Frère
du roi Subtil, Umbre est un des maîtres de Fitz. Assassin discret,
conseiller diplomatique, homme aux multiples identités et curieux,
il va dispenser de nombreuses leçons au bâtard royal et devra même
les répéter plusieurs fois tant celui-ci est têtu.
Très
tôt dans la trilogie, Umbre met en garde Fitz et l'informe de son
rôle. Car Fitz a un statut particulier : certes, il est le fils
d'un prince mais il n'est pas légitime. D’ailleurs, Fitz devrait
en avoir conscience, il a entendu les paroles de Royal lors de sa
visite à OeildeLune et les reproches formulés par la reine Désir
(Royal devrait être tout en haut dans la ligne de succession). Umbre
lui dit donc que « tant que tu ne manifesteras pas d'ambitions
inopportunes, tout ira bien pour toi (…) ». Il lui précise
également que « nous appartenons au roi, mon garçon ; à
lui exclusivement, d'une façon à laquelle tu n'as peut-être pas
encore réfléchi ». Il convient de préciser que les
difficultés de Fitz à rester à sa place ne viennent pas
essentiellement d'un caractère obstiné mais aussi du fait qu'il
n'est qu'un enfant quand commence sa formation.
Ce
n'est qu'un meurtrier, un tueur, rien de plus. Pour Umbre, il n'y a
pas de noblesse à faire ce qu'ils font, pas d'élévation morale,
pas de grandeur à acquérir ; Fitz ne doit surtout pas se faire
des idées (« ne cherche jamais à te croire autre chose que ce
tu es, tout comme moi : un assassin. Nous ne sommes pas les
agents miséricordieux d'un roi plein de sagesse mais des assassins
politiques qui donnent la mort pour permettre à notre monarchie de
se maintenir. ») Il ne s'agit pas d'être bon ou de livrer des
duels en public mais de tuer discrètement, dans l'ombre.
Et
ce statut d'assassin doit être pleinement assumé et devenir le seul
véritable costume. L'alternative n'existe pas. Plus que devenir un
assassin, c'est l'existence entière de Fitz qui lui échappe et
c'est ce message qu'Umbre aura le plus de mal à faire entrer dans sa
tête (et Fitz, dans celle de Molly ou Oeil-de-Nuit). Umbre lui fait
une sévère mise au point au retour des Montages : il doit
cesser de voir Molly ! Les mots employés sont secs, sans doute
choisis pour marquer Fitz et le remettre sur le chemin (ce qui ne
fonctionnera pas) : « t'imaginais-tu pouvoir mener deux
existences ? Nous appartenons au roi (…) nos vies sont à lui,
chaque instant de chaque journée, que nos soyons éveillés ou
endormis. Tu n'as pas de temps à consacrer à tes soucis
personnels. » Ce sont des conseils que Fitz n'écoutera pas et
qui lui joueront des tours lorsque les intrigues politiques se
mêleront à ses soucis amoureux.
Nombreux
sont ceux qui soulignent à Fitz sa condition de bâtard, Umbre en
fait partie. On peut même trouver un écho avec des paroles de Royal
(« tu es le misérable bâtard d'un petit prince qui n'a pas eu
le courage de devenir roi-servant »). Si beaucoup utilisent le
terme de bâtard comme une insulte, Umbre n'oublie pas qu'être
prince (ou fils légitime de prince) engendre des responsabilités et
la possibilité de faire des choix (ce qui n'est donc pas le cas de
Fitz). On a ainsi pu lire à maintes reprises que Fitz n'est qu'un
outil, pas autre chose. Et s'il n'est qu'un outil, c'est que son père
a tourné le dos à ses devoirs et l'a privé de la possibilité
d'être autre chose (« tu es le rejeton illégitime d'un homme
qui a refusé de devenir roi, qui a abdiqué. Et, par cette
abdication, il s'est déchargé de la nécessité de porter des
jugements »).
Malheureusement,
Fitz aime provoquer le changements, se jeter sans réfléchir dans la
bataille, c'est un catalyseur comme le dit si bien le Fou. C'est un
des plus gros reproches que lui fera Umbre après sa crise de colère
(Le poison de la vengeance) envers Umbre : « quand tu
joues de ta propre initiative, tu mets toute autre stratégie en
porte-à-faux et les autres pions en danger. »
Umbre
a de profondes et solides attaches pour les Six-Duchés. Quand les
Pirates Rouges commencent à livrer leur guerre, il a bien conscience
de la précarité du royaume et de la maigreur de ses défenses. Il
en fait la remarque à Fitz : « Et le royaume défaille,
car chaque bourg devant décider seul, il se sépare du tout (…)
tout ce que le roi pourrait faire dans la situation présente
vaudrait mieux que cette satanée indécision ». On pourrait
être étonné de le voir critiquer le roi Subtil mais on comprendra
plus tard que c'est plus qu'une affaire de personnes.
Fitz
pense à se lancer dans une petite vendetta personnelle contre les
empoisonneurs de Subtil mais Umbre lui remet à l'esprit ses devoirs,
ce pour quoi il existe et les raisons de sa formation d'assassin ;
« tout est affaire de foi, mon garçon. Crois-tu en ton roi ?
Attends, ton roi, ce doit être plus que le brave vieux Subtil ou le
gentil Vérité (…) ce doit être le roi, le cœur du royaume, le
moyeu de la roue ; alors, et si tu es convaincu que les
Six-Duchés valent d'être préservés, qu'on peut faire le bien du
peuple en dispensant la justice du roi, eh bien, telle est la
différence ». On voit qu'il a longuement réfléchi aux
équilibres, du royaume, à ce qui maintient son unité. Il fait
également preuve de considération et montre de l'importance pour
les habitants même si il ne les gouverne pas officiellement et que
ceux-ci n'ont aucune idée de son existence. Il n'attend ni
reconnaissance ni applaudissements. On en a l'illustration lorsqu'il
arrive à Forge et voit ce qui s'est déroulé (la destruction de la
ville par les Pirates Rouges) : « ce sentiment que ces
gens ne font qu'un avec toi, que leur catastrophe est ton échec
personnel. Tout ça te viendra les années passant. C'est dans le
sang ».
Et
comme Fitz, on est frappé en pleine face en lisant ses exclamations
après la révélation de Kettricken (attaquée par les forgisés, la
reine décide de leur offrir une mort propre et adresse un fort
discours à son peuple). Il sent en elle les prémices d'une future
grande reine, d'une personne qui aime réellement son peuple, qui
pourra les guider en ces temps difficiles et qui n'a pas encore été
salie par les calculs politiques (« nous n'avions plus de
gouvernail, les vagues nous ballottaient, nous martelaient et les
vents nous poussaient à leur gré »). Fitz fait alors un
commentaire qui montre à quel point Umbre avait été heurté par
les difficultés (« je compris alors que son effervescence
était en réalité la crête d'une lame de fureur et de chagrin »).
Servir
son royaume implique d'être prêt à tout. On a vu que Fitz avait
été amené à tuer, il doit aussi penser à devoir donner sa propre
vie. Ce sont les mots qu'il entend de la bouche de son mentor
(« toi, moi, même Vérité s'il le jugeait nécessaire pour la
survie du royaume »). D'ailleurs, en quelque sorte, les trois
auront été sacrifiés par Subtil : Umbre devant vivre en
reclus, Vérité perdu dans sa guerre d'Art et envoyé chercher les
Anciens.
Faire
des choix implique de devoir les respecter et aussi renoncer à des
possibilités. Tout n'est pas permis quand on est roi ou prince et
les fautes se paient. C'est ce qui est arrivé à Chevalerie ;
ou plutôt c'est la punition qu'il s'est infligé lui-même. Umbre
avertit Fitz qu'il ne verra jamais son père revenir au pouvoir ou au
château royal (« même si le peuple entier le voulait, je
doute qu'il aille à l'encontre du destin qu'il s'est forgé ou des
désirs du roi »).
Et,
cela peut aussi être des sacrifices qui dépassent sa propre
personne. On peut illustrer ceci avec Ortie, la fille de Fitz et
Molly : quand Fitz finit par se rendre dans les Montagnes pour
retrouver Vérité, il tombe en chemin sur Umbre, Kettricken et les
autres. Umbre lui rappelle qu'il est toujours lié par son serment
d'allégeance et que dans ce cas-là, c'est Ortie qui doit être
utilisé, qui doit devenir l'outil (« je ferai tout pour
remettre un véritable Loinvoyant sur le trône des Six-Duchés ») ;
on a aussi à ce moment une prise de conscience de Fitz à propos de
la façon dont Umbre le considère (« sa foi en moi était
telle qu'il n'hésiterait pas à me plonger au cœur de n'importe
quelle bataille, à exiger de moi n'importe quel sacrifice »).
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