Dans la saga de l'Assassin royal, on a l'exemple de deux puissants artiseurs qui vont au bout des choses et sacrifient leurs vies à la pierre et à l'Art : Vérité et Fitz. Ils donnent tout ce qu'ils ont, émotions, souvenirs, corps pour que leur dragon (ou loup) de pierre et d'Art prenne vie. Les deux sont tiraillés par une faim d'art, un besoin inévitable qui les pousse à se rendre dans la carrière et sculpter leur dragon. Cela semble être la fin attendue de tous les artiseurs. Mais on a avec Sel un exemple où les choses se finissent mal. Cela est connu sous le nom de la Fille-au-dragon.
La Fille-au-dragon devait être l'incarnation d'un clan, l’aboutissement d'un long voyage. Elle devait symboliser l'union de plusieurs artiseurs. Mais, cela n'a pas fonctionné à cause de l'égoïsme de Sel, la membre la plus puissante du groupe. La femme a voulu imposer sa volonté au dragon, elle a espéré que le dragon conserve en partie son apparence. Tout cela a mené à un échec : « elle avait cherché à conserver sa forme humaine en se représentant sur le dragon que son clan façonnait autour d'elle (…) la créature était retombée avant même de prendre son envol et s'était renfoncée dans la pierre où elle avait fini embourbée ». La créature est donc restée là, seule, pendant des années à la lisière de la mort. Au contraire des autres dragons, comme celui de Sagesse, la Fille-au-dragon n'a jamais regoûté à la vie. Il y a toujours eu ce sentiment d'inachevé, cette insatisfaction. Cela l'a rongée petit à petit, cela l'a même dévorée. Fitz, ayant à la fois le Vif et l'Art, le sent pleinement ; en étant près d'elle, il sent tout ce qui émane d'elle et tout ce qui est emprisonné en elle (« je perçus le tourbillon de Vif de sa vie qui s'éleva comme une brume et s'approcha de moi avidement. Que de détresse prise au piège »).
Vérité résume parfaitement la Fille-au-dragon. Elle n'est pas seulement un échec, elle est aussi une mise en garde. Elle est la preuve que l'Art et la construction d'un dragon nécessitent un sacrifice ultime, on ne peut rien garder en réserve. Vérité précise donc qu'elle s'est « évertuée à conserver une forme humaine et ainsi elle a manqué de remplir son dragon ; elle est maintenant prise au piège (…) Son sort m'a été un avertissement ».
Tout au long de la saga, la Fille-au-dragon conservera cette aura de danger pour les autres et de malheur envers elle-même. Quand ils font escale à la carrière alors qu'ils cherchent Abeille, Fitz fait la remarque que « ce dragon de pierre me glaçait toujours le sang ».
Oeil-de-Nuit, ce fin observateur des émotions et des créatures, alerte Fitz alors que ce dernier doute de ce qu'il doit faire, forger ou non un dragon. Il ne faut pas perdre de temps, il ne faut pas douter : « nous sommes ici, et c'est le moment ; peut-être avons nous encore le temps et l'énergie de le faire. Je ne tiens pas à rester englué dans la pierre comme la Fille-au-dragon ».
Mais, la Fille-au-dragon n'est pas qu'une créature triste. Elle a conscience de son emprisonnement et veut s'en échapper. Elle est prête à tout pour se sortir de son triste sort, même à se nourrir des émotions des autres. Elle a eu la chance que Fitz déverse sa peine et ses regrets en elle et la rapproche de sa libération. Cependant, ce n'était pas suffisant et elle a voulu profiter de la faiblesse du Fou. En effet, ce dernier s'est pris d'affection pour elle. La douleur et la peine qui résonnaient en elle l'ont attiré. Caudron, une puissante artiseuse, prévient le Fou : « quand vous avez touché la Fille-au-dragon, elle s'est liée à vous par l'Art, et désormais elle vous attire tandis que vous croyez lui rendre visite par compassion ; mais elle puisera en vous tout ce dont elle a besoin pour se dégager de son piège ».
Dans le roman Le prophète blanc, Fitz et le Fou se retrouvent et passent en revue tout ce qu'ils ont fait depuis leur séparation. A cette occasion, Fitz parle à son vieil ami de la Fille-au-dragon. On retrouve à nouveau la crainte que cette chose inspire et tout ce qui émane d'elle. Fitz raconte que « j'avais alors senti la voracité d'un dragon de pierre et l'attrait qu'elle exerce ; il m'eût été facile de laisser la Fille-au-dragon me prendre tout entier ; c'eût été une sorte de libération ». La Fille-au-dragon est donc un bel exutoire pour toutes les peines, elle est une solution de facilité pour ceux qui ont trop souffert.
Mais, il serait injuste de dresser uniquement un portrait négatif de la Fille-au-dragon. Bien qu'elle ne soit qu'une créature de pierre, son charme est indéniable (« elle possédait une beauté à couper le souffle »). Mais, elle n'est pas qu'un monument de grâce, elle a aussi une utilité. C'est grâce à elle que le Fou rejoint Devoir et les autres sur Aslevjal. Pour le Fou, c'est une expérience unique : « j'ai fait un voyage étrange, fou et merveilleux ».
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