Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses. Keffria, tu remontes dans notre estime. Il était une fois Clerres.

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Petit-Furet dans la légende

Il existe des personnages qui paraissent anodins et qui ont un grand impact sur l’histoire. Il existe des personnages qui accomplissent des ...

samedi 15 mai 2021

La chute d'Oeil-de-Nuit

La seconde série de l’assassin royal est marquée par un bon nombre d’événements marquants : Glasfeu, un vieux dragon noir, est tiré des glaces, on rencontre la Femme Pâle, la conseillère des Pirates Rouges, le prince Devoir est enlevé. Mais, il en est un qui éclipse tous les autres : la mort d’Oeil-de-Nuit. Compagnon de Vif de Fitz, le loup était apparu dans le tome 2 de l’Assassin royal (l’assassin du roi) et le lecteur avait depuis suivi son évolution. Ses débuts avec Fitz furent compliqués, Fitz refusant de lui faire une place dans sa vie. Puis, petit à petit, la confiance et un besoin vinrent renforcer leur lien. Grâce à Oeil-de-Nuit, Fitz échappa à la mort dans les cachots de Royal. Plus d’une fois, la présence d’Oeil-de-Nuit fut salvatrice lors de la recherche de Vérité dans les Montagnes. Ayant sauvé le Royaume des Pirates Rouges, c’est avec Oeil-de-Nuit que Fitz s’installe dans une petite cabane, loin des intrigues politiques de la capitale et des demandes incessantes de la Couronne. C’est là que nous le retrouvons au début du tome 7, le Prophète blanc.

Naturellement, les années ont passé. Leurs années de jeunesse sont derrière eux, ils ne rêvent plus uniquement de chasse. Ils ont une vie rangée et simple, fait de banales répétitions qu’ils apprécient dans leur habitation. Le premier aperçu qu’on a d’Oeil-de-Nuit nous le montre en train de dormir, de se reposer. On lit qu’« il rêvait qu’il courait parmi des collines enneigées en compagnie d’une meute. Pour Oeil-de-Nuit, c’était un songe de silence, de froid et de vivacité ». On sait qu’Oeil-de-Nuit a tenté de vivre avec d’autres loups et que ça n’a pas été un succès, on sait aussi qu’il n’apprécie pas réellement la compagnie des hommes. Il aime Fitz, il tolère ceux qui gravitent autour de lui et lui apportent à manger mais il est souvent dubitatif quant aux comportements humains.

Très vite, dans le récit, apparaissent les premiers signes et indices de sa dégradation physique. Les gens vont et viennent chez Fitz, certains ont connu le loup dans la vigueur de sa jeunesse et se rendent compte qu’il a changé. 

Umbre a l’œil exercé pour remarquer les changements, sa remarque n’est donc pas anodine (« tu commences à vieillir Oeil-de-Nuit ; je ne me rappelle pas tous ces poils blancs sur ton museau »).

Astérie, sous le coup de la colère, fait des remarques blessantes à Fitz. Astérie n’a jamais réellement apprécié le loup à sa juste valeur, elle a toujours été dérangée (à juste titre ?) par sa présence quand elle faisait l’amour avec Fitz. Elle se moque du mode de vie de son ancien amant, qui s’est coupé de tous et de tous, et qui vit comme un reclus avec « un vieux loup décrépit ! »

Fitz, lui-même, sent le poids des années sur ses épaules et sur celles de son meilleur ami. Il y a ces raideurs, ces douleurs qui arrivent quand on prend de l’âge et qui vous tiraillent sans cesse : « je le grattai entre les oreilles, puis perçus soudain chez lui un élancement ; je suivis son échine de la main jusqu’à sa croupe que je me mis à masser doucement ».

Heur a été adopté par Fitz. Il a grandi avec Oeil-de-Nuit et ce dernier le considère comme un louveteau à protéger. Si Oeil-de-Nuit considère Heur d’un point de vue pratique (il pourra les aider quand ils vieilliront), Heur, lui, rêve d’autre chose. Il cherche un apprentissage et pour cela il lui faut de l’argent. Il sillonne donc les routes pour gagner de l’argent et à son retour il remarque la brutale disparition physique du loup qui « n’a plus que la peau sur les os ! » Certes, Oeil-de-Nuit vient de frôler la mort et a été péniblement sauvé par Fitz mais la déchéance physique est visible. 

Tout n’est pas sombre, tout n’est pas négatif. On retrouve dans les deux premiers tomes (le prophète blanc et la secte maudite) des éléments d’humour qui ont caractérisé précédemment son personnage. Il a un ton mordant, piquant, ironique. Il taquine Fitz sur le fait de manger les poules. Il prend à la légère les paroles pleines de désespoir de Heur qui regrette d’être coincé au fin fond des Six-Duchés (« je te laisse le rôle du poisson crevé ; moi, je ferai celui du vieux tronc moisi »). Et quand il doit rejoindre (avec Heur) Fitz à Castelcerf et que son compagnon s’inquiète de son état, il montre bien qu’il n’est pas encore dans la tombe avec une réplique cinglante : « nous avons passé une journée délicieuse à nous dessécher sur une route pleine de poussière, et maintenant nous dormons dans le fossé qui la borde ».

Fitz et Oeil-de-Nuit sont liés, ils partagent beaucoup de choses. L’une d’elles est l’Art. Oeil-de-Nuit n’a jamais eu un bon rapport à cette magie, il voit à quel point ça a demandé du temps et de l’énergie à Fitz, et au final comment ça a failli les séparer tous les deux. C’est quelque chose qui mine Fitz, qui l’empêche de vivre pleinement sa vie. Il est tiraillé, il est sollicité. La situation est encore pire quand s’ouvrent les nouvelles aventures car Fitz n’a personne à qui parler, il est totalement seul. Et malgré tout, il cède à la magie et Oeil-de-Nuit ne peut que ressentir toute sa peine et toute sa douleur.Le loup aimerait donc passer outre, que les deux amis puissent enfin vivre ensemble et se concentrer sur leur présent, et non pas sur une magie qui ne leur apporte rien de bon (Fitz s’ouvre : « je m’étais ouvert davantage au lien de Vif que nous partagions et avais tenté de lui faire sentir l’attraction que l’Art exerçait sur moi » ; Oeil-de-Nuit rejette : « Garde-la pour toi. Je n’ai pas envie de voir ça (…) Nous n’en serons jamais débarrassés ? »)

Puisqu’on suit l’histoire à travers les yeux de Fitz, on se rend compte qu’il traite Oeil-de-Nuit avec beaucoup de soin : il l’aime bien entendu. Mais surtout, il semble vouloir l’écarter de tout danger, comme si il désirait le placer dans une bulle de sûreté. Bien entendu, cela vexe Oeil-de-Nuit, il a été et il est toujours un vaillant guerrier, un loup sage. Il connaît son corps et ses limites. Quand Heur rappelle à Fitz qu’il est plus jeune que lui, il saisit donc l’occasion pour dire à Fitz de mieux le traiter, qu’il n’est pas encore sous terre (« tu vois combien c’est agréable quand on te considère comme un vieillard qui s’avance d’un pas chancelant vers la tombe ? » et « tu me traites simplement comme si j’étais aussi fragile qu’une vieille carcasse de poulet »).

Fitz comprend mais ne change pas pour autant son comportement. Fitz (Tom Blaireau), le Fou (Sire Doré) et Laurier (une agente de Kettricken) sont à la recherche de Devoir. Fitz semble plus préoccupé par la santé de son loup que retrouver le fils de Vérité. Il fait percevoir au loup qu’il est un frein et que par sa faute il ne peut pas se donner à fond dans son enquête (« Petit frère, ne me traite pas comme si j’étais déjà mort ou agonisant. Si c’est ainsi que tu me vois, j’aime mieux être mort pour de bon (…) Ta peur a des griffes glacées qui s’enserrent et me dépouillent du plaisir que je tire de la chaleur du jour »).

On se rend compte que c’est Fitz qui a créé une séparation entre le loup et lui. On peut supposer qu’il a commencé à faire le deuil de son ami, qu’il pleure en silence de son côté et ne veut pas que son partenaire l’apprenne. Ce qu’on lit est clair : « j’étais sur le point de l’abandonner et mon lent éloignement par rapport à lui correspondait à ma résignation de plus en plus ancrée à l’idée de sa mortalité ».

Deux événements vont mener leur lien au bord du précipice.

Le premier se déroule quand le groupe de Fitz capture un membre des Pie (les Pie sont des gens qui ont le Vif et qui ont enlevé Devoir). Contre toute attente, Fitz se lance dans une séance de torture sur le prisonnier. Lui qui avait subi ça de la part de Royal est prêt à répéter ces honteuses manœuvres sur un autre. Laurier et le Fou sont impuissants tant Fitz est déchaîné. C’est un autre Fitz qu’on rencontre. Il est inaccessible à ses amis, sourd aux supplications du jeune captif. C’est à l’arrivée d’un Oeil-de-Nuit au bout du rouleau qu’il retrouvera ses esprits (« Mon frère, Changeur, je suis très fatigué. J’ai froid et je suis trempé. J’ai besoin de toi »).

Le deuxième part d’un geste anodin et de bonne volonté de Fitz. Il se rend compte que le loup est fatigué et il veut lui donner de l’énergie. Mais, il a méprisé l’orgueil et la fierté du loup. La réponse est terrible. Oeil-de-Nuit se sent blessé, méprisé, rabaissé. Il est un noble guerrier, un puissant chasseur, un redoutable pisteur, pas un de ces herbivores ou un de ces animaux domestiques qui comptent sur les humains pour survivre. Il menace alors Fitz : « si tu recommences, je te quitte ! Je te quitte complètement et pour toujours ! Tu ne verras plus, tu ne toucheras plus ma conscience et tu ne sentiras même plus mon odeur près de tes pistes ! »

Fitz a grandi dans un univers où le Vif était mal vu et où il en a payé les conséquences. Burrich n’a eu de cesse de lui répéter que c’était une magie avilissante, que ça rabaissait un homme. Royal a cherché à le tuer en invoquant à cette perversion. Nombre de gens ont été surpris en voyant le loup apparaître. Il est difficile de trancher ; est-ce que Fitz a honte d’avouer publiquement son lien avec Oeil-de-Nuit ? Ce que l’on peut dire est qu’il l’expose sans souci auprès des gens avec qui il a une bonne relation : Heur, le Fou, Umbre, Kettricken, Astérie, etc. Certains découvrent que leur lien est plus que celui classique entre un maître et son animal : Laurier, Devoir et des gens des Pie. A chaque fois, Fitz louvoie, il n’est pas franc, cela énerve le loup. Oeil-de-Nuit en a marre de tous ses secrets, de cette manie de tout cacher. Il avait déjà dit à Fitz qu’il l’aimait entièrement et qu’il n’avait pas honte d’être lié à lui. Il insiste à nouveau lorsque Fitz fait face à un Pie. Le Pie devine que Fitz a le Vif même si le bâtard royal tente de le persuader du contraire. Oeil-de-Nuit le prend mal : « et tu pourras aussi me tuer et te tuer à ton tour ; ainsi personne ne saurait jamais ce que nous avons partagé. Ça resterait notre petit secret honteux ».

Fitz parvient à libérer Devoir de la marguette et des griffes des Pie. C’est une lutte acharnée, un combat intense qui laisse des traces. Devoir souffre mentalement et physiquement. Fitz est vidé de son énergie. La situation est identique pour le loup qui ne trouve pas dans un premier temps la force d’aller chasser. Et puis, il se redresse, s’en va seul pour une dernière chasse. Comme souvent, il ouvre la voie à Fitz, il s’assure qu’il n’y a pas de danger, il fait les repérages. Dans un dernier souffle, « il s’ouvrit, s’épanouit comme si le loup avait invité toutes les créatures du monde douées du Vif à partager notre union ». On avait déjà vu auparavant cet esprit de communion lors d’un exercice avait Kettricken. Il avait été à cette époque le symbole de gens vivants qui s’ouvrent au monde. Là, c’est le dernier coup d’éclat d’un loup qui s’éteint. Oeil-de-Nuit meurt.

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