Après la libération des Six-Duchés et la fin de la guerre contre les Pirates Rouges, Fitz s’est-il coupé du monde ? La réponse à cette question est claire et évidente : oui. Il a trouvé refuge dans une maison, loin de tout et de tous, seulement accompagné d’Oeil-de-Nuit et de son fils adoptif, Heur. Fitz a décidé de ne plus participer à la vie royale ou à la vie de la cour, il ne s’implique plus. Rares sont ceux qui lui rendent visite, à part Astérie.
Il faut dire que Fitz a de bonnes raisons pour vivre dans son coin. La femme qu’il aimait a décidé d’épouser son mentor, Burrich, même si Fitz n’a rien fait pour la garder. Le Fou a disparu et Fitz n’a aucun moyen de le contacter. Vérité n’est plus qu’un dragon de pierre… Autrement dit, Fitz n’a plus de personnes dont il se sent proche.
Le Fou a une autre lecture des événements. Dans le tome Adieux et retrouvailles, il explique à Fitz sa vision des choses. Il pense que Fitz s’est mutilé en mettant des souvenirs douloureux dans la Fille-au-dragon. En faisant ça, il a perdu non seulement une partie de sa personnalité mais aussi de son envie de se lier au monde. D’après le Fou, Fitz n’aurait pas nécessairement perdu l’envie de vivre mais en tout cas l’envie d’entreprendre des choses, se contentant d’errer à travers le monde puis trouver refuge loin des autres. Le Fou dresse un portrait presque pathétique : « Tu avais seulement… cessé d’évoluer - sous certains aspects. Tu avais vieilli et mûri, sans doute, mais tu n’avais rien fait de ton propre chef pour entrer dans le courant de la vie (…) Tu vivais comme une souris dans un mur, en te nourrissant des miettes d’affection qu’Astérie te portait ».
Pour tenter de lutter contre sa solitude, Fitz se plonge dans l’Art. La magie devient pour lui une drogue. Son esprit se perd, tente de trouver un contact avec n’importe qui. Fitz se délecte de n’importe quelle personne qui lui répond. Il finit par repérer Devoir et Ortie dans l’Art, sans lier de liens avec eux. Il refuse de révéler qui il est, il refuse de leur dire qu’il est leur père. C’est bien une autre preuve de son repli.
C’est Ortie qui doit prendre les choses en main et deviner qui est ce Fantôme-de-Loup qui lui parle dans les rêves et cela aura un grand impact sur sa façon d’être avec son père. Clairement, Ortie en veut à Fitz. Elle ne comprend pas pourquoi il se coupe d’elle, pourquoi il ne lui apporte aucune considération (« avant, je m’imaginais que nous allions devenir des amis ; et puis j’ai appris que tu étais mon père. De ce jour, tu n’as même plus essayé de m’adresser la parole »). Cette attitude de Fitz est assez étonnante puisqu’il a toujours rêvé de rencontrer sa fille. Mais, les actes n’ont pas suivi les envies. Et, Fitz fait ce qu’on lui a appris : il se réfugie dans l’ombre, il ne fait pas de bruit. Avec Ortie, cela ne fonctionne pas. Elle lui en fait la remarque : « crois-tu que je ne te verrai pas si tu restes parfaitement immobile, Fantôme-de-Loup ? ».
Astérie ne comprend pas. Fitz est le fils du prince Chevalerie, il est un Loinvoyant et il se contente de vivre une petite vie. Pour la ménestrelle, c’est un réel gâchis. Et, lorsque Fitz la blesse en lui refusant son lit, elle lui montre tout son mépris. Elle compare la vie de Fitz à rien du tout. Il n’a rien, il ne fait rien. Ses propos sont durs car on lit que « regarde ce qui t’entoure, Fitz. En une dizaine d’années, qu’as-tu acquis ? Une chaumière au milieu des bois et quelques poules ». On sent bien que la situation de Fitz la dégoûte. Il aurait pu tout avoir, il aurait pu avoir une belle place à la cour et il se contente d’une vie privée de tout. Pour Astérie, c’est incompréhensible.
D’ailleurs, Astérie se sent en position de force. Elle a l’impression de rendre des faveurs à Fitz en lui rendant visite (« cela ne représente peut-être qu’un jour ou deux de temps à autre, mais pour toi je suis la seule véritable présence de ton existence »). En effet, quand Astérie lui rend visite, elle lui apprend ce qui se passe dans le vaste monde. Surtout, elle jette un oeil aiguisé sur la vie de Fitz et ne voit qu’un loup vieillissant et un bâtard bizarre.
Ce bâtard s’appelle Heur. Il est un adolescent qui a envie de vivre. Il ne se voit pas rester dans la petite maison. Il veut apprendre un métier, rencontrer des gens. Sa visite de châteaux avec Astérie lui a mis l’eau à la bouche. Après avoir vu tant de beauté, tant de gens, il ne peut pas se contenter d’une petite vie. Avec tout l’orgueil et l’insouciance de son âge, il s’en ouvre à Fitz : « as-tu déjà eu l’impression de sentir le temps s’écouler en te laissant en arrière ? Comme si le fleuve de la vie poursuivait sa course pendant que tu restes coincé dans un bras mort au milieu des poissons crevés et des vieux troncs moisis ? ». La comparaison fait mal mais éclaire assez bien la situation de Fitz : il se laisse porter, il vieillit, il perd ses capacités.
Quand il finit par retourner à Castelcerf, ce n’est pas de son propre chef. Le Fou devenu Sire Doré vient de lui dire qu’il va se servir de lui pour façonner le monde alors qu’Umbre le presse en disant que la famille royale a besoin de lui. Si Fitz reprend une place dans le monde, ce n’est donc pas de sa propre initiative. En tout cas, en arrivant à la ville, il voit que les choses ont changé et le regrette : « l’accroissement du nombre des bâtiments et l’intense circulation des barques et des bateaux indiquaient que Bourg de Castelcerf prospérait, mais je n’arrivais pas à m’en réjouir : je n’y voyais que la disparition des dernières traces de mon enfance ». L’apathie physique a donc aussi contaminé son esprit : Fitz n’arrive pas à assimiler que sans changement, le Royaume aurait stagné.
Fitz finit par prendre conscience qu’il a passé trop de temps isolé. Sa mélancolie transpire dans ses mots et il se lance dans une explication où on perçoit tout son désespoir. Il n’accuse personne de son sort : « à présent que je suis revenu, je regarde ce qui m’entoure et j’ai le sentiment d’avoir raté ma vie. Pendant que je coulais des jours solitaires, loin de tout, le monde poursuivait son chemin ici, sans moi, et je suis désormais condamné à rester étranger de ma propre maison ». Cette réflexion est bien mélodramatique et montre que Fitz n’est pas totalement guéri. Ce n’est pas parce qu’il est revenu à Castelcerf qu’il va se lier aux autres. Il prend une identité de serviteur, il refuse qu’on révèle au Price Devoir qu’il est FitzChevalerie Loinvoyant, il ne veut pas qu’Ortie vienne à Castelcerf et soit formé à l’Art, il ne prend pas de compagnon de Vif après la mort d’Oeil-de-Nuit…
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