Fitz contre le Fou

La nef du crépuscule / Tu l’as tué, tu l’as tué ! Tu as tué mon roi, traître immonde ! me cria le fou

C’est l’une des premières fois où le Fou se défait de son costume de Prophète blanc et laisse les liens de l’amitié prendre le dessus. C’est surprenant de sa part car il avait lui-même prédit à Fitz qu’il causerait la mort des rois, que si il continuait sur sa voie il ferait du mal au roi Subtil. Mais, Fitz est pris par les événements : il faut mettre à l’abri Kettricken (et son futur enfant) des griffes de Royal. Il tente également de sauver Subtil mais il a oublié un élément important. Subtil est sans forces, il n’a plus envie de vivre, trop dégoûté par ce qu’a fait Subtil. Dans un dernier élan, Subtil veut dire au revoir à Vérité. Il n’a pas le temps, il est mis à mort par les artiseurs de Royal. Pour un observateur extérieur, pour quelqu’un qui n’est pas sensible à l’Art, tout laisse à croire que c’est Fitz qui l’a tué puisqu’il était seul avec lui. Les mots ne peuvent que faire du mal à Fitz : il a donné toute son énergie pour sauver les Loinvoyant. Et surtout, l’accusation vient d’une personne qu’il considère comme son ami. Enfin, ce passage montre également la force du lien entre Subtil et le fou : le roi des Six-Duchés a toujours eu beaucoup d’estime pour son bouffon, ses devinettes, sa langue agile, ses traits d’esprit et d’humour et son aide.

La voie magique / Ses yeux jaunes brasillaient comme un feu mourant tandis que son regard se portait tour à tour sur Astérie et moi. « Tu savais l’importance de cette nouvelle pour moi. Pourquoi ? Pourquoi me mentir ? »

La nouvelle à laquelle fait référence le Fou est la naissance d’un héritier Loinvoyant. C’est important pour lui car c’est au centre de sa prophétie : elle ne peut être accomplie que si un Loinvoyant naît. Or, on vient juste d’apprendre que le bébé que portait Kettricken est mort. Quand le Fou demande à Fitz si Molly est enceinte de lui, Fitz se déshonore et ment. Fitz ne cherche pas réellement à faire du mal au fou, il veut juste protéger sa fille et Molly. Il ne veut pas que les deux subissent des exactions, qu’elles soient des jouets dans les intrigues pouvoir. Mais, le mal est fait : le Fou doit se dire que Fitz ne lui fait pas confiance, qu’il n’est pas assez digne pour que son ami lui raconte la vérité. C’est d’autant plus dur pour lui que le Fou traverse une crise de foi. Il ne sait plus quoi faire, il ne se sent plus le Prophète.

La reine solitaire / Et celui qui l’aime le plus le trahira de la plus abjecte façon. Ma propre prophétie. Je le sais depuis ma neuvième année. C’est Umbre, me disais-je, lorsqu’il était à prendre ton enfant. C’était Umbre le traître (…) Mais c’était moi. C’était moi.

C’est avec ce genre de remarque qu’on se rend compte à quel point la vie de Prophète du Fou n’est pas simple. Il n’est pas un observateur neutre, il crée des liens, il s’attache aux gens. Il a fini par avoir des sentiments amoureux pour Fitz. Le Fou porte donc un poids énorme en lui, sachant que quelqu’un trahira Fitz et qu’il ne pourra rien faire pour l’en empêcher. Il se convainc que c’est Umbre, refusant d’affronter la réalité. Il trouve une fausse justification, se basant sur le jusqu’au boutisme et la détermination du maître assassin et espion. La trahison du Fou n’est pas de sa faute ; elle vient d’un pouvoir qui le dépasse. Royal et son clan ont usé de l’Art pour prendre le contrôle du Fou : il a alors questionné Fitz pour savoir où se cache Molly. Voilà la trahison.

Serments et deuils /

(Fitz) Jamais, je ne pourrais te désirer comme compagnon de lit. Jamais.

(Le Fou) Cela aussi, nous le savons depuis des années. Ces mots qu’il n’avais jamais été nécessaire de prononcer, je devrai désormais les porter pour le restant de mes jours.

Si le Fou aime Fitz et n’a pas de mal à le lui dire, la réciproque n’est pas vraie. Fitz aime le Fou mais il a énormément de mal à le dire et à l’admettre publiquement. Tout bascule quand Jek (vue dans les Aventuriers de la Mer, et amie d’Ambre / Le Fou) rend visite à Sire Doré (le Fou). Fitz espionne leur conversation et se persuade que le Fou a dit à tout le monde que les deux s’aimaient. C’en est trop pour Fitz qui confronte le Fou. Il lui assène des mots durs, sa réalité certes, mais des mots durs quand même. Il ne peut l’aimer pleinement, il n’a pas d’attirance sexuelle pour lui. Il tient à ce que cela soit clair. Bien entendu, en disant cela, il blesse le Fou mais peut-on lui en vouloir ? Fitz vit un énorme choc en se rendant compte qu’il y a une bonne part de la vie du Fou qui lui est totalement inconnue. De son côté, depuis la Reine solitaire, le Fou sait qu’il n’y a aucune chance pour que Fitz et lui deviennent une réalité en tant que couple. Fitz aime les femmes et à ses yeux le Fou est un homme. Il sait que l’aspect physique est trop important pour son ami. Il avait, jusque là, fait avec, accepté ce fait. Les paroles de Fitz ont tout changé.

Adieux et retrouvailles / Je le voyais mais ne le sentais plus, ni par le Vif, ni par l’Art, ni par l’odorat. Plus de fou. Mon ami d’enfance, mon compagnon d’adolescence avait disparu. Il avait détourné de moi cette facette de lui-même. Un homme à la peau brune et aux yeux noisette me regardait d’un air compatissant.

A la fin de ce tome, le Fou doit prendre une décision difficile. Pour la première fois de sa vie, il n’a plus besoin d’être le Prophète. Il a accompli tout ce qu’il devait faire (un héritier Loinvoyant, le retour des dragons) sans devoir mourir alors qu’il l’avait prédit. Il pourrait rester avec Fitz, ce dernier lui propose. Mais, le Fou ne fait pas preuve d’égoïsme. Il comprend que son vieil ami pourra enfin avoir ce qu’il a désiré depuis des décennies : une vie avec Molly. C’est le sacrifice que le Fou fait pour Fitz. Ce n’est pas facile car les deux ont un lien particulier : Fitz a toujours plus vu de choses du Fou que le commun des mortels, et cela a été renforcé par le lien d’art qu’ils partageaient. Le Fou doit tout reprendre pour que Fitz s’en aille vers sa nouvelle vie. Fitz a alors quasiment un étranger en face de lui ; c’est presque comme si ils se rencontraient pour la première fois.