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mardi 11 juin 2024

La relation entre Sédric et Carson

On peut retenir de Sédric sa trahison envers Alise, son amie d’enfance : il s’est joué d’elle et a permis à l’infâme Hest de tromper sa femme. On peut aussi retenir son attitude avec les dragons, lui qui les a longtemps vus comme des créatures ridicules et a même voulu commercer leurs organes et leur sang. On peut être plus positif et observer la façon dont il s’est racheté, en partie, vis-à-vis d’Alise en tenant tête à un Hest débarquant à Kelsingra. Mais, ce qui définit le mieux Sédric est sa relation avec Carson ; elle illustre la façon dont il change et comment il finit par accepter ce qu’il est.


Quand Carson est introduit dans le récit, c’est de façon assez négative en apparence. C’est Leftrin qui présente son vieil ami à Alise. Même si ses mots peuvent paraître dépréciateurs, on sent derrière l’affection qu’il a pour un de ses plus vieux compagnons. Il dit Carson Lupskip qu’il est un « chasseur, fanfaron et ivrogne, pas nécessairement dans cet ordre ». D’ailleurs, on sent que Leftrin ou Carson sont des hommes bourrus, ce qui n’est pas nécessairement négatif. Ce sont des hommes qui ont passé leur vie à naviguer sur des eaux, notamment l’hostile fleuve du désert des Pluies. Ils n’ont pas pu acquérir la subtilité, les manières d’un Marchand. Sans doute ne le désirent-ils même pas.

Cet aspect direct se remarque quand Carson aperçoit Sédric pour la première fois. Là encore, on peut penser qu’il manque de finesse : « qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Carson à mi-voix, un sourire s’élargissant lentement sur ses lèvres ». Ce sourire peut être considéré comme moqueur puisque Sédric s’intègre très mal dans ce nouvel environnement. On peut aussi penser, avec le recul de la lecture, que c’est le premier signe que Sédric plait à Carson.

Sédric perçoit également un aspect ambivalent chez Carson, il ne sait pas comment le juger. Ce n’est pas que Carson le met mal à l’aise, c’est plus qu’il éveille en lui des choses inattendues (« le chasseur lui avait fait traverser le pont et l’avait assis à la table de la coquerie (…) il avait une voie basse et grondante, presque apaisante si on ne tenait pas compte de sa façon grossière de s’exprimer »). Visiblement, Sédric ne s’attendait pas à trouver ce genre de personnes lors de son exil forcé.

Sédric est d’autant plus désarçonné que Carson est franc avec lui et semble avoir très vite cerné son orientation sexuelle, le fait qu’il aime des hommes. Bien entendu, Carson ne le hurle pas, il ne le dit pas devant tout le monde. Il fait preuve d’une certaine discrétion car il a compris qu’il ne faut pas affoler Sédric (« il faudra qu’on discute un jour, murmura-t-il. Je crois que nous avons plus de points communs que vous ne l’imaginez ; nous devrions peut-être nous faire confiance »).

En attendant que Sédric fasse un geste, Carson décide d’occuper le terrain : il fait en sorte que Sédric le voit tous les jours. Cela laisse Sédric assez perplexe qui en vient à penser que Carson ne « pouvait pas le laisser tranquille ». Il a très bien compris la stratégie de Carson qui consiste à tout faire pour le croiser : « les chasseurs s’en allaient pendant la journée gagner leur salaire, mais si Sédric avait le malheur de se lever tôt ou de se risquer le soir dans la coquerie, l’homme apparaissait toujours sur son chemin ». 


Le manège, la tentative de séduction n’échappe pas à Leftrin. Si Alise est aveugle à ce qui se passe, si Sédric refuse pour le moment de se lancer, Leftrin a bien conscience que les deux sont attirés l’un par l’autre. Il a remarqué qu’ils avaient un point commun : leur attirance pour les hommes. Il remarque qu’ « ils sont du même genre tous les deux (…) ils se ressemblent assez dans les domaines qui les intéressent ». Quand il dit ça, le contexte est important : Sédric a été emporté par le fleuve et beaucoup le croient mort, sauf Carson. L’homme est prêt à tout pour retrouver celui qui lui plait.

Evidemment, Carson finit par retrouver Sédric. Cela est un moment propice à la confession, à la proclamation d’une vérité. Carson prend son courage à deux mains et admet, publiquement, ses sentiments : « je vous aime bien, Sédric, je vous aime beaucoup. Vous ne l’aviez pas encore compris ? (…) Je sais que vous avez quelqu’un qui vous attend à votre retour ; à mon avis, c’est un imbécile de vous avoir laissé partir ». Cette dernière remarque n’est pas anodine car, à ce stade du récit, Sédric n’a toujours pas réussi à se débarrasser de l’emprise de Hest. Même si ils sont séparés par une longue distance, Sédric ressent toujours une obligation de fidélité envers un homme qui le maltraitait.


Cette confession offre une nouvelle dynamique à leur relation. Avoir osé exprimer ses sentiments semble avoir libéré Carson. Il est plus tactile et Sédric est plus réceptif à ses avances. L’audace de Carson ne rebute pas Sédric : « il se rappela soudain la main de Carson effleurant son visage meurtri. Curieux comme la main calleuse du chasseur lui avait paru plus douce qu’aucune caresse du distingué Hest ». Pour la première fois de sa vie, Sédric trouve quelque chose dans laquelle Hest n’est pas la référence. Les vannes sont ouvertes et les deux partagent une nuit ensemble (« si tu as changé d’avis et que tu n’as plus envie de mourir, j’ai pensé à une autre activité pour ce soir »). Cela offre donc un nouveau souffle à Sédric, lui qui envisageait d’en finir avec la vie.


Mais, même si il aime ce qu’il fait avec Carson, sédric ne peut s’empêcher de le comparer avec Hest. 

Carson est bien différent : au lit, il n’est plus cet homme grossier et certain de lui. Il n’est pas celui qui cherche à prendre absolument les choses en main. Sédric est presque étonné de le voir si tendre, parfois en attente : « il avait imaginé ces mains vigoureuses sur son propre corps (…) pourtant, Carson se montrait tendre , voire hésitant ». Pour Sédric, c’est une révolution. Hest le dominait et savait mieux que lui ce qui était bon pour lui-même. Il le disait même avec un certain dédain, cette arrogance qui caractérisait si bien Hest (« inutile de me dire ce que tu veux, lui avait dit un jour son amant d’un ton méprisant, c’est moi qui décide ce que tu auras »).

Carson ne serait pas un si bon chasseur si il n’avait pas développé un instinct, la capacité à percevoir certaines choses. Il sent que quelque chose freine Sédric, l’empêche de se plonger véritablement dans leur couple. D’un ton conciliant, il dit qu’ « on ne peut rien commencer de nouveau tant qu’on n’a pas achevé l’ancien, Sédric ». Sédric est totalement perdu ; il ne sait pas qui il est ou qui il était. Il n’a pas réussi à dépasser la personne qu’il était avant. Sa relation avec Hest a grandement façonné ce qu’il est et il est compliqué pour lui de passer outre. D’une certaine façon, il est presque dans une situation de déni ou de louvoiement. Il refuse d’admettre qu’il est toujours influencé par Hest (« ce n’est pas vraiment à Hest que je pense, mais à ma vie à Terrilville, au personnage qu’il avait fait de moi… ou plutôt au personnage que j’ai accepté de devenir »). Il est intéressant de noter que Sédric semble finir par admettre qu’il est responsable de ses erreurs ; ce n’est pas parce que Hest a joué avec lui qu’il est exempt de toutes les fautes commises.


Il semble clair que Sédric ne pourra pas passer pour de bon à autre chose tant qu’il n’aura pas défié Hest. Pourtant, la chose semble compliquée tant la distance les sépare. 

Et, au-delà, la principale victime de Hest, Alise, n’a pas envie de brusquer Sédric. En effet, pour épouser Leftrin, Alise aurait besoin que Sédric témoigne des infidélités de Hest. Elle ne peut se résoudre à ça : « il est en train de se construire une nouvelle vie ici, et je ne veux pas l’arracher à Carson pour le ramener à Terrilville et faire de lui un objet de scandale et de plaisanteries cruelles ».

C’est donc un moment charnière qui s’annonce pour Sédric. Pour ne rien arranger, Carson doute. Carson doute de pouvoir offrir ce qu’il estime nécessaire à Sédric et il doute aussi que Sédric s’habitue à cette vie fruste, dure. Son ton, ses paroles transpirent toute son hésitation, toute sa peur car on lit que « tu as l’habitude de mieux, Sédric ; tu mérites mieux, mais je ne vois pas ce que je peux y faire ». Autrement dit, Carson ne voit pas de solution : il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Sédric, lui, prend mal ce genre de remarque. Il se dit que Carson le voit comme un enfant qui a besoin de protection, qu’il est faible. Quand Carson sous-entend que la vie le long du désert et du fleuve des Pluies n’est pas faite pour lui, Sédric est vexé (« il s’en voulait de réagir si mal aux paroles de Carson, et encore plus de sentir ses yeux le piquer. Non, pas question de pleurer ; cela ne ferait que confirmer que son compagnon avait raison »). 

Mais, Sédric aurait-il pu survivre dans cette partie du monde en étant faible ? 


Carson et Sédric traversent donc une période compliquée en tant que couple. Ils apprennent à se connaître, à trouver la façon d’être l’un avec l’autre, d’accorder à l’autre son espace. D’un point de vue extérieure, leur couple est acceptée ; le fait qu’ils soient deux hommes ne dérange pas les autres. Quand il cherche des conseils sur la façon de conquérir le coeur de Thymara, c’est eux que Tatou vient voir (« vous, vous avez l’air heureux, comme si vous étiez partis du bon pied et j’avais l’impression que, de tout le camp, c’était à vous que j’avais intérêt à m’adresser »).


Toutefois, le pire est à venir : Hest arrive. Le manipulateur fait tout pour briser ceux qui ont réussi à défaire son étau. Hest est consterné de voir que Sédric et alise ont réussi à se construire une vie loin de lui. Il le prend mal et tente de leur faire du mal.

En ce qui concerne le couple Sédric/Carson, il tente de séduire le protégé de Carson, Davvie (« quelle meilleure manière de se venger de Sédric et de son fichu Carson qu’en séduisant ce garçon »). Pour Hest, c’est une entreprise aisée tant Davvie ne peut résister à son charme et à sa manière d’être.

En ce qui concerne Alise, Hest tente de la briser. Il ne peut admettre qu’elle soit heureuse avec un autre homme. Il lui rappelle qu’ils sont toujours mariés, il parle presque d’elle comme si elle était sa chose, sa propriété. Si Hest est aussi confiant, c’est parce qu’il est convaincu que personne ne se dressera face à lui, surtout pas Sédric. Il se trompe. Sédric ose répondre à Hest ; il lui rappelle que les deux ont été complices des saletés faites à Alise. Pour Sédric, c’est une libération alors que pour Carson, c’est la confirmation que Sédric est un être à part (« je suis fier de toi, petit Terrilvillen »). Pour Alise, c’est à la fois la fierté de voir Sédric enfin se débarrasser de l’emprise de Hest et la beauté de leur couple (« Alise se prit à sourire, autant de bonheur pour les deux hommes qu’à cause de l’expression abasourdie de Hest »).


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