Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses. Keffria, tu remontes dans notre estime. Il était une fois Clerres.

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dimanche 27 juillet 2025

[RF Kuang] Qui est Victoire ?

Babel s’inscrit dans un contexte particulier. Il se déroule dans la première moitié du 19ème siècle, une période où l’empire britannique vient d’abolir l’esclavage mais continue d’assurer une forte emprise sur ses colonies et tente de dominer férocement ses concurrents. Etudiante à Babel, Victoire participe à la puissance de l’institut de Babel et au développement des barres d’argent qui permettent aux britanniques de développer leur économie et leur pouvoir.


Victoire est impatiente de rejoindre Babel. L’université peut lui offrir un changement important dans sa vie, elle qui a été traitée comme une esclave toute sa vie et n’avait d’autre choix que vive une vie misérable. Mais, Victoire déchante vite. Babel ne fait que répéter ce qui se passe ailleurs dans la société. Victoire étant une femme, elle est vue comme inférieure par les hommes. Pire, elle  représente un danger pour eux (« tous les collèges ont affirmé que notre proximité risquait de compromettre les messieurs »). Bien qu’étudiante, Victoire n’a pas les mêmes droits que les autres.

Pour ne rien arranger, ses plus proches amis masculins, Robin et Ramy, n’ont pas conscience de ce que vivent Letty et elle. Les deux jeunes hommes sont tant captivés par ce qu’ils vivent qu’ils ne voient pas que leurs amis souffrent. Dès lors, Victoire doit mettre les points sur les i. Elle met en avant l’hypocrisie de Babel, cette université qui se prétend ouverte sur le monde mais qui est refermée sur elle-même et ses préjugés : « je ne crois pas que vous comprenez très bien, tous les deux, à quel point il est difficile d’être une femme ici (…) ils sont libéraux sur le papier, oui. Mais ils ont une si piètre opinion de nous ». Victoire leur explique alors que la vie de femme est pénible. Elle n’a aucun moment de répit, aucun moment où elle peut se laisser aller car « chaque faiblesse que nous manifestons démontre les pires théories à notre sujet : que nous sommes fragiles, hystériques et naturellement trop faibles d’esprit ».


La couleur de peau, noire, de Victoire n’arrange rien. Dans un Empire qui a aboli l’esclavage mais le pratique encore, cela reste un handicap. Quand le groupe d’amis est invité à une fête, Victoire doit se trouver une tenue mais la chose est très compliquée puisque « les tailleurs ne m’habilleront pas. Ils ne me laisseront entrer dans la boutique que si je me fais passer pour ta bonne ». Pour Victoire, ce serait une régression, elle retrouverait son ancienne statut.

La fête est un cauchemar pour Victoire et Letty : elles sont agressées sexuellement. Robin constate que « Victoire croisait les bras devant la poitrine, tandis que Lily parlait très rapidement ». Il ne suffit pas que Victoire soit coincée dans un coin, il faut aussi qu’elle subisse des propos dégradants et humiliants. Pendennis, un autre étudiant, est particulièrement odieux (« mais on est curieux (…) est-ce qu’ils sont vraiment de couleur différente ? On voudrait voir. Vos décolletés sont tellement profond que ça excite notre imagination »). 

Et, pour ne rien arranger, Letty minimise ce qu’elle a subi. Pour Letty, les deux ont subi la même agression alors que Victoire pense qu’il y avait en plus une motivation raciste. Letty persiste (« ce n’était pas seulement parce qu’elle est…. ») et crée là un autre point de discorde avec son amie.


Letty est un produit du système britannique. La jeune femme a traversé tout un tas de souffrance, le dénigrement de sa famille, le mépris. Malgré tout, elle continue de croire à ce système et à la défendre. Malheureusement, comme le remarque Robin, « Victoire n’avait que Letty - qui affirmait toujours l’aimer l’adorer ». Et Letty refuse d’admettre la souffrance de Victoire. Elle ne le lui dit pas frontalement mais tout dans son attitude le suggère ; elle « n’entendait rien de ce qu’elle disait si cela ne s’accordait pas à sa vision préétable du monde ».

Victoire a beau lui répéter et dérouler ses arguments, rien n’y fait. Une nouvelle fois, elle lui explique ce qui se passe : « tu crois qu’on ne vend pas de barres en Amérique ? Que les fabricants anglais ne profitent pas encore des menottes et des fers ? Tu crois qu’il n’y a pas de gens, en Angleterre, qui ont encore des esclaves et qui se débrouillent simplement pour bien les cacher ? » Letty refuse de l’admettre. D’ailleurs, plus tard, au grand désespoir de Victoire, Letty les trahira.


Toutefois, Victoire n’est pas si innocente. Etudiante à Babel, elle fait aussi partie du système qui écrase les plus faibles et les défavorisés. Même marginalisée, son sort est bien mieux que celui de millions d’individus. Surtout, en participant à la construction des barres, elle perpétue le modèle qui opprime les travailleurs. Dès lors, ceux-ci n’ont pas d’autre choix que se mettre en grève et manifester. Victoire en subit les conséquences (« jusqu’à ce qu’un individu corpulent se dresse sur le chemin de Victoire et lui adresse la parole sur un ton agressif, avec un rude accent du nord incompréhensible »). Victoire est choquée et ne parvient pas à voir le tableau d’ensemble. Elle qui peut être si perspicace ne se rend pas compte de la souffrance et du désarroi des travailleurs.

Des années plus tard, Victoire croise l’homme (Abel) qui l’a prise à partie. Il lui fait comprendre qu’ils ont toujours été du même côté même si elle ne s’en rendait pas compte. En effet, il a fallu à Victoire tout un tas d’événements pour comprendre qu’elle était dominée comme tous les autres. Babel écrase tout le monde, tout est fait pour enrichir la puissance impériale et les étudiants ne sont que des pions, certes utiles. Abel précise que « la question, c’était la baisse des salaires (…..) les dangers de machines non testées, trop rapides pour que l’oeil les suive. Nous souffrions. Nous voulions simplement vous le montrer ». Or, Victoire et les autres, étaient trop enthousiasmés par leurs études pour s’en rendre compte. Ils ne se rendaient pas compte qu’ils étaient exploités comme les autres. 

Tout le groupe d’amis l’a compris il y a quelques temps déjà. En effet, de retour d’un voyage en Chine, Robin a tué son père (Lovell). Robin le chinois a tué son père le britannique alors que celui-ci était agressif. Lovell n’avait pas décoléré après l’échec de négocations sur le commerce d’opium en Chine et en tenait Robin pour en partie responsable. Robin, Ramy et Victoire que la situation est mal embarquée (« On est des étrangers qui reviennent en bateau d’un pays étranger avec un homme blanc mort »), Letty non. Autrement dit, Victoire est toujours renvoyée à sa différence.


Ramy est tué par Letty. Le groupe se sépare. Robin et Victoire rejoignent les rebelles qui veulent détruire Babel alors que Letty s’oppose à eux. Letty les prend pour des illuminés, des naïfs. Elle leur affirme qu’ils ne sont qu’une vague nuisance, un léger contre-temps (« vous leur donnez la migraine. Bien joué. Mais, au bout du compte, on peut vous sacrifier. Tous »). Au-delà du cas Babel, c’est aussi la preuve que Letty a tout effacé, toute son amitié avec Victoire. Letty peut effacer Victoire de sa vie sans aucun regret, sans aucun remords. Ce n’est pas le cas de Victoire : «  nous t’aimions, murmura Victoire. Nous serions morts pour toi ».

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