Tout allait bien pour Gorst : il était l'homme du Roi Jezal, son combattant le plus proche à la fin de la trilogie de la Première Loi. Tout bascule dans le roman Servir froid : à Sipani, alors que la vie du roi est menacée, Gorst n'agit pas. L'enquête menée dira qu'il est occupé à coucher avec une prostituée alors qu'il était simplement en train de pleurer sur ses genoux, lui enclin à la dépression. Dans tous les cas, cela signifie sa disgrâce ; il est éloigné du roi et on le retrouve en pleine bataille entre l'Union et le Nord.
La narration alterne entre les personnages. On a accès à leurs pensées, leurs idées, leurs émotions, leurs désirs, leurs craintes. Cela est bien intéressant quand il s'agit de Gorst. On se rend compte que l'homme a un aspect public qui n'est pas conforme à la réalité. On le considère comme un homme en retrait, un homme sans envie. Ses pensées montrent la réalité : il est plein de désir, de rancœur. On a le même parallèle avec son physique : c'est un homme imposant à la voix toute fluette. Homme de l'Union, Gorst se retrouve plongé dans la guerre, d'autant plus qu'il côtoie de très près l'état-major. Dans la trilogie précédente, le lecteur s'était déjà rendu compte de la nullité de ceux qui dirigeaient les forces. On en a la confirmation ici. Aux doutes du lecteur s'ajoutent les certitudes de Gorst, notamment en ce qui concerne le Général Jalenhorm. Il pense que l'homme n'est pas à sa place, qu'il a largement dépassé ses compétences : « votre amitié avec le roi vous a valu d'être promu bien au-delà du rang auquel vous auriez été le plus efficace ». Si Gorst est aussi amer, c'est parce qu'il voit les effets d'une direction incapable. Des soldats meurent, sont envoyés à la boucherie. Pire, le Mage Bayaz se sert du champ de bataille pour tester de nouvelles armes (des canons), faisant là de nombreux morts. Gorst est perplexe car développer ces armes a demandé beaucoup de fonds qui auraient pu être employés ailleurs (« combien nous a coûté ce petit bonus, qui nous aura permis de creuser quelques trous dans le paysage nordique ? Combien aurait-on pu bâtir d'hôpitaux avec cet argent ? »)
Gorst est hanté par son passé (l'affaire Sipani). Sa chute l'a marqué, l'a détruit. Il n'a pas perdu ses formidables qualité de combattant ; il a perdu son rang. Il a honte de ce que les gens peuvent penser de lui. Cela le paralyse qu'on puisse le voir comme un lâche, un incompétent. Tous ses actes sont faits pour tenter de regagner sa place. On lit que « je les ai transpercés dans l'espoir que notre monarque inconstant en entende parler et annule ma peine non méritée de non-mort. Je me suis rendu coupable d'un massacre pour ne pas être accusé d'incompétence ». On comprend mieux alors pourquoi il se jette la tête première dans les combats. Mais, aussi fort soit-il au combat, Gorst a ses faiblesses. Il se fait facilement avoir par de belles paroles, de la bonne boisson, des belles femmes. On en a un exemple quand il veut venger un de ses aides qui a été fouetté par un colonel quelconque. Il est incapable de mener sa résolution à bien quand l'autre lui propose à boire, un jeu de cartes (« je suis venu assassiner le chef d'état-major de votre père, mais il m'a tant flatté que j'ai plutôt bu un verre avec lui »). Gorst exprime clairement ses pensées dans une lettre qu'il n'envoie pas au Roi Jezal. La missive lui sert d'exutoire, lui permet d'évacuer pas mal de frustration. Il est franc et direct, irrespectueux presque : « si je n'étais pas si lâche, je me suiciderais, mais je le suis (…) en attendant une réhabilitation qui ne viendra jamais, je me réjouirai bien sûr de consommer n'importe quelle offrande issue de vos royales fesses ».
A la fin du roman les Héros, Gorst a l'opportunité de revoir celui qui l'a empêché d'intervenir à Sipani : Caul Shivers. Son attitude montre bien à quel point il est obsédé. Il n'arrive pas à dépasser ce qui s'est passé là-bas. Il ne cesse de rêver de cet homme qui l'a éloigné du Roi (« il le revoyait chaque nuit depuis, dans ses rêves et éveillé, et dans l’espace qui séparait les deux, chaque détail incrusté au cœur de sa mémoire »).
Le grand drame de la vie de Gorst est qu'il est amoureux de Finree, la femme d'un gradé de l'Union. Il ne peut lui dire ce qu'il ressent. Ses pensées sont pourtant explicites, souvent marquées des propos crus et sexuels. Il désire physiquement Finree. Il chérit tous les moments qu'il passe avec elle (« Mal, mal de corps et d'esprit, je suis ruiné de fortune et de réputation, je hais le monde et tout ce qu'il contient, mais peu importe, car tu es avec moi »). Il veut coucher avec elle, il veut que Finree se donne à lui ; il pense sans cesse à elle : « j'ai comme le sentiment que mon pantalon est soudain bien étroit. Si j'avais vraiment de la chance, tu y glisserais la main (…) Je souffre. Je souffre tellement quand elle s'éloigne. Je suis vraiment pathétique ». On retrouve là une ambivalence qui semble le caractériser : fort dans ses désirs, faible dans sa résolution pour les atteindre.
Finree ne lui rend pas son amour. On sent en elle une forme de mépris (« j'ai entendu dire que ce n'était pas la première fois que vous vous disgraciez, que le roi vous avait pardonné auparavant, et que le Conseil Restreint a refusé de le laisser recommencer »).
Les talents de Gorst au combat sont remarqués. Pas uniquement par les gens de l'Union, mais aussi par le Roi du Nord Dow le Sombre. Dow a remarqué que Gorst était un homme remarquable. Il en dresse un portait flatteur en disant que « si c'était un Nordique, il serait dans toutes les chansons. Merde, il serait même roi, au lieu d'en observer un ».Clairement, Gorst n'est pas à sa place. C'est son drame à ce moment de sa vie. Quand Gorst apprend qu'il a été réhabilité, bien avant le début de la bataille, il est content. Les trois jours de guerre l'ont conforté dans ce qu'il aime : la bagarre, la guerre. C'est ce qui le définit réellement, c'est ce dont il a besoin pour être heureux (« le premier jour, j'ai fait reculer les Nordiques seul au gué. Seul ! Le second, j'ai pris le pont ! Moi ! Hier, j'ai grimpé les héros ! J'adore la guerre ! »).
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