Une personne peut influencer le destin de centaines d’autres, changer le cours de son époque. C’est un des thèmes majeurs développé par Robin Hobb avec ses concepts de Prophète et Catalyseur. Mais, un homme peut aussi marquer une autre : c’est le cas du père de Molly, cet alcoolique violent qui a durablement influencé sa fille.
La première fois que le lecteur rencontre un personnage est importante car elle lui donne une première impression qui durera et un premier avis sur lui. Très vite, on comprend que le père de Molly est un individu ingrat, gratuitement méchant, violent. Son attitude laisse peu de place au doute (« il s’est réveillé presque dessaoulé il y a une heure et il s’est mis à te traiter de tous les noms en voyant que tu avais disparu et que le feu était éteint »). La composante alcoolique apparait également.
Molly est une enfant battue. Son père la frappe et il abuse d’elle verbalement. Il emploie des mots qui la rabaissent et, pire, qui la font culpabiliser. Il se moque que Molly soit avec des amis ou qu’elle ait simplement envie de jouer, il faut qu’il la blesse : « encore à voler dans les fumoirs, je parie, et à me faire honte ! Essaye seulement de te sauver et t’en auras deux fois plus que je t’aurais attrapée ». Que peut faire Molly ? Pas grand-chose puisque sa mère est morte. Sans son père, elle n’aurait pas de toit à vivre. Elle s’accroche donc à lui tant bien que mal, faute de mieux.
Lorsque Fitz attaque son père en mélangeant le Vif et l’Art et le fait perdre connaissance, Molly est terrifiée. Elle culpabilise. Elle n’est plus la victime mais, en quelque sorte, la responsable de tout le malheur. Son ton et ses mots employés laissent peu de place au doute. Elle sanglote, elle pleure : « je t’en prie, ne meurs pas, je regrette d’avoir été méchante ! Ne meurs pas ! Je serai sage, je te le promets ! »… La seule chose qu’elle a fait est d’avoir été jouée après de longs jours de travail ; elle est seule à s’occuper de la boutique de bougies puisque son père n’est plus capable de rien de bon.
L’inutilité du père semble être répandue à Bourg-de-Castelcerf, comme son alcoolisme. Le voir vivre mort ne choque personne (« les rares passants que nous croisèrent ne nous prêtèrent aucune attention. Je supposai que le spectacle de Molly ramenant son papa à la maison n’avait rien d’original à leurs yeux »). L’alcool ingurgite jour après jour a des conséquences : il devient une épave. Sa faiblesse est apparente et Fitz dresse un pronostic négatif : « de maigre, il était devenu squelettique (…) je regardai les ongles et les lèvres de l’homme et je sus, malgré la distance qui nous séparait, qu’il n’en avait plus pour longtemps à vivre ».
Fitz assiste à la relation entre Molly et son père. Il ne comprend pas pourquoi son amie est si passive, pourquoi elle laisse faire. Fitz perçoit que Molly est maltraitée (« elle portait souvent les marques des coups qui lui donnait son père ») mais il voit aussi qu’elle reste là à subir et lui trouver des excuses (« elle persistait à s’occuper de lui malgré sa cruauté. Cela, je ne l’ai jamais compris »). On peut supposer que les deux se sont rattachés l’un à l’autre après la mort de la mère et qu’ils ont été peu à peu pris dans une dynamique toxique. Molly n’avait que lui pour survivre à oins de vivre dans la rue.
D’ailleurs, on en a une preuve quand le père meurt. Molly perd tout et manque de se retrouver à la rue (« mon père est mort en ne me laissant que des dettes et les créanciers m’ont pris la boutique »). L’héritage du père de Molly est donc aussi néfaste que sa vie.
Même mort, le père influence encore Molly. Quand un Fitz affaibli revient des Montagnes, elle a du mal à croire ce qu’il dit. Elle l’accuse de proférer des mensonges comme le ferait son père : « tu es comme père. Il était toujours persuadé que je mentais parce qu’il mentait sans arrêt. Comme toi ». Pour ne rien arranger, Molly est durablement touchée par des paroles répétées encore et encore durant sa jeunesse. Tous ceux qui la connaissaient lui promettaient un avenir sombre. Elle ne pouvait devenir qu’une vaurienne car « j’étais la fille d’un ivrogne, j’épouserais un ivrogne et j’aurais beaucoup de petits ivrognes ». Pour une jeune fille, ce sont des mots durs à entendre, comme les moqueries qui accompagnent les paroles.
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