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dimanche 19 février 2023

Qui est Ephron Vestrit ?

Pour le lecteur, les premiers chapitres des Aventuriers de la Mer laissent un goût amer quant à Ephron Vestrit. On se rend compte que c'est un marin respecté, un capitaine de premier plan (il dirige la vivenef Vivacia) : on est plus dubitatif sur le choix fait (avec sa femme Ronica) de confier la vivenef de la famille à Kyle Havre.

Et puisqu'on suit l'aventure du point de vue de différents narrateurs, on est fortement influencé par ce qu'ils pensent et vivent. Toujours est-il que le fait que Ephron soit un bon marin et capitaine est clair. Ce n'est pas seulement grâce à ce que voit Althéa (« Ephron Vestrit n'aurait jamais laissé traîner de cartes, et n'aurait jamais toléré la présence d'une chemise sale négligemment jetée sur le dossier du fauteuil »). La pensée d'Althéa peut être mise en doute tant sa relation avec son père est forte : il lui passe tous ses caprices et lui laisse une grande latitude dans la conduite de sa vie. Mais, alors qu'Ephron est en train de mourir et que Kyle Havre a pris possession du navire, sa famille décide, conformément aux traditions, de l'emmener sur le pont du navire afin d'éveiller la Vivacia. Alors que certains marins rechignent à la tâche, il suffit à Althéa d'invoquer le souvenir d'Ephron pour qu'ils décident de s'activer : « et, quand le Capitaine Vestrit est à bord, il n'y a qu'un seul commandant. Il m'étonnerait que vous trouviez grand monde sur ce navire pour remettre cette évidence en question ».

Bon marin, Ephron est également un bon mari pour Ronica. Cette dernière parle toujours de lui avec tendresse et des mots valorisants. Ronica est triste de voir l'état de son mari, l'épave qu'il est en train de devenir alors que « quand ils s'étaient mariés, les deux mains de Ronica ne faisaient pas le tour du bras musclé de son jeune époux ; aujourd'hui, ce bras n'était plus qu'un bâton d'os recouvert de peau flasque ». La déchéance n'est pas qu'intellectuelle (il cède à sa femme le choix de savoir qui gouvernera la Vivacia), elle est aussi physique. En réalité, les deux se mêlent et sont d'autant plus durs à vivre pour ses proches qu'Ephron a été un précurseur. Il semble être celui qui a permis aux femmes de reconquérir du pouvoir (« quand Ephron Vestrit avait remis ouvertement la direction de toutes ses priorités à sa jeune épouse, Terrilville s'en était montrée presque scandalisée. Il n'était plus à la mode que les femmes prennent part à l'aspect financier des affaires, et revenir à de telles coutumes rappelait trop l'ancienne existence des pionniers »). Ronica doit donc beaucoup de son autorité et de son statut à son mari. Et elle lui a prouvé sa confiance et sa valeur en gérant les domaines, propriétés. Cependant, à la mort d'Ephron, les choses se précipitent : Kyle Have fait des choix douteux pour la Vivacia, Chalcède menace Terrilville, les intrigues politiques se développent. Face à ça, Ronica est parfois dépassé, se laisse parfois aller. Elle se sent seule d'autant plus que ses filles (Keffria et Althéa) et sa petite-fille (Malta) ne sont pas d'un grand soutien. Elle n'a personne sur qui se reposer. Elle se réfugie alors dans le souvenir de son mari pour tenter de regagner de la force (« elle inspira profondément. Ephron. Ce fut tout. Elle avait simplement prononcé son nom à voix haute. A la fois appel, excuse et adieu »).

Ephron et Ronica semblent avoir un avis différent quant à Althéa. Ronica pense qu'il faut la prendre en main et lui confier des responsabilités alors que Ephron opte pour lui laisser encore un peu de liberté (« elle devra bien assez tôt s'installer, devenir une dame, une épouse et une mère, et il m'étonnerait qu'elle trouve à son goût ce genre d'exercice monotone »). Cela n'a pas rendu service à Althéa. On pourrait presque penser que cela a convaincu Ronica que sa fille n'était pas assez sérieuse pour recevoir en héritage la vivenef de la famille. La déception est alors immense pour Althéa qui pensait avoir un lien spécial avec son père ; Ronica précise que c'est elle qui a décidé de donner la Vivacia à Keffria et qu'Ephron a fini par accepter l'idée (« j'ai persuadé ton père de signer le document. Je l'ai persuadé, Althéa, je ne l'ai pas trompé. Même ton père a fini par se convaincre de la sagesse de ce que nous avions décidé »). On peut penser que Ronica a profité de la faiblesse d'Ephron pour le convaincre et que ce dernier n'était pas en assez bon état pour résister.

Mais, avant sa déchéance mentale et physique, Ephron était un homme de convictions. Il avait des valeurs qu'il défendait auprès de ses proches et auprès de la société de Terrilville. Il avait osé confier les affaires de la famille à une femme, il ose se positionner contre l'esclavage alors que la pratique gangrène Terrilville et que les Marchands usent d'artifices pour la développer. C'est un choix d'autant plus courageux que cela leur permettrait d'accroître leur richesse. Mais, il ne cède pas alors que la pression est forte : « Ephron avait toujours désapprouvé l’esclavage ; Ronica, elle, pensait que la plupart des esclaves ne devaient leur sort qu'à eux-mêmes ». C'est une décision courageuse mais qui explique aussi le déclin de sa famille. Au début de l'intrigue, le déclin des Vestrit est manifeste : ils ont de moins en moins de fonds, de plus en plus de mal à accumuler de la richesse. Cela peut aussi s'expliquer par le côté têtu d'Ephron, un homme campé sur ses positions qui refuse de les remettre en question. On en a la preuve avec sa volonté de ne pas commercer avec les gens du désert des Pluies (« on ne touche pas à la magie sans en être souillé. Nos ancêtres ont jugé que le prix était trop élevé et ils ont quitté le désert des Pluies pour fonder Terrilville »). Cette décision les empêche donc de commercer des produits qui sont fortement demandés et pour lesquels des gens sont prêts à payer beaucoup. C'est aussi sans doute un peu hypocrite pour un homme qui navigue sur un bateau magique...

Ronica offre un autre point de vue : elle explique que la magie nécessite un prix à pater, un prix immense : l'asservissement de la famille, et en particulier des enfants. C'est ce qu'elle tente d'expliquer à Malta : « il y a bien longtemps, Ephron et moi avons décidé de ne pas en conclure de nouveaux, de ne plus nous engager auprès d'eux, parce que nous voulions que nos enfants et nos petits-enfants – oui, même toi – restent libres de leurs décisions. A cause de cela, nous avons vécu plus difficilement que nous y étions obligés ». D'une certaine façon, Ephron a donc sacrifié son présent pour l'avenir de ses enfants. Il ne pouvait pas savoir que ce choix allait être mis en doute par de profonds changements en cours.

Kyle Havre a un avis bien nuancé sur Ephron. Si il respecte l'homme et le capitaine, il remet grandement en doute certaines de ses décisions. Chalcédien d'origine, il est forcément marqué par sa culture natale où les femmes ne valent pas beaucoup. Il ose donc dire à Ronica que « les temps changent, et Ephron n'aurait jamais dû vous laisser vous débrouiller toute seule ». La question de la femme est une pierre d’achoppement importante : selon Kyle, elles ne peuvent pas faire ce que les hommes font et elles doivent être réduites à des rôles subalternes. Ephron valorisait Althéa ; Kyle n'a jamais accepté ça (« pendant des années, j'ai dû supporter de voir Ephron Vestrit traîner sa fille partout derrière lui et la traiter comme un garçon »).

Surtout, il ne comprend pas qu'Ephron refuse de commercer avec le désert des Pluies, il refuse de croire qu'Ephron a pu détruire les cartes légendaires. Ce serait un choix ridicule, pas digne de l'homme qu'il est (« Ephron n'était pas stupide, et seul un imbécile aurait détruit des cartes de cette valeur ! »)

De son côté, Kyle Havre est jugé en comparaison de ce qu'était Ephron ; Brashen affirme que si « Kyle Havre était un capitaine compétent », il n'est pas « Ephron Vestrit ». La décision de confier la vivenef à Vivacia à Kyle revient donc au premier plan, sachant les limites connues de Kyle. Pour certains, elle jette un voile sombre sur Ephron, sur sa capacité à prendre de bonnes résolutions. Un Marchand dit qu' « Ephron Vestrit a laissa son navire entre les mains de cet étranger. Il l'a perdu. C'est un problème qui concerne les Vestrit, pas Terrilville ». Autrement dit, personne ne doit aider les Vestrit et ils doivent s'en prendre au réel responsable quant à la déchéance de leur famille. En confiant le navire à un homme venu d'ailleurs, Ephron a bafoué une tradition et doit en payer le prix.

Enfin, il faut aborder la relation entre Ephron et Brashen. En lui confiant un poste important sur la Vivacia, Ephron a donné à Brashen un but et une nouvelle chance, lui qui avait été disgracié et rejeté par sa famille (les Trell). Brashen en est reconnaissant (« Ephron Vestrit lui avait donné un bon coup de mail, il lui avait offert l'occasion de prouver sa valeur alors que personne d'autre ne voulait rien entendre »). Ephron lui a même donné des responsabilités importantes et un code de conduite (« si le second a la situation en main, le capitaine ne doit pas s'en occuper »). On peut penser qu'Ephron a aidé Brashen comme une forme de compensation, de substitut : Brashen aurait remplacé le fils perdu lors de l'épidémie de Peste sanguine. C'est sans doute aussi pour ça qu'il a traité Althéa de cette façon. Mais, encore une fois, en faisant cela, il a pu se mettre à dos certaines personnes de Terrilville, notamment la famille Trell. Cerwin Trell justifie cette position auprès de Ronica : « Père a été mécontent qu'Ephron prenne Brashen sous son aile après que notre famille l'a déshérité (…) Père a cru que vous vouliez nous en remontrer, nous prouver que vous pouviez remettre dans le droit chemin le fils qu'il avait chassé ».

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