La saga de l’assassin royal regorge de destins tragiques, de personnages qui parviennent à s’émanciper ou qui chutent. Hommes, femmes, animaux évoluent dans un monde en plein changement et ont l’illusion d’avoir leur futur en main. Ce n’est pas le cas des vivenefs qui ne servent qu’à transporter des humains et des marchandises. Or, les vivenefs ne sont pas que des navires : on sait qu’il y a une pire de magie en elles. On apprend plus tard que les vivenefs sont en réalité des dragons qui n’ont pas pu aller au bout du processus. Les vivenefs sont donc des créatures vivantes prisonnières.
Les romans du Fou et de l’assassin ne concluent pas que l’aventure, elles permettent aussi aux vivenefs de devenir ce qu’elles sont réellement (des dragons) grâce à l’Argent. Le cas le plus emblématique est celui de Parangon.
Pour les gens des Six-Duchés, la vision de Parangon est un étonnement. C’est un bateau vivant, qui parle et qui semble avoir une forme d’intelligence. Il a aussi le visage de FitzChevalerie Loinvoyant. Fitz et ses compagnons de voyage (Persévérance, Cendre/Braise, Lant) apprennent une partie de l’histoire du bateau magique grâce au Fou. Ce dernier les prévient que Parangon est une vivenef atypique, qui sort du lot : « Parangon a été victime de mauvais traitements difficiles à comprendre pour quelqu’un qui n’est pas de Terrilville ».
Globalement, une vivenef sert fidèlement ses propriétaires ou sa Famille ; Parangon n’en fait qu’à sa tête et ne suit que ses envies. Quand il est dans un bon état d’esprit, il est plus que plaisant de naviguer à son bord. Dans le cas contraire, c’est bien plus périlleux comme le remarque Brashen (« cette fois, il nous a défiés et a franchi le passage plus vite que jamais »).
Pour ne rien arranger, la présence d’Ambre (le Fou) à bord ajoute à l’instabilité de Parangon. Ambre a toujours exprimé clairement ses idées et milité pour le retour des dragons. Ambre est celle qui nourrit les rêves de grandeur et d’affirmation de Parangon. Ce faisant, Ambre a un impact négatif sur le bateau selon Brashen. Il déplore que Parangon « ressemble à un adolescent, parfois rationnel, parfois impulsif, et, si nous tentons de nous interposer entre Ambre et lui, le résultat risque d’être… »
Parangon finit par exprimer clairement es envies. Il hurle que « je n’ai jamais été un bateau ! Nous sommes des dragons réduits en captivité ! En esclavage ! » On ressent bien là toute sa détresse, toute sa douleur. Il aspire à autre chose que transporter des choses, d’autant plus qu’il a vu et fréquenté Tintaglia et d’autres dragons. En disant que « celle qui est ma véritable amie m’a montré que je peux être libre », il réaffirme l’importance d’Ambre. Car, Ambre lui a donné un peu d’Argent. Ce liquide magique a des effets immédiats sur Parangon qui semble à la fois plus clairvoyant sur sa réelle identité mais aussi capable de mieux naviguer. Il en veut plus : « vous voyez l’effet qu’a sur moi une petite quantité d’Argent ? Si on m’en donne assez, je pense pouvoir me débarrasser de ces planches en bois que vous avez fixées sur moi et remplacer ces voiles en toile par des ailes ».
Il défie alors Althéa. Il n’a pas oublié que si elle a obtenu sa liberté, c’est en grande partie grâce à lui. Il lui demande si elle ne se sent pas redevable. C’est une interrogation légitime de sa part, surtout qu’Althéa connait la véritable nature des vivenefs. Elle ne pourrait donc pas tolérer son emprisonnement (« voudrais-tu que je reste ainsi, toujours soumis aux caprices d’autrui, en allant là où on me conduit, transportant des colis d’un port humain à l’autre, dépourvu de sexe, prisonnier d’une forme qui n’est pas la mienne ? ») Les mots choisis sont importants et ne peuvent qu’interpeller Althéa. Ils font écho au destin que réservait Kyle Havre à la femme Vestrit : une vie de femme mariée dans une maison quelconque, loin des mers et de sa passion pour la navigation. En réalité, comme Keffria, Malta ou Althéa, Parangon cherche à s’affranchir de la destinée qui lui est promis.
Ambre est bien la seule qui semble ravie des changements opérés par l’Argent sur Parangon. Elle n’a pas hésité à lui donner de cette « magie liquide qui abat les murailles entre humains et dragons », qui « peut guérir un dragon blessé » (comme on l’a vu avec Glasfeu dans les Cités des Anciens) et qui peut « allonger l’espérance de vie des Anciens et imprégner des objets de divers pouvoirs ». Althéa et Brashen sont bien moins convaincus par cette description, bien moins enthousiastes. Il faut dire que cela augure des changements importants dans leur vie. Que sont-ils sans vivenef ?
D’ailleurs, les effets sont immédiats. Parangon n’en fait qu’à sa tête et décide du cap sans demander l’avis de Brashen ou Althéa. Ce sont des cargaisons qui ne sont pas livrés, des engagements non tenus. Pour les deux personnes, c’est presque honteux de manquer à sa promesse, de ne pas Honor un contrat : « la mienne et celle d’Althéa ne vaudront plus rien, personne ne nous fera plus confiance, personne ne traitera plus jamais avec nous ». Si Parangon se transforme en dragon, ils perdent tout. Pas seulement leur navire mais aussi leur maison (« nous n’avons pas de toit à part ici, à bord de Parangon, pas vie ni d’emploi hormis le travail que nous effectuons sur le fleuve du désert des Pluies et à Terrilville »). On peut donc comprendre leur réticence, leur peur face à ces changements qui s’annoncent.
Si Parangon agit de cette façon, ce n’est pas sans raison. Il est méfiant, lui qui a passé tellement de temps échouer, lui qui a passé tellement de temps à attendre qu’on le remette à flots. Il est clair et menaçant en disant que « je refuse d’être attaché à un quai (…) je ne me laisserai pas endormir par vos belles paroles pour que vous puissiez me ligoter ».
Parangon est donc vindicatif. Il tente même de convaincre les vivenefs qu’il croise à l’image de sa rencontre avec Vivacia. Il veut « que tu te rappelles que tu es un dragon ; non un bateau, non la servante des humains qui voyagent à ton bord ». Vivacia est réceptive à ce message et blâme ceux veulent la réduire à son côté pratique : « croyais-tu que je n’entendrais pas la vérité de ce que Parangon a dit ? (…) nous savions tous que nous avions une autre nature (…) je veux redevenir un dragon, Hiémain ». Le ressentiment est palpable car les vivenefs veulent retrouver leur liberté et que les humains semblent les freiner et font preuve d’égoïsme. C’est comme si ils étaient prêts à les sacrifier pour conserver un outil bien pratique.
Quel genre de dragons sera Parangon ?
Le Fou a son hypothèse. Il pense qu’il « est composé de deux dragons » et que cela peut expliquer ses humeurs fluctuantes. Pour le Fou, sa folie est presque inévitable en voulant faire cohabiter deux personnalités si différentes, si opposées. En se transformant, il se peut qu’il donne naissance à deux dragons aux humeurs plus stables, en tout cas plus cohérentes.
A une vivenef perplexe, Parangon précise qu’il n’oubliera jamais ses années en tant que vivenef. Il est un dragon après tout et les dragons n’oublient rien. Il conservera donc toutes les expériences auprès des hommes (« je vais m’affranchir du corps de ce vaisseau et de cette enveloppe à ta ressemblance, mais je porterai toujours en moi de ce que les horreurs peuvent s’infliger les uns aux autres par amusement »). Les références à Igrot et Kennit sont claires.
Alors que Clerres est en train de sombrer, que le port est ravagé, Parangon devient un dragon. Abeille est témoin de la transformation de Parangon en deux créatures : « je regardais la verre si intensément que je n’avais pas remarqué le bleu qui sortait de l’épave ». Son premier fait marquant, mis à part sa participation au sac de Clerres, est de rendre un dernier hommage à Akennit (le fils d’Etta et de Kennit). Celui-ci vient de mourir et a l’honneur d’être dévoré par les dragons.
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