop préoccupée par la situation de sa famille, aveuglée, incapable de voir les maux de l’esclavage. Ainsi, elle persiste à dire que « si le transport d’esclaves réussit, la vivenef peut encore tous nous sauver. Les esclaves, apparemment, restent le seul moyen de s’enrichir ». Il y a certes beaucoup de résignation dans ses propos, on peut penser qu’elle se doute de la cruauté de l’esclavage mais qu’au pied du mur ils n’ont pas d’autre possibilité.

Leur fille Keffria, dans la première partie du récit, suit quasiment aveuglément les décisions de son mari. Commercer des esclaves semble être la seule solution pour renflouer les Vestrit ; elle trouve alors des excuses en se disant que acheter et vendre des esclaves n’est pas si grave, ils sont des produits à transporter et traiter convenablement : « comme il me l’a fait remarquer, les faire souffrir inutilement ne ferait qu’abîmer une cargaison de valeur ».

Le cas de Hiémain est à noter : il passe du confort et de la sécurité de son monastère à la vie sur un bateau d’esclaves sans transition. Tout est nouveau pour lui : la vie de matelot mais aussi les gens qu’il rencontre. Ses frères et sœurs, parents sont presque des étrangers par exemple. Il est celui choisi par son père, Kyle Havre, pour être le Vestrit à bord de la Vivacia. Il partage alors un lien particulier avec la vivenef. Il est d’autant plus désolé que le bateau ne parvient pas à pleinement saisir ce qu’est l’esclavage. Pour être honnête, il lui a également fallu du temps pour savoir ce que c’était ; ce ne sont pas uniquement les mauvais traitements ou la perte de la liberté, c’est une renonciation totale. A Jamaillia, il parvient à cette conclusion en délivrant et regardant mourir une esclave (« il savait que c’était un mal (…) mais à présent, il le touchait ud doigt, il entendait la résignation et le désespoir dans la voix de cette jeune femme. Elle n’adressait pas de reproche au maître qui avait volé la vie de son enfant ; elle parlait de son acte comme s’il s’agissait de l’œuvre d’une force naturelle, une tempête ou une inondation »).

L’esclavage a ses codes, ses règles. On apprend qu’« à Jamaillia, un propriétaire avait le droit d’imprimer sa marque sur le visage d’un esclave, et, même si l’esclave rachetait sa liberté, il lui était interdit d’ôter les marques de sa servitude ». On voit bien l’idée là : en interdisant toute possibilité d'effacer son passé, on veut rappeler à la personne que son état est permanent. Les esclaves ne sont pas utilisés seulement pour le travail manuel ou la domesticité, ils sont également là pour assouvir des plaisirs plus charnels (« s’il restait illégal d’acheter des esclaves dans le but de les prostituer, les tatouages exotiques, qui marquaient certains ne laissaient aucun doute dans l’esprit de Hiémain quant au métier auquel on les avait formés »). Privés de leur liberté et du confort matériel, les esclaves sont également exclus du réconfort spirituel : « les esclaves n’ont pas le droit au réconfort de Sa. C’est le Gouverneur qui l’a décrété ». Cela est clairement fait pour leur retirer toute humanité, les mettre à part de la société et leur retirer tout espoir : ils ne sont que des possessions.

Hiémain finit marqué comme esclave et Kyle le donne au bateau. Cela constitue bien une preuve que n’importe qui peut finir par le devenir. Si un fils de Marchand peut finir par être une chose, comment d’autres pourraient ils se sentir à l’abri ? Hiémain fait d’ailleurs une rencontre marquante : il croise un jeune homme devenu esclave, un jeune homme qui quelques mois auparavant avait une vie insouciante. Et puis, l’esclavage et sa cruauté lui sont tombés dessus, le poussant à réajuster sa conception des choses. Ce jeune homme nous informe qu’une « règle de miséricorde » existe et qu’elle permet à « la famille ou les amis » de racheter quelqu’un ou lui rendre sa liberté. Les paroles qu’il prononcera ensuite montreront bien à quel point Jamaillia a sombré moralement éthiquement : « avant, je trouvais ça drôle, j’allais aux enchères avec des copains et on faisait des offres sur les nouveaux esclaves, rien que pour faire monter leur prix et voir leurs frères ou leurs pères commencer à transpirer (…) je n’aurais jamais cru me retrouver d’autre côté de la barrière ».

A bord de la Vivacia, la vie est dure. Les matelots sont mal à l’aise : « l’humeur blagueuse de Confret avait disparu dès le premier jour » et « Gantri (…) savait qu’une fois le voyage achevé, jamais il ne remettrait les pieds sur un transport d’esclaves ». Torg, le lieutenant de Kyle, savoure la situation. Elle doit lui permettre de mettre en avant ses compétences (« j’ai l'oeil pour la bonne chair à esclaves, et je prendrai que le premier choix. Peut-être même que j’achèterai quelques gamines maigrichonnes pour te faire un peu rêver »). La dernière remarque est clairement une allusion sexuelle et la porte ouverte à des abus. Le pire se confirme quand un survivant de la Vivacia confronte Althéa. Il lui envoie toute sa frustration, la place face à la situation perfide des Vestrit. C’est leur navire familial qui a transporté des hommes et des femmes vers le pire. La souffrance et la peine transpirent clairement dans ses propos : « j’étais esclave sur votre navire (…) Me dites pas que vous reconnaissez pas le tatouage de votre famille (…) Vous vous défilez, hein ? Comme votre petit prêtre. Il devait bien savoir ce qu’on nous faisait. Ce salaud de Torg. Il venait la nuit pour violer les femmes, sous nos yeux. Il en a tué une (…) Elle est morte pendant qu’il la baisait (…) Ç’aurait dû être vous, jambes écartées, étouffée ». Avec ce genre d’exemple, on peut légitimement remettre en cause le soutien apporté au commerce d’esclaves par Keffria ou Ronica. Elles ont beau se cacher derrière des prétextes, des justifications, elles ne peuvent pas ignorer que la vie d’esclave est tout sauf une partie de plaisir. Et si elles le croient malgré tout, alors cela amènerait à douter de leur intelligence.

On trouve également des personnes qui condamnent sans équivoque l’esclavage. Sorcor, le second de Kennit, est une de ces personnes (« des hommes, des femmes et des enfants, ne sont pas des marchandises. Si vous aviez été à bord d’un de ces navire – et je ne veux pas dire sur le pont mais dedans, enchaîné dans la cale –, vous ne parleriez pas de marchandise »). Notons que c’est cette obstination de Sorcor qui poussera Kennit à chasser les bateaux esclavagistes et donc entrer dans la légende.

Ambre, elle, condamne cette pratique. Dans l’Assassin Royal, alors nommée le Fou, elle avait déjà dit à Fitz que l’esclavage avilissait les hommes. Cette fois-ci, c’est à Althéa qu’elle fait la leçon : « Les esclaves ne sont pas des femmes (..) Elles sont de la marchandise, des objets, des biens. Des choses. Pourquoi un propriétaire se soucierait-il qu’une de ses esclaves soit violée ? Si elle est enceinte, il en prendra une autre. Si elle ne l’est pas, eh bien, où est le mal ? (…) Si une vie peut être évaluée en argent, alors sa valeur peut baisser, sou par sou, jusqu’à ce qu’elle soit nulle ». Althéa et d’autres Vestrit se demandent pourquoi elle est tant concernée par la question des esclaves. Après tout, elle n’est qu’une étrangère dans cette ville. Certains pensent qu’elle était elle-même esclave (« elle porte un anneau de liberté à l’oreille, vous savez, l’anneau que les esclaves affranchis de Chalcède doivent acheter et arborer pour prouver qu’on leur a accordé la liberté »). Le lecteur sait que la vérité est toute autre : l’anneau appartenait à Burrich qui l’a donné à Fitz qui l’a donné au Fou, en signe et témoignage de leurs liens.

Les esclaves sont nombreux à Terrilville. Les troubles qui éclatent leur permettent d’acquérir un nouveau poids. Ils sont une force à dorénavant prendre en compte. Ils sont devenus les Tatoués et réclament des droits et du respect. Sérille, la Compagne de Coeur du Gouverneur, prend cela en compte. Elle déclare que «  en qualité de représentant du Gouvernorat, je décrète que, dorénavant,il n’y aura plus d’esclaves à Terrilville ». Mais, faire changer les mentalités et des pratiques n’est pas si facile. Terrilville ne peut décider que pour Terrilville. Dans les évènements qui suivront de l’Assassin royal, on comprend que la ville a décidé d'agir(« Terrilville n’acceptait plus que les navires esclavagistes remâchent dans son port, qu’ils se rendent au nord en Chalcède ou au Sud à Jamaillia »).


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