Oeil-de-Nuit et les humains (1) : https://duchessix.blogspot.com/2022/10/oeil-de-nuit-et-les-humains.html
La vie de Oeil-de-Nuit, ou Loupiot, est étroitement liée à celle des humains. Ils ont façonné sa colère de jeune loup, ils l’ont appris à se méfier. C’est sa colère qui a attiré Fitz : ce dernier se sentait incompris, rejeté à cette époque et il a trouvé en Oeil-de-Nuit un reflet de ses émotions. En tout cas, quand le jeune loup rencontre Fitz, il transpire la haine et le mépris. Ses propos sont clairs et menaçants : « tu es comme l’autre, un homme. Tu veux me garder dans cette cage, c’est ça ? Je te tuerai, je t’éventrerai et je m’amuserai de tes tripes ». On comprend que pour le loup, les humains sont synonymes de prison, un obstacle à sa liberté. L’homme est souffrance ; les premiers temps avec Fitz vont le confirmer. Fitz ne comprend ce que Loupiot recherche, Fitz refuse d’assumer son Vif. Il ne veut que profiter des bons moments (la sensation de liberté, l’expérience de la chasse) qui lui permettent de sortir de son quotidien. Quand le loup cherche à se rapprocher, Fitz se distancie. Il tente même de rompre tout lien en relâchant le loup dans la nature et en lui interdisant de revenir à proximité. Oeil-de-Nuit n’est pas que vexé, il est dégoûté. Ce que fait Fitz est honteux et aussi, selon lui, ce qui caractérise les humains : ils sont égoïstes. Oeil-de-Nuit accuse Fit en lui disant que « c’est vrai, tu n’as pas l’esprit de la meute, mais l’esprit des hommes. Ce sont les hommes qui croient pouvoir gouverner la vie des autres sans avoir de liens avec eux ».
Fitz finit par assumer sa relation avec le loup. Les deux créent un lien, se rapprochent. Pour autant, Fitz voit cela comme une relation d’amitié. Pour Oeil-de-Nuit, ce terme ne suffit pas (« c’est un mot trop petit, frère (…) Je suis à toi tout ce que tu es à moi : un frère de lien et de meute »). Oeil-de-Nuit est alors dans une situation compliquée : il a choisi un partenaire qui refuse de se laisser porter par sa magie et à qui on répète sans cesse qu’elle est sale. Le contexte empêche le développement de la relation. Le loup s’en ouvre à Fitz : « ce ne sont pas mes rêves, c’est ma vie. Tu y es le bienvenu, du moment que Coeur de la Meute ne se met pas en colère contre nous. La vie partagée est meilleure ». C’est d’ailleurs peut-être la plus grande peur du loup : que Fitz se transforme en Coeur de la Meure (Burrich), qu’il refuse son côté animal.
Ayant choisi de partager sa vie avec Fitz, le loup doit faire avec des contraintes importantes et désagréables. En effet, Fitz est plongé dans des intrigues politiques et son devoir envers la couronne l’empêche de se détacher. D’une certaine façon, il impose au loup ses choix. Quand Vérité le marque par l’Art en lui imposant de le rejoindre, Oeil-de-Nuit se retrouve aussi touché (« on t’a appelé, non ? Ton roi ne t-a-t-il pas hurlé : Rejoins moi ? ») ; c’est d’autant plus perturbant que le loup était alors en pleine tentative d’intégrer une meute de loups.
En réalité, c’est un mal pour un bien. Le loup accepte cette fatalité : il tient à Fitz et les bénéfices de sa relation sont plus importants que les gains éventuels d’une meute de loups. D’ailleurs, dans les Montagnes, il trouve un groupe : il est accepté par le Fou, Kettricken, Caudron et Astérie. Plus le temps passe et moins ils le voient comme un simple loup, une créature sauvage potentiellement dangereuse. Ils se rendent compte qu’il est un être intelligent, un remarquable chasseur. Tout cela flatte le loup. Oeil-de-Nuit remarque que « j’ai été heureux, ces derniers temps, mon frère : vivre avec d’autres, chasser ensemble, partager la viande ». Il faut dire que lui aussi apprend à connaître les autres. Il est particulièrement intéressé par Kettricken : « je perçus son admiration et sa sincérité. Quoi de mieux qu’une femelle qui tue efficacement ? »
Pour le meilleur et pour le pire, Fitz et le loup ont donc créé un lien. Pendant longtemps, c’est la seule référence de Vif pour le lecteur. Le Vif est quasiment tabou à Castelcerf, Burrich refuse de l’utiliser, il n’y a donc pas de point de comparaison. L’introduction du personnage de Rolf le Noir va changer les choses et entraîner beaucoup de questions.
Rolf le Noir force les deux compagnons à se poser des questions délicates et déplaisantes. Il les pousse à réfléchir à l’avenir, en tant qu’individualités et en tant que duo. L’homme est brusque dans la méthode, il n’est pas là pour plaire mais pour leur permettre d’être honnête avec eux-mêmes. Il les questionne donc impitoyablement : « le temps passant, des questions pressantes vous viendront : que doit-on faire quand son compagnon souhaite s’intégrer à une meute de vrais loups ? »
Fitz refuse de réfléchir à cela, il a tort car très vite le loup manifeste cette envie. Fitz vit cela comme un déchirement, presque une trahison. Pour Oeil-de-Nuit, c’est une nécessité, il est obligé de faire cette expérience pour savoir où il en est, qui il est. Leur séparation est intense : « avec un bref regard d’excuse vers moi, Oeil-de-Nuit s’en alla. N’en croyant pas mes yeux, je le vis se précipiter vers la colline ». Fitz doit faire sans Oeil-de-Nuit. Mais, le défi est encore bien plus immense pour le loup ; pour la première fois de sa vie, il côtoie réellement des loups et tente de s’intégrer, et au final de dominer la meute. Le loup finit par revenir vers le bâtard royal. L’expérience se finit mal mais il a beaucoup appris. Il comprend que la force, la vitalité ne font pas tout (« Loup Noir est très grand et rapide. Je suis plus fort que lui, je pense, mais il connait plus de ruses que moi »).
Plus tard, après avoir sauvé les Six-Duchés, Oeil-de-Nuit et Fitz retourneront voir Rolf le Noir. Ils comprennent qu’ils en ont besoin afin de mieux savoir qui ils sont. Bien entendu, les choses se passent mal avec Rolf qui est un homme bourru. Pour autant, il leur apprend certaines choses, notamment l’obligation de fixer des limites et d’avoir des espaces réservés à chacun. Il leur montre notamment une biche qui a accueilli l’esprit de sa compagne de lien à sa mort. C’est une situation inconfortable pour tous : la biche ne peut pas trouver de partenaire, la femme impose ses réflexes d’humain à l’animal; quant à Fitz et Oeil-de-Nuit, ils font face à une situation qui les met mal à l’aise. Rolf le Noir est vindicatif : « c’était vous deux d’ici une dizaine d’années si vous ne changez pas votre façon d’être ! Vous avez vu ses yeux ! Ce n’était pas une biche qu’il y avait dans ce vallon, mais une femme dans la peau d’une biche ».
Mais, les deux n’apprennent rien. Eux qui peuvent être si vifs pour chasser ou dans certaines situations font des erreurs évitables. C’est, d’ailleurs, surtout Fitz qui commet une faute alors que le loup est en train de s’étrangler avec du poisson. Fitz a trop peur de perdre son ami ; sans réfléchir, il projette son esprit dans le corps du loup pour l’aider ; mais, il ne parvient pas à regagner son corps. Il faut l’intervention du Fou pour les sauver. Le loup est reconnaissant mais honteux, durablement marqué. Ce qu’il dit est assez clair : « il nous a sauvé la vie à tous les deux. Il nous a évité une existence qui nous aurait anéantis tous les deux ».
Dans le tome Adieux et retrouvailles, bien longtemps après la mort d’Oeil-de-Nuit, le Fou pousse Fitz à réfléchir à sa relation, à ce qu’a été le lien. Le Fou est un fin observateur : pour lui, Fitz a bien plus profité de leur lien même si le loup ne disait rien tant il aimait son compagnon. Les mots du Fou ne sont pas nécessairement accusateurs, ils sont en tout cas durs à entendre : « Oeil-de-Nuit avait choisi lui, entre la meute de loups prête à l’accepter et son attachement à toi. J’ignore si vous avez jamais parlé entre vous de ce que cette décision lui avait coûté ». Le Fou insiste, impitoyable : « n’est-il pas vrai qu’Oeil-de-Nuit a payé d’un prix plus élevé que toi votre lien, l’amour que vous partagiez ? Qu’a-t-il sacrifié pour rester lié à toi ? ».
Au pied du mur, Fitz ne peut qu’acquiescer et se rendre compte des choix du loup. Le loup a accepté de vivre parmi les humains et avec des humains par amour pour Fitz. Il a vécu dans un monde qui l’a fait souffrir dès sa naissance. Surtout, il a refusé à un tas de choses auxquelles il aurait droit (« il a renoncé à vivre au sein d’une meute, à devenir un véritable loup ; il a renoncé à prendre une femelle, à élever des petits (…) Parce que nous n’imaginions aucune limite à notre lien »).
La conclusion du Fou résume tout : « je ne pense pas qu’il ait jamais cherché l’homme en lui avec autant d’ardeur que tu t’efforçais de devenir loup ».
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