Oeil-de-Nuit est le réel Roi. Le Fou versus la Femme Pâle : le combat du siècle. Oh Malta, Malta, Malta. Gloire au dragon fou Glasfeu. Les Anciens ne sont que des gosses.

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Kennit, maître de son destin ?

Kennit est un des personnages majeurs des Aventuriers de la Mer. Comme un bon nombre d’autres, on le voit se transformer au fur et à mesure ...

lundi 1 février 2021

Des femmes dans les Aventuriers de la Mer

Les Aventuriers de la Mer constituent des romans intéressants à plus d’un titre. Ils racontent l’histoire de pirates et de Marchands, de la famille Vestrit alors que les temps changent. Ils permettent le retour des Dragons et de revoir le Fou sous le costume d’Ambre. Ils explorent différentes cultures en ayant des personnages venant de Terrilville, de Jamaillia, des Six-Duchés, de Chalcède ou encore de Partage.

Contrairement à l’Assassin royal où on ne suivait les aventures que par les yeux de Fitz, la narration se fait ici à travers plusieurs personnages, de tous les âges et de toutes les origines sociales. C’est une des richesses du récit et c’est ce qui permet d’appréhender le sort des femmes.

Les premiers chapitres nous montrent toute la complexité de la situation à Terrilville. Les femmes (non esclaves) peuvent être indépendantes, mener une vie comme elles le veulent (Althéa en est un bon exemple), il y a pourtant le poids des traditions et des conventions à respecter. Ephon et Ronica Vestrit, les parents de Keffria et Althéa, ne font pas que des mauvais choix dans la gestion de la Vivacia, ils sont aussi peu sensibles à ce qui se passe dans leur ville et, plus important, dans leur famille. 

Ephron a bien conscience qu’Althéa “devra bien assez tôt s’installer, devenir une dame, une épouse et une mère”. Il lui refuse la possession de la vivenef familiale tout en sachant qu’il la condamne à un futur qui lui déplaira (“il m’étonnerait qu’elle trouve à son goût ce genre d’existence monotone”). Quant à Ronica, elle finit par comprendre que sa personnalité a écrasé celle de sa fille et elle le regrette. L’histoire est mouvementée à Terrilville et les habitants doivent savoir se prendre en main. Keffria semble mal engagée quand on lit que “comment avait-elle pu ne pas se rendre compte que Keffria devenait peu à peu une simple maîtresse de maison qui suivait les instructions de sa mère, obéissant à son époux, mais prenant rarement position ?”

Dès le début du récit, Althéa est présentée comme une femme volontaire alors que Keffria est plus effacée. On suivra l’évolution de Keffria tout le long des romans, non seulement vis-à-vis de son mari ou de sa mère, mais aussi de sa fille Malta.

Kyle Havre a du sang chalcédien et cela joue grandement dans sa vision de la femme. Hiémain nous offre une affirmation claire sur la culture de ce pays : “chez eux, une femme ne vaut guère mieux qu’un esclave”. Il n’est donc pas étonnant de voir Kyle dominer sa femme et la rabaisser verbalement. Il se moque d’elle, de son caractère et de sa pudeur ; Keffria ne réagit même pas. Elle l’écoute asséner des paroles dures (“rappelle toi le temps qu’il m’a fallu pour t’éveiller à ta sensualité de femme (...) je ne tiens pas à voir Malta, une fois adulte, aussi timide et complexée que toi”). Non seulement Kyle pense que Ronica a pris le dessus sur Keffria mais il ne lui accorde pas non plus d’ascendant sur Malta, leur fille. Quand Keffria le met au courant des manigances de Malta (la jeune fille veut être vue comme une femme malgré ses douze ans), il lui rit au nez. Ce sont alors des propos blessants auxquels elle a droit, des propos qui lui rappellent que son corps vieillit et que les années ont filé : “aucune mère n’a envie de se faire éclipser par sa fille ; une adolescente est pour une femme mûre un constant rappel qu’elle n’est plus dans sa prime jeunesse.” La position de Keffria est d'autant plus surprenante que c'est elle qui est désormais la représentante officielle de sa famille.

Malta a beaucoup de son père et dans une très grande partie de la saga, elle ne se définit que par rapport à lui. Et si elle paraît insupportable pour le lecteur, c’est qu’elle prend volontiers position pour son père malgré toutes les horreurs qu’il commet (le commerce d’esclaves par exemple). Elle sait également appuyer là où ça fait mal. Malta et Althéa ont plus en commun que ce qu’on peut penser. Les deux font face au destin qui les attend, c’est-à-dire épouser un homme dans le cadre d’un accord de famille de Marchands. Elles en parlent avec des termes crus. 

Althéa défie sa famille en général et Kyle en particulier en se laissant submerger par sa colère (“je dois donc faire la pute auprès du plus offrant, du moment qu’il m’appelle son épouse et propose un bon prix de mariage ?”). Malta et Althéa sont étouffées par le poids des traditions et veulent s’en défaire. Althéa va s’échapper à bord d’un bateau alors que la marge de manœuvre de Malta est plus réduite. Elle est trop jeune pour envisager une mesure aussi extrême, aussi fait elle ce qu’elle peut : elle porte une robe non adaptée à son physique lors du bal des Moissons. Surprise et ramenée chez elle, sa mère et sa grand-mère la traitent comme une gamine. Malta enrage puis explose : “tout plutôt que d’être obligée de m’habiller et de me conduire comme une petite fille alors que je suis une femme presque faite; oblifée de toujours me taire, me montrer polie, rester… rester invisible”.

Terriville a ses codes et ses coutumes. Althéa a voulu y échapper, elle replongera dedans lorsqu’elle reviendra dans la cité. On sait que la relation entre les deux soeurs est conflictuelle, Keffria ne rate pas une occasion pour dénigrer Althéa (“tu ne trouves pas bizarre qu’une jeune fille de bonne famille sorte toute seule la nuit ?”)

Les femmes à Terrilville ne sont pas condamnées à la douceur de leur foyer. Elles peuvent tenir des boutiques, être le Marchand de leur famille (et donc voter au Conseil, porter les réclamations et autres) ou naviguer à bord d’un bateau comme Althéa. Mais, il y a une différence entre naviguer sur une vivenef dont le capitaine est votre père et naviguer sur un autre bateau. Brashen le souligne explicitement à Althéa quand cette dernière cherche un bateau pour l’accueillir. Il lui dit qu’ ”il existe des femmes mariées mais la plupart de celles que vous voyez sur les quais travaillent  sur leurs navires familiaux, avec leur père et des frères pour les protéger”. Le sous-entendu est clair. Althéa n’a alors pas d’autre choix que de se déguiser en homme pour pouvoir trouver un travail. Elle en trouve un loin de ses qualifications et de ses compétences d’ailleurs. 

Si la question du viol revient souvent dans les romans, ici, il s’agira plus de la difficulté d’Althéa à faire valoir ses droits. Quand elle demande un certificat, il faut bien qu’il soit à son réel nom, elle ôte donc son déguisement. La réaction du capitaine de la Moissonneuse, Sichel, est claire, il a honte d’avoir été roulé dans la farine et il comprend maintenant pourquoi le voyage a été si périlleux (“pas étonnant que nous ayons eu tant d’ennuis avec les serpents (...) chacun sait qu’une femme à bord les attire”).

On en a eu un premier aperçu avec Kyle, la situation des femmes est bien pire à Chalcède. On en a a confirmation quand le Gouveneur Cosgo fait route vers Terrilville, accompagné par des mercenaires chalcédiens pour le protéger des pirates.  

Il est avec la Compagne Sérille et la façon dont il lui parle montre à quel point il a dévoyé le rôle de ces femmes mais aussi le rôle du Gouverneur. On est passé de la Gouverneure Malowda (“l’auteur de l'établissement des Droits de la personne et de la propriété”) à un homme qui ne pense qu’à ses plaisirs et en particulier sexuels. Sérille essaie d’être le plus honnête possible pour repousser ses incessantes avances, elle tente de faire naître en lui un sens du devoir et des responsabilités. Elle lui assène que “vous n’êtes pas un soi-disant noble chalcédien avec un harem de putains qui se mettent à quatre pattes pour vous caresser et vous flatter quand l’envie vous en prend”. Elle insiste, les Compagnes ne sont pas de banales femmes, elles occupent un rôle important dans la paysage politique de Jamaillia, elle n’est pas une “quelconque créature-objet huilée et parfumée.” Cosgo sait qu’il peut faire chanter Sérille, et il la menace. Il sait que le sort de la femme serait peu enviable dans les mains des chalcédiens et il lui rappelle (“je pourrais te livrer aux matelots. Y as-tu jamais songé ? Le capitaine est chalcédien. Il trouverait tout naturel que je rejette une femme qui m’a déplu. Peut-être te prendra-t-il en premier. Avant de te refiler aux autres”). Les phrases sont glaçantes, Sérille n’est protégée que par la volonté du Gouverneur, il n’y a que ça entre elle et le viol. Et, Cosgo met ses menaces à exécution. Véxé que Sérille se refuse à lui, il la donne. Le capitaine chalcédien ne fait pas que la violer, il lui retire toute humanité (“tantôt il abusait d’elle. Tantôt il faisait comme si elle n’existait pas”). La chute de Sérille se poursuit quand Cosgo minimise ce qui lui arrive (“vous, les femmes, vous en faîtes des histoires ! Après tout, c’est la nature.”)

Malheureusement, Sérille n’est pas la seule femme violée lors du récit. Et comme d’autres, elle partage un autre fardeau : des proches qui tentent de diminuer l’impact de ce qu’elle a subi.

Quand Devon profite de la candeur et du jeune âge d’Althéa pour coucher avec elle, cette dernière va se confier à sa soeur. Keffria montre alors que la solidarité féminine familiale est un bien grand concept et qu’elle est avant tout le produit de son milieu social et culturel (“elle m’a déclaré que je n’avais plus d’avenir, que j’étais une prostituée, une traînée, que j’avais jeté l'opprobre sur la famille”).

Quand Althéa est violée par Kennit, son propre neveu refuse de la croire. Il la considère comme folle, il ne voit que la femme enragée sans chercher à comprendre ce qui déclenche cette colère. C’est Etta qui lui ouvrira les yeux : “cette révolte, chez une femme, rien d’autre ne peut la provoquer. Je l'ai reconnue chez Althéa Vestrit. Je l’ai vue trop souvent. Je l’ai ressentie moi-même.”

Ailleurs, à la suite de différents événements, Malta se retrouve prisonnière à bord d’un navire chalcédien avec le Gouverneur et une Compagne (Keki) en fin de vie. Elle doit aller et venir sur le bateau, et les matelots en profitent pour la toucher de façon inconvenante. La jeune fille se voit toucher les seins, on tente de la déshabiller de force. Elle est tétanisée et sans l’aide de Keki qui lui apprend à dire en chalcédien qu’elle a ses règles, il y a fort à parier qu’elle aurait été violée.

Les romans offrent donc une variété de personnages différents. Les femmes ne font pas que subir. Certaines sont actrices de leur propre vie ou le deviennent. 

Etta a commencé en tant que putain puis est devenue la compagne attitrée de Kennit. Mais, elle est plus que ça, surtout si on la regarde à travers les yeux de Hiémain. Etta n’a pas la poitrine pleine ou la voix gracieuse, elle ne cherche pas non plus à le séduire. Non, Etta ne “présentait ni rondeur ni douceur, rien qui dénotât la moindre féminité (...) Jamais il n’avait senti une telle puissance chez une femme”. Etta est simplement à sa place sur le bateau des pirates et tout ce qu’elle accomplira par la suite le montrera. Elle impose son autorité aux autres hommes. Ils la craignent et la respectent et pas seulement parce qu’elle est la femme du capitaine mais surtout parce qu’elle est une femme impitoyable, sûre de sa force. Elle empêche Kennit d’être assassiné, elle défie et met au pas Sa’Adar.

Dans un autre registre, Grag Tenira est lui aussi ébloui par une femme, Althéa. Sa vivenef, Ophélie, accueille la fille Vestrit à bord pour la ramener à Terriville. Les deux jeunes gens se rapprochent, Grag ne cache pas son intérêt. Il est sous le charme d’Althéa, c’est une belle femme mais c’est aussi une femme capable (“comment faites-vous pour être aussi à l’aise dans un monde que dans l’autre ?”)

La réalité est plus complexe du point de vue d’Althéa. Elle est perdue. Elle l’admet volontiers à Ambre. Elle n’est pas intéressée par le mode de vie que les traditions réservent aux femmes, elle ne veut pas “ce que veut une vraie femme (...) je ne rêve ni de bébés ni d’une jolie maison. Je ne veux pas m’installer ni fonder de famille”. Elle ne sait pas qui elle est et ce qu’elle veut. Cela la frappe d’autant plus après avoir croisé Jek. Jek est une femme des Six-Duchés et dans ce pays (barbare pour les gens de Terrilville), les femmes se comportent comme elles le désirent. Rien ne les force à se marier. Althéa est jalouse de Jek et de sa liberté, notamment en ce qui concerne les moeurs sexuelles. Ses propos sont sans équivoque car on peut lire que “elle est (...) ce que je fais semblant d’être : une femme que son sexe n’empêche pas de vivre comme elle l’entend”. Il faut dire que Althéa, Jek et Ambre partagent une cabine sur le Parangon, le bateau magique fou : ils sont à la recherche de la Vivacia. Et Jek ne se prive pas pour faire des commentaires salaces (“si elle ne pouvait satisfaire son corps, elle tenait souvent à partager ses fantasmes”).

On l’a vu un peu plus tôt, Kyle Havre s’est plaint de la pudeur sexuelle de sa femme. Il espérait que sa fille ne soit pas aussi coincée. Les choses semblent mal embarquées quand on observe la réaction de Malta lorsqu’elle voit le Gouverneur nu (elle doit s’occuper d’elle). On y lit que “son regard fut attiré par les parties génitales du Gouverneur. Le membre pendillant ressemblait à un ver malsain (...) Comment une femme pouvait-elle supporter le contacy d’une chose aussi répugnante ?”. A sa décharge, Malta est encore très jeune. Nul doute que les transformations induites par le Dragon Tintaglia (la fameuse crête) la changeront.

Enfin, il ne faut pas oublier Tintaglia et les vivenets qui sont des figures féminines importantes dans les récits. La dragonne est certaine de sa force et de son autorité sur les humains, elle est après tout la “Seigneur des Trois Règnes” (le ciel, la terre et la mer). Les vivenefs ont des caractères différents. Certaines sont curieuses (Ophélie), d’autres veulent clairement changer la vie de ceux qu’elles accueillent et tiennent en estime. C’est le cas de Foudre (Vivacia) qui dit à Etta que “la femelle ne devrait jamais attendre l’ordre d’un mâle pour ce qui concerne ses affaires”.


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