A
la fin de la Reine Solitaire, nous apprenons que Kettricken a eu un
fils : Devoir. Si il a été engendré avec le corps de Fitz,
c'est Vérité qui en est le père : les deux hommes se sont
servis de l'Art pour y arriver.
Fitz
s'est coupé du monde et nous avons très peu de nouvelles de la
famille et des activités royales. Lorsque Umbre fait à nouveau
irruption dans la vie du reclus, nous apprenons que Devoir a disparu.
Le vieil assassin demande donc à Fitz (ou Tom Blaireau) de le
retrouver il est accompagné de Laurier et du Fou. Ils finissent par
lui remettre la main dessus et c'est un adolescent trahi et bougon
que nous découvrons. Il a,semble-t-il, une tendance à s'apitoyer
sur son propre sort et il n'est pas exagéré de dire que le poids de
son statut lui pèse sur les épaules. Nous en avons un exemple, dans
la Secte maudite, lorsqu'à la suite du conversation guindée et
formelle avec Laurier, il affirme à Fitz que « je n'ai pas un
seul véritable ami dans les Six-Duchés (…) Non, je suis seul, Tom
Blaireau. Pour toujours ».
Sa
relation avec Fitz est très intéressante car il ne connaît pas son
identité et encore moins son réel rôle dans sa conception.
Pourtant, il prend très vite Fitz en estime et ce dernier comble un
vide dans la vie du jeune prince. Il lui parle franchement, sans
retenue et se moque de heurter sa sensibilité (« mais d'où
sortez-vous donc ? Personne d'autre que vous n'ose me
parler ainsi dans ce château ? »). Toutefois, si Devoir est
ravi que quelqu'un s'adresse à lui de cette façon, il a vite
tendance à redevenir un gamin jaloux. Sa réaction est très marquée
lorsqu'il apprend que Tom Blaireau a un fils adoptif ; aussitôt
il s'enferme dans une bulle, coupe les liens : « Alors
quel besoin avez-vous de moi, si vous avez déjà un fils ? »
Dans
Serments et deuils vient l'heure du règlement de comptes. Il faut
préciser qu'à la fin du tome précédent (Les secrets de
Castelcerf), Devoir et Elliania (sa prétendante) se sont mis
d'accord pour effectuer une quête visant à ramener une tête d'un
dragon. Et, pour accepter ce défi, le prince des Six-Duchés a dû
passer un ordre d'Art imposé par Fitz lorsqu'il l'a sauvé des
griffes des Pie au moment de sa disparition. Devoir se sent alors
souillé et sali par cet acte : il pense qu'il a été trahi et
même manipulé et en vient à douter de ce que Fitz éprouve à son
égard. Vexé, il lui dit que « vous m'avez ligoté, vous
m'avez obligé à me plier à votre volonté depuis le premier jour.
Vous m'avez sans doute forcé à éprouver de l'affection pour
vous ». Ils finiront par se réconcilier et dépasser cette
divergence.
Mais,
ne dressons pas un portrait sombre du prince Devoir. Il sait faire
preuve de finesse dans l'analyse des faits et dans son raisonnement.
Il pousse même parfois sa capacité à cerner les choses plus loin
que l'expérimenté Fitz (il sait que c'est son oncle désormais).
Ainsi, quand Fitz sauve la vie de Civil (un ami de Devoir) des mains
haineuses et puissantes du clan des Pies, il montre à Fitz qu'il a
plus que réfléchi à la question ou cerné les enjeux en cours. Car
le bâtard royal fait preuve de suspicion et se méfie énormément
de Civil qu'il considère comme un élément dangereux pour Devoir.
Devoir use d'un argument qui fait mouche auprès de toute personne
détentrice du Vif : « FitzChevalerie Loinvoyant, il m'a
remis son marguet. Si vous aviez su que vous alliez au-devant d'une
mort certaine, et que vous ayez voulu empêcher Oeil-de-Nuit de périr
avec vous, où l'auriez-vous laissé ? »
Le
fils de Vérité a toujours voulu en savoir plus sur ses origines. Il
a lu les archives royales, demandé à sa mère (Kettricken ) de
raconter ses souvenirs et Fitz des anecdotes. Dès qu'il rencontre un
homme ou une femme qui a connu son père, il lui demande d'en parler.
C'est le cas avec le Fou (« En mer (…) j'aimerais que vous me
parliez de mon père à l'époque où vous l'avez connu (…) Je sais
que vous vous êtes occupé de lui lorsqu'il… à la fin de sa
vie. »)
Il
montre encore une fois qu'il a grandi et gagné en sagesse lors du
voyage en bateau vers les Îles et de Aslevjal. Umbre, Fitz et Devoir
débattent du cas Trame qui a percé à jour l'identité de Fitz ;
ils se demandent ce qu'ils doivent faire et les deux premiers voient
cela à travers les yeux d'assassin : il est une menace. Devoir,
lui, est plus mesuré et leur rappelle que Trame s'est dévoilé à
leurs yeux et a également mis son existence en jeu en le faisant
(« N'oubliez pas qu'en révélant à Fitz qu'il connaissait son
identité, Trame s'est mis lui-même en péril : certains
seraient prêts à tuer pour maintenir enfoui ce secret »).
Il
est toujours aussi à l'aise dans son costume royal par la suite même
s'il doit faire face à de fortes tentations, des tentations encore
plus fortes s'il s'agit de sa future femme qui s'offre à lui. Il
calme ses ardeurs, ses propres envies quand il refuse d'aller plus
loin qu'un simple baiser avec Elliania (qui était pourtant prête à
aller plus loin) : « mon corps et ma semence appartiennent
aux Six-Duchés et je n'ai pas le droit de les partager avec qui bon
me semble (…) je voudrais lui demander de plus me soumettre à la
tentation ». Contrairement à d'autres avant lui (Chevalerie),
il a conscience de ses obligations et que concevoir un enfant hors
mariage n'est pas nécessairement une bonne chose pour la famille
Loinvoyant.
Il
ose enfin se dresser contre les petites manies de Fitz et Umbre. Il
leur rappelle que ce sont eux les subordonnés et non l'inverse. Il a
bien conscience des manigances des deux hommes, des habitudes qu'ils
ont prises au fil des années et de leur amour pour les missions
secrètes : « vous faites les choix qui, selon vous,
présentent le moins de risque, puis vous vous fondez dans le paysage
en espérant que personne ne s'apercevra de rien et qu'on ne vous
fera pas porter le chapeau si les choses tournent mal ». Un peu
plus tard, il ajoute une couche à ses propos, il leur donne même
une autre dimension en ajoutant ses craintes quant à son futur règne
et au véritable pouvoir qu'il aura (« on dirait deux
marionnettistes qui observent de loin la vie des gens et discutent de
la manière dont ils vont les manipuler »).
Devoir
a également un regard critique sur sa propre famille. Il sait que
les pratiques des Loinvoyant n'ont pas toujours été bonnes ou
justifiées et que le mensonge est répandu. Il en fait la remarque,
ironiquement, à Fitz : « la vérité. C'est une
nouveauté, je sais, mais il ne me semble pas inutile qu'un
Loinvoyant s'y essaye un jour ». Difficile de lui reprocher ces
paroles-là quand on sait que les deux seuls Loinvoyant qu'il a vus
de son vivant sont Umbre et Fitz.
Quand
Fitz est tiraillé entre sa loyauté envers Umbre et son amitié pour
le Fou, c'est Devoir qui règle le dilemme en prononçant des paroles
inédites, presque historiques et en tout cas nouvelles pour les
oreilles de Fitz. Il lui permet enfin de décider par lui-même alors
que Vérité avait, par exemple, gravé en lui un ordre d'Art afin
qu'il le trouve. Il lui dit qu' « aujourd'hui, en tant que
votre prince, voici ce que j'ordonne, FitzChevalerie Loinvoyant :
tenez votre parole envers vous -même. Montrez-vous aussi fidèle à
votre cœur que vous l'avez été à Vérité et à Subtil. C'est
votre roi qui vous le commande ».
Enfin,
il est intéressant de se pencher sur la relation entre Devoir et
Ortie (la fille cachée de Fitz). Les deux ne se connaissent pas du
tout puisque Fitz a fait tout son possible pour éloigner Ortie de
Castelcerf. Leur première rencontre se fait par l'intermédiaire de
l'Art et Ortie se joue de Devoir qui en est outré (« Qui je
suis ? Le prince des Six-Duchés, et je vais où bon me
semble »). Le fils de Kettricken est choqué le moment où il
apprend quel est le lien qui l'unit à cette fille, mais il l'est
encore plus par tout ce qu'on a omis de lui dire.
Une
fois leur quête achevée, ils se retrouvent dans la tour de Vérité
au moment des leçons d'Art. La tension est forte entre Ortie et son
père et on retrouve le côté moqueur de Devoir : « on
peut dire que votre mère a choisi pour vous le prénom qui
convenait ». Mais, en fin de compte, Devoir est plus que
content de l'existence d'Ortie, pas seulement parce qu'elle offre des
possibilités d'arrangements et de négociations à la famille
Loinvoyant, mais surtout pour ce qu'elle est : sa cousine ;
(« je ne saurais exprimer l'importance qu'a pour moi sa
présence à la cour ; j'aime sa brutale franchise. Je n'ai
jamais eu d'amie comme elle »). Adieu le jeune adolescent qui
se sentait incompris !
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