Fitz et ses filles

A la mort de Molly, Fitz se retrouve le seul responsable de l'éducation de sa deuxième fille, Abeille. Ortie (sa première fille) et Crible sont sceptiques sur sa capacité à mener cela à bien. Il faut dire qu'Ortie en veut à son père : elle lui reproche de l'avoir éloignée de sa vie pendant une dizaine d'années.

En réalité, Fitz avait des motivations pour justifier ce comportement. Très tôt dans le récit, Fitz est déclaré officiellement mort et sa résurrection devient un énorme secret, seulement connu par certaines personnes (Astérie, Vérité, Kettricken, Umbre, le Fou, Caudron entre autres). Quand les dragons de pierre reviennent afin de débarrasser les Six-Duchés des Pirates Rouges, Fitz comprend qu'il a accompli son destin et s'en va vivre, après quelques péripéties à travers le vaste monde, dans une cabane non loin de Forge.

Ce qu'Ortie ne sait pas est que Fitz a gardé un œil sur elle, bien entendu par le biais de l'Art. Mais, il l'a également observée, ainsi que Molly et Burrich, par ses yeux et s'il a décidé de partir, c'est parce que cela lui occasionnait trop de souffrances. Lorsque Umbre apparaît à nouveau dans la vie de Fitz, il le met au courant des derniers événements, y compris la visite effectuée chez l'ancien maître des écuries royales. Et la réaction de Fitz est très révélatrice ; c'est comme si une porte s'ouvrait subitement sous un trop-plein de pression accumulée (« une foule d'autres questions se pressait dans mon esprit, mais je les repoussai. L'avidité avec laquelle j'avais posé ces deux-ci me faisaient horreur, mais je n'avais pas pu résister »).

Il faut dire que Fitz a toujours eu sa peur de causer du tort et du mal à Molly. Il la tenait à l'écart de ses activités d'apprenti assassin, il la mettait en garde contre la perfidie de Royal. Et sur la route d'Art, il eut conscience que Royal pouvait se servir d'elle pour le menacer. Il n'est donc pas étonnant de l'entendre dire au Fou, dans le tome sept Le prophète blanc, que « je n'avais aucune place dans leur vie, pas même aux plus lointaines limites de leur monde, je le savais, comme je le savais depuis le jour où j'avais compris qu'ils allaient se marier. »

En fin de compte, Ortie deviendra quelque temps une apprentie de Fitz, puis la Maîtresse d'Art et leurs relations n'auront jamais été véritablement celles entre un père et sa fille (« je ne vois vraiment pas ce que je pourrais avoir à dire à cet individu », Adieux et retrouvailles).

L'amour que Fitz n'a pas pu donner ou consacrer à sa famille, il l'a vraisemblablement donné au Fou. Sinon comment expliquer l'immensité de sa bêtise quand il apprend que le Fou n'est pas véritablement le fou ? Comment expliquer qu'il soit tant vexé et aille bouder dans un coin ? Comment expliquer qu'il reproche à son ami d'avoir différents déguisement alors qu'il en fait autant ? Certes, il apprend malencontreusement la vérité à cause de Jek… Nos deux héros finissent par surmonter les machinations de la Femme Pâle et le rêve du Fou se réalise : les dragons sont de retour ! Mais, le prix à payer est énorme, gigantesque ! Le Fou meurt ! Encore une fois, Fitz tente de se couper du monde : quand la bande retourne vers Castelcerf, il décide de rester en arrière pour trouver la dépouille de son ami. Le résultat est terrible : « mon rêve, je le tenais dans mes bras et il était mort. »

Et là se produit sans doute un événement important en ce qui concerne Abeille. Fitz ramène le Fou à la vie, des corps sont partagés. Plus tard, le Fou rendra même à Fitz son entièreté en lui rendant les souvenirs qu'il avait abandonnées à la Fille au Dragon. Le Fou se rend compte ensuite que Fitz compte le suivre dans son retour au pays natal et il ne peut tolérer une nouvelle fois que Fitz se détourne de Molly. Il coupe les liens : « Plus de fou. Mon ami d'enfance, mon compagnon d'adolescence avait disparu (…) Un homme à la peau brune et aux yeux noisette me regardait d'un air compatissant. »

Dans Fool's quest, nous apprenons qu'Abeille est à la fois la fille de Molly, de Fitz et du Fou ! La révélation est étonnante, saisissante. Nous savions que le Fou recherchait son fils et nous nous doutions de l'importance d'Abeille qui manifestait des qualités uniques (elle peut parler au fantôme d'Oeil-de-Nuit, elle consigne ses rêves dans un cahier, etc.). Et, nous avions également en tête où Abeille rencontre le mendiant et où il s'exclame « je vois ! Oh, ma lumière, mon soleil, d'où venez-vous ? Où étiez-vous ? » Et ces qualités, beaucoup de gens en doutent : les gens de Flétribois, sa propre famille qui la croit attardée.

Fitz aime énormément Abeille et est prêt à tout pour la protéger, même à poignarder son meilleur ami (précisons qu'il le prenait pour un mendiant causant du tort à sa fille).

Les derniers mots de Fool's assassin sont extrêmement explicites (« rien ne m'a prévenu en cette belle journée que la période la plus sombre de mon existence venait de s'ouvrir »). Car Abeille a été enlevée par les Serviteurs, un clan venant du pays du Fou et que celui-ci implore à Fitz de détruire (Fitz finira par se mettre en route dans le tome deux de la troisième trilogie).

On ne peut pas douter de l'intelligence d'Abeille ni même de son amour pour son père. Elle aime en lui sa force, sa robustesse, ses secrets, la crainte qu'il peut inspirer aux autres,… Il y a cette très belle scène au marché où Fitz intervient avec toute sa force et son cœur pour mettre fin à la vie d'une chienne maltraitée et abusée. C'est la méchanceté gratuite d'un homme qui a poussé Fitz à prendre la défense d'un animal et à tout risquer pour elle, sans réfléchir. Quand Crible ose faire la leçon à son père, elle prend la parole afin de prendre sa défense : « rappelez à ma sœur que mon père est un homme d'un grand courage, quand vous la verrez ; dites-lui que j'apprends moi aussi à être courageuse ». Et du courage, il lui en faudra pour supporter son enlèvement.