Être une femme à Chalcède n’est pas une chose aisée, c’est encore plus compliqué lorsqu’elle est la fille du duc de Chalcède. Votre corps, votre volonté, vos envies, tout cela ne vous appartient pas. Chassim est un objet de troc, un levier de pouvoir. Elle ne sert qu’à avoir des héritiers, par tous les moyens, même le viol dans le cadre légitime d’un mariage arrangé. Car on apprend que Chassim a été mariée trois fois malgré son jeune âge : « son premier mari l’avait laissée veuve à quatorze ans », « son second époux (…) avait tenu six mois avant de succomber à une maladie de l’estomac », « son dernier mari était mort trois ans plus tôt ». Avoir survécu à trois mariage montre la force de Chassim. Dans ce pays où la femme n’a quasiment aucun droit, elle parvient à rester en vie. Surtout qu’elle doit également faire avec les machinations politiques liées au pouvoir, du duc et de son chancelier Ellik. Chassim est une femme bonne à épouser : celui qui la mariera régnera (le duc fait remarquer que « s’il mourait sans hériter mâle, sa fille aînée et son mari pourraient gouverner jusqu’à la majorité de leur premier fils »).
Cela soulève des appétits, notamment celui d’Ellik. Il ne suffit pas à ce dernier de murmurer aux oreilles du duc, il veut le pouvoir, il veut être le leader. Ellik a beau être marié, il anticipe déjà la future mort de sa femme : il en parle franchement au duc (« je serai bientôt veuf et libre de me remarier. Pour mes nombreuses années de loyaux service, vous me donnerez votre fille en récompense »). On sent bien qu’Ellik est ambitieux, prêt à tout. Il est d’ailleurs celui qui informe le duc que sa fille a des propos séditieux : « sa poésie s’apparente plutôt à un appel aux armes, à un appel au rassemblement et au soulèvement des femmes en Chalcède afin de l’aider à hériter de votre trône ». Cet exemple illustre bien également la force de caractère de Chassim ; elle est loin d’être une enfant soumise qui obéit aux désirs de son père et aux traditions ; elle veut bousculer les choses. Ellik veut la mettre au pas : il va la domestiquer, l’apaiser, la remettre à sa place. Il lui fera un enfant et elle se comportera en bonne mère (« elle continuera d’écrire ses poèmes (…) il parlerait du bonheur d’être marié, d’avoir un amant expérimenté, et de bientôt tenir un bébé dans ses bras. Ses crocs seront arrachés, son venin dilué en tisane »).
Entendre cela crée un réel contentement de la part du duc. Bien entendu, il regrette que ce ne soit pas un garçon mais il éprouve quand même du respect pour Chassim (« Chassim était bien sa fille ; une épineuse fierté naquit en lui. Si seulement ç’avait été un garçon, il lui aurait trouvé une grande utilité »). Il réitérera plus tard cet avis : « elle me ressemble plus qu’à sa mère (…) j’aurais dû m’en rendre compte il y a des années. Elle tient plus de moi qu’aucun de ces fils qui m’ont tous déçu ». Car, il y a de fortes rumeurs qui disent que c’est Chassim qui aurait tué ses différents maris.
La rencontre avec Selden va changer les choses. Elle va tomber sur un jeune homme en besoin d’affection, en besoin d’aide. Selden et elle vivent la même chose en devant prisonniers du duc de Chalcède. Ils sont retenus, battus, humiliés. Les deux servent à assurer l’autorité et la mainmise du duc : Chassim doit trouver un bon mari et le duc est convaincu que le sang d’un Ancien peut l’aider à vivre plus longtemps. Chassim résume efficacement la situation en disant que « c’est pourquoi je dois te débarrasser de ton infection, te laver et te donner à manger et à bore comme une vache engraissée pour l’abattoir. Toi et moi, nous sommes son bétail dont il peut faire ce qu’il veut ». La nécessité rapproche donc les deux jeunes gens : Chassim doit faire le sale travail dans un premier temps puis elle développe de l’attachement pour Selden.
Confiante, Chassim s’ouvre à Selden. Elle lui dit que son avenir est bien sombre. Elle sait qu’elle va mourir (à propos de son futur mari : « il ne lui faut qu’un seul fils de moi pour établir une régence que les autres nobles ne contesteront pas ») et elle affronte dignement la situation. Toutefois, les deux jeunes gens vivent des moments bien pénibles : Selden est battu au point d’être évanoui et Chassim est violée, les deux par Ellik. Elle confesse, de façon détachée, à Selden ce qui s’est passé : « il m’a seulement violée et même pas de façon très imaginative : strangulation, gifles et viol. Le grand classique (…) Tu croyais que c’était la première fois ? Non. Ou bien veux-tu feindre la surprise et prétendre que les hommes ne font pas ça ? » Ce bien malheureux et dur instant renforcera le lien entre les deux : Selden avouera lui aussi avoir été violé et Chassim lui offrira son écoute. Ce n’est pas parce que Chassim en parle froidement qu’elle ne ressent rien, qu’elle n’est pas marquée par ce qu’elle a subi. Elle offre sa compassion à Selden, elle lui affirme qu’il y a une vague de colère en elle (« j’ai entendu des gens, d’autres femmes, s’en moquer, en parler comme d’un acte que certaines femmes méritent ou d’une façon de pimenter la chose (…) j’ai envie de les gifler et des les étrangler jusqu’à ce qu’elles comprennent »).
Elle avoue à Selden avoir eu des ambitions politiques. Elle a dû renoncer, elle a baissé les bras. Ses efforts ont été contrés par son père et Ellik. Elle explique à Selden que « les nobles que j’ai tentés de rallier à ma cause se sont révélés aussi dépourvus de pouvoir que moi ; j’avais concocté une utopie pour donner du sens et de l’espoir à ma vie, et elle n’existe plus désormais ». Humiliée, privée de tout espoir, violée, Chassim est à deux doigts d’abandonner. Les événements à suivre vont lui donner raison sur l’inéluctabilité de sa mort : les dragons arrivent et vont ravager la ville de Chalcède. Ce sera un réel carnage causant de nombreuses morts et destructions. Elle demande alors à Selden un dernier moment de bonheur, un petit moment de plaisir. Il lui offre, ils s’embrassent : « être touchée par un homme avec délicatesse… dit-elle, comme si elle découvrait une merveille qui faisait oublier les dragons dans le ciel ».
L’arrivée des dragons change tout. Le duc est mort, Ellik chassé. La situation à Chalcède est inédite. Un compte-rendu à Umbre montre que Chassim a réussi à conquérir le pouvoir, même si le poids de la tradition va bien compliquer les choses (« la fille du duc de Chalcède s’est présentée comme alliée des dragons et de leurs gardiens, et elle affirme à présent être en toute légitimité la duchesse de Chalcède (…) Les Chalcédiens n’accepteront sans doute pas d’être gouvernés par une femme, même soutenue par les dragons »).
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