Robin
Hobb nous propose de suivre Fitz de son adolescence. Celui-ci change,
grandit physiquement, rencontre l'amour, se forge des amitiés et des
ennemis. Il s'affirme également dans le discours. A la fin de la
trilogie, il ne reste pas grand-chose du gamin qui répond timidement
à Vérité quand le prince l'interroge sur son identité.
S'il
n'est pas un modèle d'éloquence comme Royal, s'il ne jongle pas
avec les mots comme le Fou, il sait quand même, si nécessaire,
manier les mots.
A
travers cinq exemples, nous allons voir Fitz dans différentes
situations où il est amené à s'exprimer pour convaincre des
individus.
«
Car je serais fière de marcher sans ornement devant le roi et les
gens du commun, sachant que les dépenses qui protègent notre peuple
sont les joyaux de notre terre »
Fitz
vient de commencer son apprentissage d'assassin quand le Roi Subtil
lui confie une première mission : savoir la raison pour laquelle une
tour de guet n'est pas correctement approvisionnée en fournitures et
hommes. Il découvre rapidement que le noble dépense son argent pour
contenter sa femme, et un soir il se retrouve seule avec Dame Grâce
dans les cuisines du château. Alors qu'il vient de sauver le chien
de celle qu'il prenait pour une simple servante, il se rend compte de
qui elle est et la dame lui propose d'exaucer un vœu de son choix.
Or, Burrich venait de lui raconter une anecdote sur Chevalerie (son
père) et ses bijoux. Plus tard, on apprendra que Fitz a tout fait
pour en apprendre sur son père ; il n'est donc pas étonnant qu'il
ait été influencé par l'histoire racontée par le maître
d'écuries. Il faut également prendre en compte la personnalité de
Dame Grâce, sans aucun dote sensible aux propos de Fitz : elle est
une jeune femme qui évolue dans un monde très différent du sien,
sensible aux belles paroles, et qui vient d'endosser un costume de
Dame. Elle cherche donc une façon de l'endosser pleinement. La
référence aux gens du commun fait donc mouche.
«
C'est mon peuple (…) Il y a très longtemps un vieil homme m'a dit
qu'un jour je comprendrais quelque chose. Il a dit que les gens des
Six-Duchés étaient mon peuple, que c'était dans mon sang de les
protéger, de ressentir leurs blessures comme les miennes »
Ces
quelques mots de Fitz sont d'autant plus marquants qu'il vient de
subir un grand choc. En effet, une gamine vient de mourir dans ses
bras, chassée par des forgisés. Lui-même en a laissé des morceaux
de peaux et quelques blessures. A cette époque, Fitz est encore un
jeune cheval fougueux, un pion qu'on est prêt à sacrifier pour
telle ou telle mission périlleuse. Ce n'est pas un hasard s'il est
entouré de ces deux mentors à ce moment-là ! Burrich et Vérité.
D'ailleurs, Burrich doute du bien-fondé d'envoyer Fitz accomplir de
telles missions. Le vieil homme nous évoque Umbre et les propos
qu'il avait tenus lors de leur escapade à Forge. On peut aussi
mettre en avant une différence, une opposition avec le prince Royal
qui se moque de son attachement pour le peuple. Un peu plus tard,
Fitz prendra conscience que le seul rempart efficace entre son peuple
et la barbarie des pirates est l'effort d'Art du prince Vérité.
«
Je ne suis pas roi, je ne suis pas prince, je ne suis qu'un bâtard,
mais un bâtard qui aime Cerf (…) Que Royal courre se terrer dans
l'Intérieur ; quand les chiens qui lui reniflent les talons seront
partis, je serai à votre service »
Trahison
ou non ? En tout cas, Fitz vient de faire sa déclaration d'intention
lors d'un face à face avec le vieux duc Brondy. La situation est
catastrophique : Vérité est partie à la chasse aux Anciens,
Kettricken est une étrangère, Subtil est trop vieux et les duc
refusent de faire confiance à Royal. Certains, ceux des duchés
côtiers, se tournent donc vers Fitz pour qu'il prenne le pouvoir.
C'est un exercice de réponse délicat qui attend Fitz, car les mots
qu'il emploie peuvent faire basculer le royaume dans une guerre
civile. Il affirme son soutien à Kettricken et à son futur fils, il
insiste sur son côté illégitime mais montre bien qu'il s'oppose à
Royal.
«
Vous ne comprenez pas : si Molly se trouvait devant moi avec notre
fille, je devrais encore chercher mon roi ; quoi qu'on me fasse,
quelque soit le tort qu'on m'inflige, je dois chercher Vérité »
Ces
paroles sont très fortes. Car de Gué-de-Négoce (et sa tentative
ratée de tuer Royal) à la capitale des Montagnes, Fitz n'a pensé
qu'à Molly et sa petite fille. Il les aurait d'ailleurs déjà
rejoints sans l'ordre d'Art de Vérité (« Rejoins-moi ! »). S'il a
d'autres tentations (l'Art), il place malgré tout son devoir envers
son envie. Le contexte est également important car il sort d'un
trajet pénible (il a pris une flèche dans le dos) et n'a trouvé
sur place que de l'hostilité et de la déception. Il doit rendre
compte à Kettricken qui fait preuve de très peu de sympathie et lui
fait revivre tout ce qu'il a vécu depuis sa torture par Royal dans
les cachots. D'ailleurs, à ce stade de la séance, il coupe la
parole à la princesse montagnarde et lui adresse la parole en
omettant son titre.
«
Je suis le Catalyseur et je suis là pour tout changer. Les prophètes
deviennent guerrier, les dragons chassent comme les loups. Il en est
ainsi qu'il doit être. Va »
Voilà
le dernier dialogue entre le Fou et le Fitz. Les rôles s'inversent,
le Fitz guide le Fou vers un futur inconnu. Lui qui doutait des
paroles prophétiques ! Il le dit d'ailleurs dans le passage, il
s'exprime d'une voix venue d'il ne sait où. Il avait déjà pris les
devants plus tôt, quand chacun se cachait derrière ses secrets
(Caudron, le Fou). Là, Fitz prend les décisions, il devient acteur.
Ce n'est plus le gamin qui obéissait aux ordres, parfois en faisant
la tête.
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