L’idée que Vérité soit un individu affaibli et en plein doute peut paraître ridicule. Après tout, l’homme a sauvé les Six-Duchés en donnant sa vie. Il a sacrifié sa jeunesse, son amour et a fait preuve d’une immense volonté, d’un immense courage. Il a bravé des dangers, naturels ou non, pour arriver à ses fins. Mais, avant de se lancer dans la quête des Anciens, Vérité est un homme comme tant d’autres, traversé par des moments de doute. Surtout, il doit sans cesse réajuster sa position dans la famille Loinvoyant ; la mort de Chevalerie, le déclin de Subtil, l’arrivée de Kettricken, la perfidie de Royal, les Pirates Rouges le forcent à tenter de s’adapter et endosser le costume royal.
Et ce n’est pas facile pour un homme qui n’a pas été éduqué pour gouverner mais pour suivre.
C’est son père, Subtil, qui décrit parfaitement ce qu’est Vérité quand on creuse sous la surface. Vérité n’est pas cet Homme d’Etat : il s’est construit et est parti de loin pour atteindre ce statut. Au départ, Vérité n’est qu’ « un garçonnet boulot de huit ou neuf ans, plus gentil que brillant, pas aussi grand que son frère aîné Chevalerie, mais un bon petit prince, aimable, excellent second fils, sans trop d ‘ambition et qui ne posait pas trop de question ». Autrement dit, en temps de paix, Vérité aurait servi de prince diplomate, il aurait été envoyé pour nouer des accords et aurait fini par épouser une princesse d’un royaume quelconque sans que cela ait trop d’impact sur le sort des Six-Duchés.
Vérité n’est pas Chevalerie. Il n’a pas été élevé pour régner. Mais, les événements ont changé son destin et il a dû endosser ce rôle de gouvernant. Pendant un long moment, on peut même croire que Vérité se sent comme un usurpateur. Il n’est pas à sa place, il ne mérite pas d’être là, il a volé le rôle d’un autre. Dans un moment assez intense de confession, il avoue à Fitz que « je voudrais que ton père soit encore vivant et que ce soit lui le roi-servant ». Alors qu’il continue sa déclaration, on comprend que sa nature est toujours là et que Vérité aurait aimé pouvoir rester en second plan (« et que moi je sois toujours son bras droit (…) Sais-tu comme il est facile de suivre les ordres d’un homme en qui on a confiance, Fitz ? »).
Chevalerie parti, le royaume a perdu son roi-servant. Vérité, lui, a perdu un frère, un ami. Ils étaient quasiment les deux derniers de leur catégorie : deux Loinvoyant artiseurs ayant passé beaucoup de temps ensemble. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir que Vérité se sent isolé (« parfois, c’est en pensant à lui que je me sens le plus seul ; c’est comme si j’était l’unique créature de mon espèce dans le monde. Comme si j’étais le dernier des loups, obligé de chasser seul »).
Malheureusement, Vérité se sert aussi du souvenir de Chevalerie pour se comparer à lui. Il ne se considère pas aussi bon que son frère, aussi doué que lui. Il sait qu’il n’a pas la même capacité de réflexion que Chevalerie, pas la même capacité à mener des raisonnements. Cela le pousse à avoir peur de faire des erreurs. Ainsi, quand Kettricken est agressée par des forgisés, il ne pense qu’à tenter d’étouffer l’événement sans voir que cela peut ressouder les gens de Castelcerf (« Chevalerie aussi y aurait pensé (…) Moi, je n’ai songé qu’à la ramener en vitesse au château en espérant que l’affaire ne s’ébruite pas trop. Comme si c’était possible ! Et aujourd’hui, je me dis que, si un jour la couronne vient à se poser sur ma tête, elle se trouvera bien indignement portée »). La détresse de Vérité est bien perceptible.
Pour ne rien arranger, Vérité doit faire avec Kettricken et Royal. Kettricken n’est pas une femme qui obéit aux ordres de son mari ou aux attentes d’une princesse : elle est là pour agir, pour faire avancer les choses ; c’est son éducation de montagnarde qui parle. Royal, lui, veut prendre la place de Vérité et de Subtil et est donc prêt à trahir sa famille.
Vérité aurait eu besoin d’une femme qui le réconforte, qui pleure quand quelque chose de mal lui arrive. Ce n’est pas le cas de Kettricken : « elle ne venait pas pleurer sur mon épaule, comme on aurait pu le croire, ni se faire consoler, ni se faire rassurer contre des peurs nocturnes ni même chercher à se tranquilliser quant à ma considération ». Ce mariage arrangé semble donc mal venu car les deux n’apportent pas, à ce stade du récit, ce dont l’autre a besoin. Fitz partage ce constat : « je compris alors combien Kettricken lui était mal assorti ; ce n’était pas sa faute : elle était forte et avait été éduquée pour régner. Vérité, lui, disait souvent qu’il avait été élevé comme second ».
Quant à Royal, le dédain éprouvé est bien clair d’autant qu’il ne peut rien faire contre son frère. Vérité sait que son petit frère a tenté de faire un coup d’Etat, a été à deux doigts de le réussir et ne peut rien faire contre lui. Il ne peut pas le punir, il ne peut pas le pousser à l’exil car il ne faut pas créer plus de tensions internes. Vérité assiste alors, presque impuissant, aux manigances de Royal. Il le voit se rapprocher de Kettricken, il les voit passer du temps ensemble alors que lui doit consacrer toute son énergie et tout son temps à la défense du royaume. Quand Royal et Kettricken font une sortie ensemble à cheval, on perçoit toute la jalousie de Vérité (« Vérité ne parvenait pas à effacer toute trace d’amertume dans sa voix »).
Les choses auraient pu être supportables si elles se limitaient à une petite rivalité fraternelle. Mais, c’est le sort des Six-Duchés qui est en jeu, pas celui de deux petites personnes. Comment est-ce que les choses pourraient s’arranger si les gens à la tête de l’Etat se détestent ? Car, la haine est bel et bien là : « Vérité ne cherchait pas à dissimuler son aversion et je compris lors à quel point le poison des perfidies de Royal l’avait affecté. Rongé le lien qu’ils avaient pu partager en tant que frère ». En réalité, ce qui détruit le plus Vérité est le non soutien de son père, Subtil ; le vieux Roi n’a rien fait pour punir Royal après les Montagnes et il semble fermer les yeux sur toutes ses vilenies. Vérité en veut à son père. Il pense même que Subtil le sacrifie, le pousse à faire le sale boulot, à débarrasser les Six-Duchés des Pirates Rouges pour qu’un autre, Royal, coiffe la couronne. La peine se sent quand il dit que « il vous reste un autre fils pour porter votre couronne, un fils qui n’est pas défiguré par les cicatrices de l’Art ; un fils libre de se marier comme il lui plait ».
L’Art est un autre mal nécessaire qui ronge Vérité. Sans l’Art, Vérité ne pourrait pas protéger les frontières du royaume et son pays. Mais, l’Art le détruit petit à petit, lui fait perdre sa vigueur physique et sa clarté de l’esprit. Il confesse à Fitz que « ça m’appelle dès que je ne fais rien. C’est pourquoi je dois m’occuper, Fitz. Et à l’excès ».
Fitz assiste à sa décrépitude. Il reconnaît de moins en moins l’homme : « il paraissait à la fois attentif et troublé, épuisé, en réalité, comme un homme qui essaye de toutes ses forces de rester éveillé alors qu’il n’ a qu’une envie : poser la tête sur l’oreiller et fermer les yeux ». Vérité semble avoir perdu une bonne partie de sa force physique, de sa vitalité. Il est comme un fantôme dans les murs de Castelcerf, un homme qui s’épuise dans une tâche qui semble vaine. Vérité n’est plus que l’ombre de l’homme qu’il était, lui qui était avant un homme bien bâti physiquement, robuste et vaillant. Fitz le décrit et en dit que « la belle chemise pendait à ses épaules et ses cheveux fraichement coiffés recelaient autant de gris que de noir. Il y avait aussi des rides autour de ses yeux et de sa bouche que je n’avais jamais remarqués ».
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