Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses.

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jeudi 10 mars 2022

La Femme Pâle contre le Fou : les prophéties et les oppositions

Le lecteur suit Fitz dans ses aventures et péripéties sans se douter qu’il y a une logique prophétique derrière. Bien entendu, on comprend que les manœuvres de Fitz servent à ce que les Loinvoyant conservent leur autorité sur le royaume, que Fitz est là pour répandre la justice du roi (des mises à l’écart, de discrets avertissements). Les premières mentions à des prophéties se font par l’intermédiaire du Fou, un être étrange venu d’un pays lointain. Fitz n’y croit pas, refuse de les écouter. Quand le Fou lui en parle, il est mal à l’aise. Lorsque Fitz évoque la question avec Umbre, celui-ci se montre un peu curieux mais rien de plus. Il faudra attendre que Fitz rencontre Caudron pour qu’il s’ouvre enfin aux prophéties. Ce n’est pas tant qu’il croit, c’est qu’elle lui permettrait de réparer des erreurs passées ; Caudron lui met l’eau à la bouche en lui disant que les Prophètes Blancs œuvrent à la fin du temps, c’est-à-dire que l’humanité ne sera plus soumise à des contraintes temporelles. Fitz s’engouffre bien entendu dans ce fantasme et se met à la possibilité de réparer les choses avec Molly. Mais, la réalité est bien différente : pour le moment, Caudron n’est qu’à la recherche du prophète de son époque. Elle se base sur de maigres indices récoltés ici ou là. Elle ne sait pas grand-chose si ce n’est que « loin dans le Sud, il est un pays où l’on est convaincu qu’à chaque génération naît un Prophète blanc quelque part dans le monde. Il ou elle paraît, et si l’on tient compte de son enseignement, le cycle du temps prend une meilleure voie ; si on le néglige, le temps s’engage sur un chemin plus ténébreux ».

Visiblement, le Fou est le Prophète de son époque. Et il a choisi son héros, son catalyseur : Fitz. A première vue, ce qu’il demande à Fitz n’a rien d’héroïque : il doit seulement rester en vie et faire en sorte qu’un Loinvoyant reste sur le trône. Mais, les choses s’annoncent compliquées car le cours des choses n’est pas celui que le Fou prône. Les Six-Duchés sont plongés dans la violence, Royal s’est emparé du pouvoir et si il le conserve alors la lignée des Loinvoyant s’éteindra. C’est pour cela qu’il insiste pour savoir si Fitz a eu un enfant avec Molly, c’est pour cela qu’il a traversé le royaume du nord au sud avec une Kettricken enceinte et c’est pour cela, qu’en dernier recours, il se lance à la recherche de Vérité.

En tant que prophète, le Fou n’a qu’une certitude : Fitz est son Catalyseur. Il le lui dit clairement lors de leurs retrouvailles dans le Prophète blanc (« ton être est le levier dont je me sers pour obliger l’avenir à sortir de son ornière »). S’il n’est certain que de ça, c’est que le reste est flou. Les prophéties (du Fou ou d’autres) ne sont pas claires, elles sont sujettes à interprétation et à validation. D’une certaine façon, le Fou est aussi aveugle que les autres, si ce n’est sa conviction de suivre le bon chemin. Déjà, dans la Reine solitaire, il tentait d’expliquer à Fitz comment une prophétie fonctionne : « je sais qu’il se passe quelque chose avec un héritier Loinvoyant ; s’il s’agit de ta fille, alors dans des années d’ici, je lirai sans doute quelque ancienne prophétie et je m’écrierai : Ah ! oui, c’est là, tout était prédit. Nul ne comprend vraiment une prophétie tant qu’elle ne s’est pas réalisée ». On saisit bien que la prophétie ne peut être comprise que si elle se réalise. Si c’est vague, c’est aussi parce que les prophéties ont été écrites des années avant, bien longtemps dans le passé. C’est peut-être aussi la conséquence du fait que le prophète va chercher son catalyseur et naturellement l’influencer. Là, rien n’est garanti : Fitz est un catalyseur têtu, borné et parfois stupide ; le Fou est un prophète n’hésitant pas à cacher sa confusion (« j’ai eu le sentiment d’être transporté au sommet d’une montagne qui surplombait une vallée noyée dans le brouillard ; je ne prétends pas être capable de voir à travers ce brouillard, mais je le domine et je distingue dans le lointain les cimes d’un nouvel avenir possible. Un avenir qui repose sur toi »). D’ailleurs, il semble presque que le Fou ne cherche pas tant à savoir si ses prophéties se réalisent (« mon rêve a été dûment archivé, et un jour dans les années à venir, des sages se mettront d’accord sur son sens. Sans doute longtemps après notre mort à tous les deux »). S’il paraît aussi détaché, c’est possiblement parce que les prophéties (les rêves) s’imposent à lui et qu’il ne les contrôle pas.

La vie de Prophète n’est pas de tout repos. Il ne se contente pas d’avoir des prophéties, souvent sous forme de rêves. Il s’implique, il s’attache aux gens, il traverse le monde pour trouver son catalyseur, sa survie n’est en rien garantie. Lorsque le Fou a accompagné Kettricken, de Castelcerf à Jhaampe, il a dû le faire en échappant aux troupes de Royal, il a donné de sa personne car il pensait que le bébé que Kettricken (Oblat) portait aiderait à accomplir sa prophétie. Malheureusement, ce n’a pas été le cas puisque « l’enfant de Kettricken, mon dernier espoir, est né inerte et bleu, ce ne pouvait être encore une fois que de mon fait ». Le Fou se sent coupable de la mort d’Oblat et de son échec. Pire, il est à deux doigts, quelques mois plus tôt, de faillir à sa mission en s’attachant trop à Subtil et en oubliant pourquoi il est là. Il reproche à Fitz de tuer Subtil, privilégiant son lien affectif au vieux roi plutôt que les motivations du catalyseur (« alors tu causeras la mort des rois »). Notons au passage que cette accusation s’est réalisée puisque Fitz a, involontairement, contribué à la mort de Royal et à la transformation de Vérité.

Le Fou se dit être le prophète de son époque, il en est convaincu. D’autres ont un avis différent, notamment ses instructeurs. Eux ont relâché celle qu’ils pensent être la prophète. Le Fou sait qu’elle existe et qu’elle s’oppose à lui : « il existe quelqu’un, une femme, qui rêve d’approprier le manteau du Prophète Blanc et de lancer le monde sur la route de ses visions. Depuis toujours, je lutte contre son influence, mais dans le changement de direction que nous connaissons aujourd’hui, sa puissance croit ». Elle, c’est la Femme Pâle, et elle veut la mort de Fitz. Bien trop attaché à Fitz, le Fou en fait une affaire personnelle, il est trop impliqué, trop amoureux. Il a plus à perdre que son simple catalyseur, cela le perturbe à un point qu’il doute de sa mission (« elle lance la mort sur toi et je m’efforce de t’écarter de son chemin (…) je ne veux plus être le Prophète blanc ; je ne veux plus que tu sois mon Catalyseur (…) mais, il n’est pas possible d’arrêter. Seule ta mort peut mettre un terme à cette partie »).

A Aslevjal, la Femme Pâle finit par rencontrer Fitz. Loin de chercher à le tuer comme le pensait le Fou, la Femme Pâle tente de charmer Fitz par ses mots et par son physique. Elle admet que les Blancs peuvent tenter de changer le cours du temps mais que rien n’est figé, rien n’est écrit. Elle cherche à ébranler ce que le Fou a appris à Fitz : « le premier imbécile venu comprendra que l’avenir n’est pas écrit à l’avance, il en bourgeonne un nombre infini à l’extrémité de chaque instant (…) nous les Blancs (…) nous pouvions néanmoins nous servir de notre savoir pour orienter d’autres peuples, inférieurs à nous, vers des voies qui dirigeraient progressivement le courant du temps vers des eaux plus calmes et plus sûres ». Elle va encore plus loin dans la critique négative en se moquant de son objectif (« il se croit investi de la mission de réintroduire les dragons sur cette terre ; selon lui, il faut opposer une concurrence à la domination de l’homme »). Si cet argument fonctionne, c’est parce que le Fou n’a jamais réussi ou voulu clairement expliquer en quoi le retour des dragons serait bénéfique pour l’humanité, alors que la Femme Pâle est claire sur tous les désagréments que cela apporterait. Elle persiste dans son développement : « si vous étiez mort au bon moment, le trône serait revenu sans heurt à Royal (…) Certes, la lignée aurait disparu avec lui, mais splendidement, dans la paix et l’abondance pour les Six-Duchés comme pour les îles d’Outre-Mer ». Cet argument montre qu’elle a bien cerné Fitz lui a qui si souvent voulu mourir ou se sacrifier (pour Molly, pour Vérité). Elle sous-entend également que Royal aurait pu être un bon Roi dans un contexte de paix, bénéficiant de la sagesse de Subtil et sans doute des conseils de la Femme Pâle. Mais, la Femme Pâle n’a pas que la mort et la peine à offrir à Fitz et c’est une forte différence avec le Fou. Elle est une femme, elle est encline à lui offrir son corps, à coucher avec lui (chose que Fitz a toujours refusé de faire avec le Fou) et à lui donner un enfant. Ce serait en quelque sorte la combinaison ultime comme elle l’affirme à Fitz : «  nous représentons enfin le couple parfaitement complémentaire : non seulement Prophète et Catalyseur, mais aussi mâle et femelle, nous formerons l’harmonie qui change le monde (…) Notre enfant sera magnifique (…) Notre fils fera ton bonheur, je te le promets ». C’est une prophétie bien tentante pour Fitz ; et là aussi bien plus enthousiasmante que celle que le Fou (via Caudron) lui avait fait des années auparavant (« il aura soif du sang de son propre sans et sa soif jamais ne sera étanchée. Le Catalyseur désirera en vain foyer et enfants, car ses enfants seront ceux d’un autre et celui d’un autre le sien »). Précisons que cette prophétie s’accomplit car Devoir et Ortie grandiront sans savoir qui est leur père et qu’il adoptera Heur.

Le Prophète est amené à souffrir, et parfois à devoir donner sa vie. Le Fou en a conscience et c’est ce qui le différencie de la Femme Pâle. En se rendant sur Aslevjal, le Fou savait qu’il devait mourir (« Elle m’est venue en rêve, lors d’un cauchemar échevelé de mon enfante. Cette fois-ci, sur Aslevjal… Ce sera mon tour de mourir ») et il l’a fait vaillamment : il a affronté la torture, les coups sans dévier de son objectif (libérer le dragon). La Femme Pâle, défaite, s’accroche à la vie. Elle devient une créature pathétique incapable de se débrouiller seule et qui demande tout et n’importe quoi à Fitz (qu’il la sauve, qu’il la tue). Dans les deux cas, elle affronte la situation sans aucune grâce comme le lui dit Fitz : « vous n’avez pas eu son courage ; lui a accepté le prix que lui imposait le destin ; il a subi son supplice et sa mort de son plein gré, et il a gagné ».

Il arrive que les prophéties soient dépassés par les événements. C’est arrivé deux fois au Fou. La première fois est lorsque Fitz et Oeil-de-Nuit ont ranimé les dragons de pierre dans la Reine Solitaire ; il fallait quelqu’un pour les conduire et ils ont choisi le Fou. Ce dernier ne sait que répondre, il n’est pas un guerrier, il est aveugle quant aux événements en cours (« je ne l’ai jamais vu dans mes rêves, je n’en ai jamais entendu parler dans un manuscrit. J’ai peur de conduire le temps dans une mauvaise direction »). La deuxième fois a lieu lorsque Fitz ramène le Fou à la vie (dans le tome Adieux et retrouvailles). Le Fou avait accepté sa mort ; de retour à la vie, il ne sait quoi en faire. Tout ce qu’il voulait faire s’est réalisé. Continuer à vivre, c’est influencer le cours des événements et donc prendre le risque de modifier ce qu’il a créé (« j’en ai beaucoup discuté avec Prilkop ; nous sommes très ignorants de la situation que nous vivons, de cette existence par-delà le temps où nous jouions notre rôle de Prophète blanc »). Et en effet, le simple fait de revenir à la vie a suffi et amènera ce qui se passera dans la troisième partie de l’assassin royal : l’affrontement final entre les gens du Fou et les gens de la Femme Pâle.


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