Troisième tome de la trilogie A la croisée des mondes, Le miroir d'Ambre s'avère être un roman prenant et passionnant, offrant un large choix d'actions et ouvrant à la réflexion.
Une terrible lutte s'annonce entre les forces de Lord Asriel et celles de l'Autorité. Pendant ce temps-là, Will et Lyra se lancent dans une périlleuse mission (aller dans le monde des morts) durant laquelle ils feront de surprenantes rencontres.
Will a entre ses mains une arme terrifiante : le Poignard Subtil, autrement appelé le Destructeur de Dieu. Il faut un grand combattant pour repérer la puissance d'une telle arme. C'est le cas du Roi des Ours, Iorek, qui met d'ailleurs Will en garde : « les machines de guerre les plus mortelles sont des jouets inoffensif à côté de ce poignard (...)Tes intentions sont peut-être louables. Mais le couteau poursuit un but, lui aussi ». A travers cette déclaration, on peut noter une sensation qui intervient tout le long de la lecture : les différents personnages, qu'ils soient humains ou non, sont pris dans un engrenage qui les lie tous et leurs actions ont des conséquences qui les dépassent.
Il y a même parfois une sorte de résignation face aux événements, presque de la soumission à la fatalité comme lors de la scène où Will et Lyra se rendent au royaume des morts et doivent traverser un lac pour y aller. Dans un décor symboliquement parlant (gris), face à un homme tout aussi frustre, ils se rendent compte qu'ils doivent abandonner une part d'eux-mêmes pour aller de l'autre côté (représentée par l’abandon de leur daemon). Ils affirment leur intention de revenir malgré la négation du passeur ; bien entendu, ils prennent la chose mal et menacent le vieil homme. Lui répond de sa voix monocorde : « tout le monde vient ici : les rois, les reines, les assassins, les poètes, les enfants… Tout le monde emprunte ce chemin, et personne ne revient ».
La question religieuse est fortement présente dans ce roman. On se souvient des paroles de Ruta Skadi dans le second tome (la Tour des Anges) où elle disait que « depuis qu'elle existe, c'est-à-dire très peu de temps à nos yeux, mais très très longtemps d'après les critères des mortels, l'Église a toujours cherché à supprimer et à contrôler toutes les pulsions naturelles. Et quand elle ne peut pas les contrôler, elle les détruit ». C'est la même voie critique qui est développée dans le roman. Lorsque Lyra expose son plan aux gardiennes du royaume des morts et aux morts (à savoir ouvrir une sortie sur un autre monde afin de les laisser sortir sous forme d'atomes), un moine prend la parole et expose sa vision dichotomique des choses. Il est méchant, fanatique et semble totalement déconnecté du monde dans lequel il vit désormais pour toujours (« ce n'est pas une enfant. C'est un agent du Malin en personne ! (…) Le Tout-Puissant nous a offert ce lieu béni pour toute l'éternité, ce paradis, qui semble si triste et désolé aux âmes perdues, mais que les yeux de la foi voient tel qu'il est : débordant de lait et de miel (…) Nous sommes au paradis, mes amis ! »).
Le combat de Lord Asriel (le père de Lyra) est mené pour différentes raisons. Certes, il veut aider sa fille à accomplir son but mais il désire aussi mettre à bas le Régent Métatron, qui ne rêve que de passions humaines et est plein d'ambitions (notamment de remplacer la vieillissante Autorité). Asriel ne veut pas pour sa fille d'un monde où « une inquisition permanente, bien plus terrible que tout ce que pourrait rêver la Cour de Discipline, organisée par des espions et des traîtres dans chaque monde ».
Plus terre à terre, on retrouve une même critique de la pratique dévoyée de la religion dans les mots de la mère de Lyra, Mme Coulter. Quand elle discute avec le père MacPhail (un homme qui veut empêcher un nouveau Adam et Eve et une nouvelle tentation), elle lui balance sa vérité en pleine figure : « Si vous avez cru un seul instant que j'allais remettre ma fille entre les mains (…) d'une bande d'hommes habités par une obsession fiévreuse de la sexualité (…) des hommes dont l'imagination furtive ramperait sur son corps comme des cafards ». Il est étonnant d'entendre de telles paroles dans la bouche d'une femme qui s'est rendue capable et coupable des pires atrocités et horreurs.
On ressent également cette même forme de déception et de scepticisme vis-à-vis de la religion dans le personnage de Mary Malone (une scientifique, amie de Lyra). C'est intéressant car c'est une femme qui a été élevée dans la soumission au Dieu et qui a par ensuite grandi dans le monde de la science. Ainsi, elle dit que « figurez-vous dans le temps, j'étais religieuse. Je pensais que la physique pouvait servir la gloire de Dieu, jusqu'à ce que je découvre qu'il n'avait pas de dieu du tout et que la physique était bien plus intéressante de toute façon. La religion chrétienne n'est qu'une erreur fort puissante et convaincante, rien d'autre. »
Le roman traite également des sentiments des hommes, tels l'amour ou la solitude. Qui de mieux pour montrer la force de l'amour que Mme Coulter ? Cette femme a été hypocrite et vile, cruelle, méchante, a su être perfide et trompeuse au point de duper le Régent. Elle a caché sa fille au fond d'une grotte en espérant que ce mauvais choix la protégerait de faits futurs potentiellement horribles. Et pourquoi a-t-elle pris tous ces risques ? Elle-même s'interroge : « d'où vient cet amour ? Je l'ignore ; il s'est emparé de moi comme un voleur dans l'obscurité et, aujourd'hui, mon cœur est si plein d'amour qu'il menace d'exploser ». D'ailleurs, dans ce roman, l'amour est fortement lié au sacrifice, à la douleur.
C'est le cas de Mme Coulter qui donne sa vie pour assurer un avenir à sa fille. Et c'est le cas de Lyra et Will qui doivent mettre de côté leur amour s'ils désirent vivre. Venant de mondes différents, ils ne peuvent vivre dans le monde l'un ou l'autre sans se condamner à terme, sans voir l'un des deux décliner physiquement jour après jour… Il est bien cruel qu'un amour naissant et si fort doive être mis entre parenthèses de cette façon.
Pour autant, nos deux jeunes héros font preuve d'une grande force d'esprit. Ils n'ont pas peur de clamer leur amour l'un à l'autre et ils ont conscience que la vie continue :
Will : Je t'aimerai toujours, quoi qu'il arrive. Jusqu'à ma mort et après ma mort.
Lyra : Nous vivrons dans les oiseaux, les fleurs, les libellules, dans les sapins et les nuages.
Un des changements les plus notables, entre le premier et le dernier tome, est la maturité acquise par Lyra. Elle se manifeste dans la gestion de son amour et son acceptation de la situation. Elle ne baisse pas les bras, est trop consciente de la fragilité de la vie pour s'enfermer dans des regrets (« et si… plus tard… (…) si on rencontre quelqu'un qui nous plaît (…) il faudra être bon avec elle, ne pas faire de comparaisons tout le temps en regrettant de ne pas être mariés l'un avec l'autre »).
Ce début de sagesse a été durement acquis, au prix de nombreuses pertes, d'amis morts, de blessures. Mais aussi de labeur comme souligné par Xanaphia quand Lyra s'aperçoit qu'elle ne comprend plus l'aléthiomètre : « il faut travailler. Tu croyais qu'il suffisait de claquer des doigts pour posséder ce savoir, comme un don ? Ce qui mérité d'être possédé mérite qu'on travaille pour l'obtenir ».
On sent une première manifestation de sa transformation lorsqu'elle répond à Tialys (une partenaire de voyage vers le monde des morts) qui la considère comme une gamine irresponsable et insolente. C'est une Lyra aux abois, sensible à sa faiblesse et de ses erreurs, qui parle (« vous autres, vous tuez les gens comme ça ! dit-elle en claquant des doigts. Pour vous, ça ne compte pas. Mais pour moi, c'est une torture et une souffrance permanentes ; je n'ai pas pu dire adieu à mon ami Roger, je veux lui demander pardon et essayer de me racheter si je peux »).
Et, la boucle est bouclée au moment où Lyra se retrouve face au Maître du Jordan College et Dame Hannah : « je sais que je n'ai pas toujours dit la vérité (…) Je sais que j'ai beaucoup menti, et je sais que vous le savez, mais mon histoire est trop importante pour que vous la croyiez à moitié ». C'en est fini de la Lyra presque sauvageonne, qui espionnait, inventait des histoires. En allant dans le monde des morts, en trouvant puis perdant l'amour, en faisant de superbes rencontres, en devenant une sorcière (elle réussit le test lors de sa séparation avec Pan pour accéder au monde des morts), c'est une nouvelle Lyra qui naît.
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