Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses. Keffria, tu remontes dans notre estime. Il était une fois Clerres.

Article épinglé

Petit-Furet dans la légende

Il existe des personnages qui paraissent anodins et qui ont un grand impact sur l’histoire. Il existe des personnages qui accomplissent des ...

dimanche 19 septembre 2021

Keffria, une femme rabaissée ?

Les romans des Aventuriers de la Mer ont leur lot de personnages qui décident de prendre leur destin en main : Kennit, Althéa, Malta. D’autres subissent les événements mais luttent quand même pour ne pas se faire emporter par la vague : Ronica. Et puis, d’autres encore, apparaissent presque résignés : Parangon la vivenef maudite et Keffria en sont de bons exemples. Keffria est entourée de gens charismatiques, énergiques et volontaires : Ronica gère fermement sa famille, Althéa contrarie son destin de seconde fille en voguant sur la Vivacia, Malta commence à s’épanouir en tant que femme. Quelle place peut elle alors avoir ?

Quand démarre l’histoire, son père Ephron est en train de mourir. Ce décès annoncé va créer de grands changements dans la famille et va bousculer toutes les cartes. Contre toute attente, Ronica force la main d’Ephron et le pousse à choisir Keffria comme principale héritière, au détriment d’Althéa. Sans doute la considère-t-elle comme plus malléable et plus encline à respecter les conditions de l’héritage. Même dans cette situation, là où on pourrait croire que des liens familiaux suffiraient pour que Ronica prenne soin de sa sœur, on lui impose des conditions (« Keffria était au courant de son héritage (…) le document établi clairement qu’elle doit continuer à pourvoir aux besoins de sa sœur jusqu’à son mariage (…) Keffria est donc tenue, non seulement par le sang, mais aussi par écrit de bien te traiter »). Si Keffria a choisi son mari (Kyle, un chalcédien !), cela n’empêche pas sa mère d’avoir des regrets, vains puisque trop tard. Mais, elle les exprime quand même et ça pèse sur le moral de sa fille. Même si la mère aime sa fille, cela ne fait que renforcer l’idée de la vision utilitariste des enfants et du poids des traditions (« tu aurais peut-être dû épouser le fils d’une famille de Marchands ; nous n’en serions peut-être pas là si tu t’étais mariée avec quelqu’un davantage habitué à nos coutumes »). Ronica accuse clairement Keffria d’être responsable des maux de la famille Vestrit. Keffria a un avis différent. Selon elle, tout a commencé à décliner des années auparavant. Elle pointe du doigt « la Peste Sanguine » qui « avait mis fin ces jours heureux ». Elle insiste en pensant qu’elle « avait l’impression que toute joie, tout enjouement, tout bonheur simple avait péri dans la maison en même temps que ses frères ».

Keffria a épousé Kyle parce qu’il lui plaisait. Ensemble, ils ont eu trois enfants : Malta, Hiémain et Selden. Kyle, commerçant sur les navires, a laissé l’éducation des enfants aux mains de Keffria. Keffria héritant des affaires Vestrit, c’est Kyle qui dirigera la Vivacia, la vivenef. Or, il faut obligatoirement un Vestrit à bord. Ce ne peut être Malta (c’est une fille) ou Selden (il est trop jeune). Le rôle est donc dévolu à Hiémain. Kyle doute des capacités de son fils, il passe son temps à l’humilier, à mettre en avant son manque de virilité. Il reproche même à Keffria d’avoir suivi les traditions de Terrilville en le confiant à la prêtrise de Sâ (« tu as pourri ce gosse en l’envoyant chez les prêtres »).

Kyle va bien plus loin. Il attaque sa femme sur son physique, sur son apparence. Il a bien vu à quel point Keffria a du mal à gérer l’impétueuse Malta et il met ça sur le compte de la jalousie. Il pense que Keffria ne supporte pas de voir une Malta pleine de vigueur et de rêves, une Malta qui lui tient tête (« tu es furieuse par que ta fille est passée par-dessus toi ! ») Il en profite pour lui faire des reproches sur leurs premières années de mariage, son manque d’ardeur pour le sexe, sa passivité (« je n’ai pas oublié ce que tu étais avant notre mariage, ni le fait que ta mère te retenait dans ses jupes (…) Rappelle-toi tout le temps qu’il m’a fallu pour t’éveiller à ta sensualité de femme (…) je ne tiens pas à voir Malta, une fois adulte, aussi timide et complexée que toi »).

Les liens ne sont pas meilleurs avec sa sœur Althéa. Elles semblent avoir une nature différente puisque Althéa adore les bateaux et la mer alors que Keffria est bien plus casanière. On peut aussi penser que l’incident entre Devon et Althéa (un jeune marin a profité de la naïveté d’Althéa pour coucher avec elle) les a séparées. Althéa s’est confiée à sa sœur et n’a récolté aucun soutien, que des reproches : « elle s’est montrée terrifiée. Elle s’est mise à pleurer, et elle m’a déclaré que je n’avais plus d’avenir, que j’étais une prostituée, une traînée, que j’avais jeté l’opprobre sur la famille. Puis elle a refusé de me parler ».

Sa fille, Malta, ne supporte plus l’ambiance lourde et oppressante depuis la mort d’Ephron Vestrit. Elle rêve de belles robes, d’être courtisée. Et pour cela, quoi de mieux que le bal des Moissons ? Malheureusement pour Malta, Keffria refuse qu’elle y aille. La jeune femme finira par y aller discrètement mais sera surprise par un ami de la famille qui la ramènera chez elle. S’ensuit une violente dispute où Malta balance à sa mère ses quatre vérités. Les mots sont durs, crus, violents. Elle lui hurle que « tu veux que je devienne une rombière mal fagotée comme maman et toi ! » Keffria prend alors conscience que sa fille est gâtée et pleine de caprices, qu’elle doit se pencher sérieusement sur son éducation et pas la déléguer à des servantes (« c’est moi qui m’occuperai de Malta désormais (…) Tu doutes peut-être que j’y parvienne ; moi-même, j’en doute. Mais je vais essayer ; voilà ce que je sais »). Keffria va donc s’atteler à cette tâche immense en sachant que sa propre mère est sceptique quant à ses chances de réussite. Keffria apparaît comme une femme fragile ; des années d’étroite surveillance de la part de ses parents l’ont convaincue qu’elle n’était pas capable de grand-chose. Malgré tout, on note très vite de petits changements, comme cette pointe d’humour qui fait peur à Malta (« un jeune homme qui roule sur l’or, voilà ce qui ne ferait pas de mal à notre famille en ce moment »). En laissant croire à sa fille qu’elle pourrait la marier pour le bien de tous, elle la remet à sa place. Cela rappelle aussi au lecteur que Keffria est dorénavant la Marchande de la Famille dans un contexte compliqué : les Pirates, moins de commerce suite à la guerre des Six-Duchés contre les Outriliens, la menace de Chalcède.

Keffria a bien conscience de ne pas avoir l’impétuosité de Malta ou l’audace d’Althéa. Elle a été la bonne fille, le gentille fille bien sage : « je ne crois pas vous avoir jamais fait passer une nuit blanche, à papa et toi. J’étais une enfant modèle, je ne me rebellais jamais contre vos décisions, j’obéissais à toutes les règles et je devais récolter plus tard les fruits de ma vertu. Du moins je le pensais ». On sent là pointer des regrets. En veut-elle à ses parents ou à l’époque troublée ? Elle fait des premiers reproches à sa mère qui ne lui a jamais réellement montré comment faire, qui a passé son temps à faire à sa place (« te rends-tu compte à quel point j’ai toujours eu l’impression d’être stupide et bonne à rien ? »)

C’est sans doute pour ça que les moments où elle redresse la tête sont suivis de moment d’abattement. Par exemple, après une maladresse de Malta, la famille Trell vient demander des comptes. Là, Keffria se dresse pour protéger sa fille et l’honneur familial (« on n’offense pas non plus les Vestrit (…) son inflexion était si semblable à celle qu’aurait pu avoir son père que Ronica en resta pétrifiée »). Mais, cela ne dure pas et Keffria tombe dans l’apitoiement. Elle retrouve sa position de femme soumise et obéissante (« un jour, tu vas mourir et je cesserai de me trouver prise entre le marteau et l’enclume ; peut-être laisserai-je alors toutes les responsabilités à Kyle pour ne m’occuper que de mes jardins »). La situation de Keffria est clairement fragile. La volonté de femmes comme Ronica et Malta lui renvoie sa passivité, sa langueur en plein visage.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire