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Kennit, maître de son destin ?

Kennit est un des personnages majeurs des Aventuriers de la Mer. Comme un bon nombre d’autres, on le voit se transformer au fur et à mesure ...

jeudi 24 septembre 2020

Etta, la putain

 

Que raconte la saga des Aventuriers de la Mer ? C’est le retour des Dragons avec Tintaglia, c’est la découverte de nouvelles cultures et sociétés avec Terrilville, Jamailia et les Îles Pirates. On plonge dans une époque de bouleversement : un pirate (Kennit) ose s’attaquer aux transports d’esclaves, une famille Marchande (les Vestrit via Kyle Havre) se lance dans le commerce d’esclaves.

Mais, ce sont surtout des destins, des personnages qui grandissent et s’affirment au fur et à mesure des pages. L’agaçante Malta doit cesser de se comporter comme une gamine si elle ne veut pas mourir, ou pire, pourrir sur place. Althéa se lance dans une reconquête de la vivenef familiale (la Vivacia) injustement laissée à Keffria et Kyle Havre. Kennit veut devenir le Roi des Pirates, Davad Restart, perdu dans le chagrin suite au décès de sa famille, ne pense qu’au profit et à sa position sociale. Parangon, le navire fou, se lance dans un dernier voyage.

La force de ces romans est qu’ils nous font également suivre des personnages en bas de l’échelle sociale. Ici, il s’agit d’une prostituée, Etta. D’un bordel au palais du Gouverneur, du pont d’un bateau de pirate à celui d’une vivenef, Etta se révèle intéressante à découvrir. Si elle a beaucoup de mal à dépasser le statut de Kennit, on se rend vite compte qu’elle a beaucoup de possibilités.

Nous faisons connaissance avec Etta lorsque le pirate Kennit se rend dans son bordel habituel. Alors que la patronne lui propose de nouvelles femmes, il demande expressément Etta. Etta, la tenancière, les autres prostituées, toutes savent que le pirate veut cette femme (« sais-tu comment les autres m’appelaient ici ? La putain de Kennit. ») Pour Etta, c’est sans doute réconfortant et rassurant de savoir qu’un homme la veut malgré ce qu’elle est et son passé. Elle a l’impression d’être choisie, de compter. La vie de prostituée n’est pas facile et encore moins dans une ville comme Partage. Les pirates sont violents, sans foi ni loi, ils sont sales et souvent rustres. Et le métier en lui-même est compliqué : « les putains se font souvent battre par les clients ». Inévitablement, elle se raccroche à celui qui lui offre un tant soi peu de respect.

Pour autant, il serait naïf de croire que la relation entre Kennit et Etta est d’égal à égal. Kennit est un homme égoïste, imbu et au passé compliqué, lourd. Il a énormément de mal à accorder sa confiance et à se défaire de son costume d’autorité.

Kennit se place au-dessus d’Etta. Et même si ses conseils peuvent parfois être bons, il ne faut surtout pas lui montrer qu’il les écoute. On en a la preuve quand elle veut l’aider à capturer une vivenef (Kennit pense qu’avoir un bateau magique l’aidera à devenir le Roi des Pirates). Une fois qu’elle ait fini de lui parler, il lui répond que «  ne te crois plus jamais le droit de me dire ce que je dois faire. Je n’ai pas besoin des conseils d’une femme. Je sais parfaitement comment obtenir ce qui me plaît ».

Etta accepte cette réponse. Elle est sincèrement éprise de lui et en plus son passé l’a conditionnée. Elle a été battue, méprisée, insultée ; elle se contente donc de la maigre affection qu’il lui offre (« elle avait vécu si longtemps en se contentant de si peu que les mots qu’il venait de lui adresser lui suffiraient pour toute une existence »). Le moindre signe public d’affection devient un réel événement. Elle les chérit et cela se voit dans le vocabulaire employé. On a ainsi le droit à un « il l’honorait ainsi, il manifestait ses sentiments aux yeux de tous en l’embrassant. Elle s’en sentit magnifiée. »

Ce n’est pas réellement un amour à sens unique, mais presque. Etta en a conscience et elle l’accepte, elle a fait son deuil de quelque chose de plus poussé : « elle savait qu’il l’aimait. Cela lui avait suffi ; elle n’avait pas besoin d’être aimée en retour. C’était Kennit, elle n’en demandait pas davantage ».

Putain à Partage, Etta a du apprendre à s’endurcir, à se battre si elle voulait rester en vie. Cela lui sera profitable à de nombreuses reprises tant la vie sur un bateau de pirates réserve des surprises. Bien entendu, ceux qui sont sous les ordres de Kennit n’ont jamais levé la main sur elle mais il y a d’autres dangers.

Kennit veut devenir Roi des Pirates et cela suscite de la méfiance, de la jalousie et des réactions d’animosité. Quand il rentre à Partage après avoir commencé à libérer des esclaves, il tombe dans une embuscade. Il est sauvé, entre autres, par Etta dans un passage qui met à la fois en avant sa beauté et sa férocité (« Etta, nue, comme la main, accroupie au-dessus de sa victime, avait l’air d’un chat sauvage avec ses dents inconsciemment dénudées »).

On en a la confirmation un peu plus tard quand elle fait face à Sa’Adar. Ce dernier était un esclave à bord de la Vivacia, la vivenef que Kennit est parvenue à capturer. Resté à bord du bateau magique, il mène depuis quelques temps une sorte de coup d’État silencieux, profitant de la blessure de Kennit. Quand Hiémain tente de soigner Kennit, il a besoin du coffre à pharmacie mais Sa’Adar l’a dissimulé. Etta confronte donc le pirate, elle le taillade nonchalamment et montre une certaine maîtrise du couteau. Il n’y a pas que la lame qui blesse mais aussi ses mots : « on a bien compris, je crois : c’est moi qui te commande. »

Il serait injuste de limiter Etta à une femme prompte à la violence et partenaire de sexe de Kennit. Elle est avide d’apprendre. Hiémain sera son professeur. Si les leçons seront compliquées pour le jeune homme, elle parviendra à la maîtrise des lettres. Etta est une femme souvent impulsive, qui montre ce qu’elle ressent. Ne pas aller si vite dans ses cours la frustre, l’énerve (« la hargne d’Etta n’était pas dirigée contre lui, mais contre sa propre ignorance crasse. Elle avait honte de ne pas savoir. Elle se sentait humiliée d’avoir à lui demander son aide ».

D’ailleurs, la relation avec Hiémain est intéressante. Hiémain est le fils de Keffria Vestrit et de Kyle Havre. Frère de Malta et Selden, il est retiré de son enseignement à la prêtrise pour embarquer à bord de la vivenef (un membre des Vestrit doit absolument être à bord). Il subira la méchanceté de son père et, quand la Vivacia sera prise par les pirates de Kennit, il restera sur la vivenef, nouant des liens avec Kennit et Etta.

Dès qu’il la voit, le jeune homme sent tout de suite qu’Etta est une femme dangereuse (« le regard noir et froid de la femme qu’il sentait dans son dos lui glaçait les entrailles »). Kennit lui confirme qu’il doit se méfier de la putain devenue pirate, il lui dit que « tu as peur de cette femme, n’est-ce pas ? Tu as raison. »

Très vite, Hiémain développe des sentiments pour elle. Est-ce de la fascination ou de l’amour ? Dans tous les cas, il parle d’elle avec en train et avec des mots qui la valorisent. N’ayant connu que ses sœurs ou sa mère comme femmes, il est forcément envoûté par Etta. Le pauvre ne peut pas tenir le coup (« elle ne ressemble à aucune femme que j’ai connue et je ne peux résister à l’envie de percer son mystère »). On peut penser qu’il est jaloux de Kennit, après tout le pirate partage son intimité avec Etta et profite de ses charmes. Lui doit se contenter d’en rêver : « elle le fascinait (…) elle s’emparait de tous ses sens (…) il avait conscience d’elle et, parfois, elle troublait son sommeil. »

Mais, ce n’est pas réciproque. Pour Etta, Hiémain est un professeur, un compagnon de voyage et rien de plus. Ce n’est pas un homme, encore un enfant (« c’est un gamin déchiré entre sa nature douce et son besoin de te suivre ») ; il faut dire qu’Etta a très peu, pour ne pas dire jamais, rencontré ce genre de personne.

Sorcor est le second de Kennit. C’est lui convaincra Kennit dans un flamboyant plaidoyer de s’en prendre aux esclavagistes. Il est intéressant de noter qu’il considère au début des aventures Etta comme une faible femme sans défense et facilement impressionnable (« il vaudrait peut-être mieux que la dame se retire dans sa cabine en attendant que tout soit fini »). Le temps passe, il verra ce dont Etta est capable. Il sait maintenant que c’est une femme capable. Dans le roman Sur les rives de l’Art, il prévient Fitz et les autres (qui font escale sur les Îles Pirates avant de se rendre sur Clerres) que « la Reine Etta ne rechigne pas à prendre les choses en main en cas de problème. » Il parle d’elle comme une Reine car elle est la compagne de Kennit (le Roi des Pirates) mais aussi parce qu’elle porte, dans les Aventuriers de la Mer, l’héritier. Etta tombe enceinte et la nouvelle ravit Sorcor (« Sorcor se leva d’un bond puis se jeta sur Etta pour l’embrasser à l’étouffer »).

Etta se contente de ce que lui donne Kennit. La dame n’est pas au bout de ses peines quand le pirate parvient à s’emparer de la Vivacia. Il tombe amoureux du bateau magique, il la charme, il lui murmure des mots doux, il est bienveillant, il est tout ce qu’il n’est pas avec Etta. Etta en souffre, elle l’avoue à Hiémain. Elle lui dit que « il veut être seul avec elle », elle se sent donc exclue. Quelques lignes après, on peut lire que « Etta énonça le fait avec une franchise brutale. La jalousie flamboyait dans ses yeux. » Vivacia (devenue Foudre) et Etta se confrontent. Etta lui dit affirme que « je ne désire pas t’écarter ni te prendre Kennit ».

Les deux concluent en quelque sorte un arrangement d’autant plus que la vivenef lui ouvre une nouvelle voie, à savoir devenir mère et cela même sans en avertir Kennit. Selon elle, les hommes sont faibles alors que les femmes se doivent d’être fortes («  nous savons, nous, dans nos entrailles que le but de tous nos mouvements, c’est la perpétuation de l’espèce »).

En outre, il faut noter qu’Etta n’est pas dans une admiration béate de Kennit. Elle sait que le pirate a de mauvais côtés. On savait déjà ce qu’elle reprochait à Hiémain (son côté suiveur), on remarque que c’est une femme observatrice : « Kennit et toi, vous couvez parfois toute l’étendue de la bêtise masculine. Lui avec sa raideur, sa froideur et sa répugnance à reconnaître le moindre besoin, et toi avec tes grands yeux de chiot mendiant un instant d’attention ».

Le viol d’Althéa par Kennit est un des moments les plus durs des livres. Kennit nie, Hiémain refuse de croire sa tante. Etta s’emporte et on finit par comprendre qu’elle est en colère contre elle-même. Son passé de putain l’a habituée aux abus et souillures. Elle sait ce que ça fait. Elle prend donc Hiémain à part pour remettre les choses en place : « ta tante n’est pas folle, Hiémain. Du moins pas plus folle que n’importe quelle femme après un viol (…) Cette révolte, chez une femme, rien d’autre ne peut la provoquer (…) Je l’ai ressentie moi-même. »

Kennit emmène Etta sur l’Île des Autres, un endroit qui attire des marins superstitieux et cherchant des signes du destin. Etta y rapporte un objet qui la conforte dans son désir d’enfant (« au creux de ses paumes, pas plus gros qu’un œuf de caille, se nichait un bébé »). C’est à Hiémain à qui elle annonce le premier la nouvelle de sa grossesse (« je suis enceinte, je porte l’enfant de Kennit »), les deux ont fini par avoir un lien fort. Toute à son bonheur, elle ne se rend pas compte à quel point cela affecte le jeune homme (« les paroles fermèrent la porte au nez de Hiémain, l’exclurent de la vie d’Etta et de la lumière »). Hiémain fait preuve ici d’une attitude très mélodramatique, sa réaction est tout de suite exagérée. De toute façon, à la mort de Kennit, Etta se tourne vers Hiémain et lui supplie de l’aider («  je ne veux pas élever cette enfant toute seule »). Il n’est pas question de relation sentimentale ou amoureuse, Etta honore trop la mémoire de Kennit pour ça. Il est donc là quand elle a besoin de lui, que ce soit pour administrer les affaires ou lui tenir compagnie au bal du Gouverneur.

Avant de mourir, Kennit a une dernière demande, celle de nommer le futur bébé. Il demande qu’il ait un prénom étroitement lié à son histoire, Parangon (« Mon amour. Prends l’amulette en bois-sorcier à mon poignet. Porte-la toujours jusqu’au jour où tu la transmettras à notre fils. A Parangon. Tu l’appelleras Parangon ? »)

Kennit est mort sans vraiment l’être. Parangon a en lui les souvenirs du pirate, c’est la tradition. Etta lui pose une dernière question et il lui répond que Kennit « t’aimait aussi profondément qu’il en était capable. » C’est une réponse évasive mais Etta s’en satisfait. Elle connaît l’homme et ses complexités. Ce n’est pas réellement un mensonge ou une réponse franche, juste ce qu’elle a besoin d’entendre.

« Sur les rives de l’Art » permet à Fitz de rencontrer les héros des Aventuriers de la Mer et des Cités des Anciens (il a déjà vu Selden ou Jek). Il verra Malta et Reyn, Alise et Leftrin, Kanaï et Gringalette, Brashen et Althéa. Il rencontrera également Etta et elle lui fera forte impression : « une femme extraordinaire s’encadra dans la porte ».

Les deux auront quelques interactions et comme d’autres avant elle (Astérie, le Fou, Umbre, la Femme Pâle), la Reine des Pirates sent que Fitz apporte le changement : « FitzChevalerie Loinvoyant, grâce à vous, Partage connaît une effervescence, des destructions et des interrogations qu’elle n’a pas connues depuis bien des années ». C’est une affirmation compréhensible quand au même endroit sont réunis des Loinvoyant, des Vestrit, des Anciens, des vivenefs et des Dragons.



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