Dans les Aventuriers de la mer, Tintaglia marque le retour des dragons. L’humanité rencontre une créature qui n’en fait qu’à sa tête, qui montre son égoïsme et qui n’a qu’une envie : que les serpents forment leurs cocons et en sortent en tant que dragons. C’est ce qui se passe au début des Cités des Anciens : les habitants du désert des Pluies s’attendent à voir de majestueux dragons. Ils sont déçus. Ce qui émerge est malformé, dépendant. Très vite, les habitants se rendent compte que s’occuper des dragons sera bien compliqué. Ils vont demander beaucoup de temps, beaucoup d’énergie ; Rogon remarque qu’« ils ne peuvent pas chasser eux-mêmes, c’est évident, et même un dragon adulte comme Tintaglia ne peut pas rapporter de quoi manger pour tous ». L’assortiment né est loin d’être aussi royal que Tintaglia lors de ses premiers jours. La reine bleue volait dans le ciel, prenait plaisir à chasser et intimider ; ce n’est pas le cas des dragons au début des Cités des Anciens (« derrière ce premier rang s’avançaient d’autres dragons la démarche instable : les boiteux, les estropiés, les aveugles et, se dit Thymara, les stupides »). Le problème est que les Marchands défendent leurs intérêts. Si ils ont accepté d’aider Tintaglia et les serpents, c’est bien en espérant quelque chose en retour. Ou en tout cas en n’ayant pas un lourd fardeau à porter. Or, la faiblesse des dragons pèse sur toute la société : le père de Thymara, Jerup, affirme que « quand nous avons conclu notre marché avec Tintaglia, nous pensions que les jeunes seraient comme elle, capables de chasser seuls quelques jours après leur naissance ; mais, si je ne me trompe pas, pas un seul n’arrive encore à se servir de ses ailes ».
Or, les dragons ont faim. Il faut chasser, il faut les nourrir. Cela nécessite de mobiliser beaucoup de chasseurs, cela demande aux habitants de leur consacrer beaucoup de ressources. C’est d’autant plus compliqué dans cet habitat où la nature est hostile et où les gens cherchent déjà à survivre. Très vite, les Marchands comme Polsk en ont assez : « Polsk a donc répété que les dragonneaux avaient l’air en si mauvaise santé que la compassion commandait de les achever ». Même des alliés des dragons sont attristés par ce qu’ils sont. Althéa nous rapporte la position de la vivenef Parangon (« je crois que Parangon leur refuse le titre de dragon parce que c’est moins douloureux pour lui comme il ne peut rien pour eux, il se distancie d’eux et allège peut-être ainsi la honte qu’il éprouve à leur endroit. A la vérité, je pense que nous ne pouvons rien faire pour les aider »). Tout le monde est prêt à les abandonner, à les laisser de côté, à les laisser mourir. Surtout que pour ne rien arranger, on les soupçonne de manger de la chair humaine (Leftrin : « Ils mangent comme quatre, ils ont un caractère de cochon, et certains n’ont pas l’intellect trop développé, en tout cas pas assez pour savoir qu’il ne faut pas bouffer la main qui les nourrit »).
Ce qui est le plus triste est que les dragons ont conscience de leur état pathétique. C’est d’autant plus triste qu’ils ont des bribes de souvenirs des dragons du passé, des vies de domination alors qu’eux sont cloués au sol. Sintara, une dragonne, en revient même presque à regretter sa vie de serpent (« elle n’avait plus que des souvenirs brusques de cette existence (…) Dans la précédente, elle était Sisarqa, mais plus maintenant ; aujourd’hui, elle était Sintara, une dragonne, et les dragons ne dorment pas entassés comme des proies »). Des proies, le terme est une insulte pour Sintara et les autres dragons, eux qui sont des chasseurs, eux qui se considèrent comme les maîtres du ciel, de la terre et de la mer. Sintara se voit diminuée physiquement, elle se sent et se sait incomplète : « c’était ça, son aile ? Cette chose rabougrie ? On eût dit une peau de daim sans poil, jetée sur la carcasse d’un animal mort de froid. Cela n’avait rien à voir avec une aile de dragon ». En réalité, les dragons sont résignés : Tintaglia leur a tourné le dos, ils savent que la population les accueille de façon hostile. Pour eux, si Tintaglia ne vient pas, c’est qu’elle a honte d’eux, de leur état. C’est ce que pense Kalo (« Si Tintaglia avait eu un mâle à l’époque où nous sortions de nos cocons, elle nous aurait méprisés. Elle sait comme nous que nous ne sommes pas viables »).
Rejetés par tous, les dragons décident de s’offrir un dernier baroud d’honneur. Ils partent à la recherche de la mythique Kelsingra (Mercor : « Si je dois mourir, que ce soit en dragon et non en ces créatures lamentables que nous sommes aujourd’hui »). Et même là, ils auront besoin d’aide de gardiens pour les aider...
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