La civilisation progresse et les Ocellions reculent. Avec ces derniers, c'est la nature qui s'effondre alors qu'une route est construite. Elle doit offrir un nouveau débouché aux gens du royaume de Gernie. Ils se moquent de ce peuple, ne voyant en eux que des sauvages, perdus dans des traditions dépassées. Mais, la progression de la route est entravée par un sentiment de désespoir et de crainte qui s'abat sur les travailleurs. Cela est dû à une magie : la danse de la poussière.
C'est une activité épuisante qui mène les Ocellions à la limite de la vie. Bon nombre en meurent d'ailleurs. C'est d'ailleurs ce que dénonce Dasie, une Opulente : « ils dansent jusqu'à en perdre l'esprit, jusqu'à ne plus être que des corps en mouvement, que des fuseaux qui filent ta magie. Et puis ils meurent ». Des Ocellions y laissent donc leur vie et pour bien peu de choses car la route continue de progresser.
Olikéa, en parvenant à arracher son fils Likari de l'emprise de la magie, se rend compte à quel point elle demande de l'énergie, à quel point elle vide ceux qui sont touchés (« qu'il est maigre ! (…) On sent chacune de ses vertèbres ; et regarde ses cheveux comme ils sont rêches et secs ! »).
A vrai dire, la magie ne laisse aucune place, aucune possibilité de s'y soustraire. Quand l'appel résonne, on ne peut que s'y plier : « ils n'entendent rien de ce que disent leurs amants ou leurs enfants, ils ne voient rien, ils refusent de manger et de dormir tant qu'on ne les laisse pas partir ». Olikéa, à travers l'expérience de sa mère, nous décrit ce qu'est un appel. C'est une sensation qui vous prend à la gorge (« l'appel est survenu. Nous l'avons tous senti, comme un frisson glacé dans le dos, ou le picotement de la peau qui demande à ce qu'on la gratte, ou peut-être comme une soif (…) ma mère s'est levée, a commencé à danser et s'en est allée dans la nuit en dansant »). C'est un ordre impérieux et qui devient vital pour ceux qui sont touchés.
Elle vide donc les Ocellions de toute leur énergie. Quand Fils-de-Soldat se sacrifie et décide d'y participer, il comprend ce que cela fait : « chaque fois que mon pied tapait sur le sol, le choc se répercutait dans mes muscles et mes os (…) il ébranlait ma charpente, effilochant les tendons et déchirant les vaisseaux sanguins ». La sensation est donc affreuse et douloureuse. Mais, assez bizarrement, ceux qui participent à la danse ne font rien pour y échapper. Si on peut penser que c'est à cause de l'emprise de la magie, on a une autre explication avec Fils-de-Soldat : « comme le tempo s'accélérait, mon plaisir s'accrut aussi ; j'avais oublié quel bonheur c'était de danser (…) Mon poids ne comptait pas (…) il y avait une danse en moi qui se faisait soudain connaître (…) je voulais danser à jamais ». Il y a donc une sensation grisante, presque le bonheur de participer à cette danse. Elle est comme une drogue.
Elle est menée par Kinrove, le plus puissant des Opulents. Il informe les autres Opulents, et le lecteur, que « nous avons découvert que la seule magie efficace à l'intérieur de leurs murs, c'est celle de la Danse de la Poussière ». Pour Kinrove, sa magie est la seule façon de tenir leurs adversaires à l'écart. Si il sacrifie tant de gens de son peuple dans une danse épuisante, ce n'est pas par plaisir. La fin justifie les moyens quand il dit que « si je ne leur barre pas la route par la peur, ils franchiront mes barrières et détruiront les arbres des ancêtres ». Autrement dit, il s'agit de défendre leur culture et leur histoire.
Kinrove a bien conscience que la magie demande beaucoup au peuple et aux différentes tribus des Ocellions. Il se doute que cela lui crée des inimitiés ; mais il n'a pas le choix. Il fait tout cela pour la survie des Ocellions.
D'ailleurs, à l'écouter, il ne contrôle pas la magie. Il n'est qu'un intermédiaire : « c'est la magie qui appelle les danseurs ; je me borne à la diffuser. Chaque année, elle va dans un clan différent, elle convoque, et certains répondent à cette convocation (…) et, à leur mort, on les enterre avec respect. Leur vie nous a bien servis ». Ces mots peuvent paraître froids pour les proches des victimes. Pour Kinrove, les choses sont différentes : la magie offre la possibilité à tous de participer à un but commun, lui compris. Lui aussi en paie le prix (« je suis la danse, elle est moi et je fais partie d'elle (…) Je danse Fils-de-Soldat, peut-être pas aussi énergiquement qu'à l'époque où je suis devenu Opulent, mais, depuis que la magie s'est éveillée en moi, chacun de mes mouvements participe à la danse »). Comme tous les autres Ocellions qui dansent, Kinrove souffre également. Plus tard, quand il se joindra à la danse via Fils-de- Soldat, Jamère se rendra compte que Kinrove dit la vérité. On lit que « j'aperçus l'image virevoltante de Kinrove dans le fauteuil qu'on lui avait apporté ; il affichait une expression grave, mais ses mains bougeaient à l'unisson des mouvements de Fils-de-Soldat, comme s'il les conduisait ».
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