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Kennit, maître de son destin ?

Kennit est un des personnages majeurs des Aventuriers de la Mer. Comme un bon nombre d’autres, on le voit se transformer au fur et à mesure ...

lundi 9 novembre 2020

Le viol d'Althéa Vestrit

Il y a un événement particulièrement douloureux à lire en tant que lecteur dans les Aventuriers de la Mer et il s’agit du viol d’Althéa. Althéa Vestrit est une jeune femme à qui le destin et les parents n’ont pas fait de cadeau. Ronica et Ephron ont refusé de lui confier le vaisseau familial, et elle a dû parcourir les mers en quête de crédibilité.

Dans le même temps, les événements se sont bousculés dans les eaux des Rivages Maudits : les Pirates ont été réunifiés et unis sous la bannière de Kennit, le Roi des Pirates. Kyle Havre, le beau-frère d’Althéa a remis le commerce d’esclaves au goût du jour et Tintaglia la Dragonne est venue changer les choses. C’est aussi une période de guerre, Chalcède menaçant les riches cités commerciales.

A ce stade du récit, Althéa est sur la Vivacia (ou Foudre) en compagnie de Kennit, Etta, Jek et Hiémain (son neveu). Elle vient d’être capturée suite à la bataille entre les équipages du Parangon et de la Vivacia.
Kennit est plein de charme avec elle, il est prévenant, lui fournit de belles et bonnes choses. Il endort sa méfiance, il tente de la séduire et il finit par lui donner une boisson au pavot qui l’hébète. Althéa est perdue, elle se rend compte que Kennit joue avec elle. Ce qu’elle ne peut pas savoir est que Kennit la considère comme un catharsis, une façon de se débarrasser d’éléments traumatisants de son passé. En quelques secondes, passive, ne pouvant réaliser ce qui lui arrive, Althéa « était nue » et se demandait « quand s’était-elle déshabillée ? » Aux caresses insistantes de Kennit suit la pénétration.
Kennit parti, Althéa prend conscience de ce qui lui est arrivé. Elle a beau être dans un brouillard, elle a tout de suite la souffrance qui éclate en elle. C’en est trop pour elle, d’autant que ça fait remonter des éléments du passé et la trahison de Keffria. En effet, des années plus tôt, Devon (un jeune homme de mer) a profité de sa naïveté et a abusé d’elle. Elle en a parlé à Keffria et sa sœur a mis le blâme sur elle, sur son comportement : « tu l’as amené à faire ça, et c’est ta faute »… Mais qu’attendre de Keffria ? Après tout, c’est une femme qui a longtemps défendu Kyle Havre et le commerce d’esclaves.

Kennit doit faire face aux regards de ses matelots. Il est persuadé qu’ils parlent dans son dos, qu’ils savent ce qu’il a fait. Des remarques sont faites et elles viennent surtout de l’amulette en bois-sorcier qu’il a son à son poignet. L’amulette lui dit clairement que ce qu’il a fait est horrible, déshonorant et une des pires choses faites par Kennit. Le pirate se cherche des excuses, il minimise. Pour lui qui vit dans un univers où le plus fort prend ce qu’il désire, c’est normal (« C’est une femme. Ça leur arrive tout le temps, aux femmes. Elles sont habituées »).

Althéa a donc été violée. En plus de l’acte odieux, elle doit subir les remarques de ses proches (principalement Jek et Hiémain) qui ne la croient pas. C’est d’autant plus surprenant pour Jek qui est son amie et qui a partagé avec Althéa un certain nombre d’aventures, et devrait mieux la connaître. 
Jek cherche à comprendre ce qu’aurait à gagner Kennit en violant Althéa et elle va même à penser que c’est une façon pour Althéa de lui en vouloir de commander la Vivacia : « pourquoi t’aurait-il violée? (…) il est normal que tu haïsses Kennit et que tu le crois capable de tout. Il y a de quoi te détraquer la cervelle ». 
De son côté, Hiémain est totalement sous le charme de Kennit et pense que sa tante est perturbée («  sa tante n’allait pas bien du tout (…) sa folle accusation de viol »). Il faut préciser que Hiémain a très peu connu Althéa et ça pourrait expliquer qu’il renie à ce point les liens familiaux. 
Captive sur la Vivacia, Althéa a également en face d’elle Etta. Etta est une ancienne prostituée qui a déjà subi la rudesse des hommes. Kennit a été sa porte de sortie. Ce n’est donc pas si étonnant de la voir le défendre, d’autant plus q’en étant sa compagne, elle a acquis un beau statut. Quand Etta défend Kennit en public, Althéa ne comprend pas, elle espérait sans doute une solidarité féminine : «  je suis une garce ? Il m’a violée. Ici, sur mon propre navire. Et vous, une femme, vous le défendez ? ». La réalité est sans doute plus complexe, on peut penser qu’Etta ne tolère aucune critique publique envers Kennit, aucune remarque qui le ferait descendre de son piédestal. Car, en privé, elle a une autre position. Quand Hiémain minime et nie même ce qui est arrivé à Althéa,  elle le remet en place et confirme que la femme a bien vécu ce qu’elle raconte (« ta tante n’est pas folle, Hiémain. Du moins pas plus folle que n’importe quelle femme après un viol »).

Une vivenef sait ce qui se passe sur son pont, elle a conscience de la moindre chose qui se passe et peut même fouiller les esprits de certains. Vivacia n’est donc pas sous l’influence des belles paroles du pirate. Elle est franche et directe avec lui : « c’est le plus grand préjudice que l’on puisse causer à une femme ou à un dragon femelle. Cela me révolte, cela me dégoûte au plus haut point ». Mais juste après, elle nuancera ses propos par un « si tu as fait cela » et Kennit jouera avec elle la carte du rêve.

Même si la colère se calme, Althéa reste grandement traumatisée par ce qui lui arrive. Après quelques péripéties, Brashen revient auprès d’elle. Les deux cherchent à partager de l’intimité. C’est impossible pour Althéa. Elle est marquée par ce qui lui est arrivé. Elle a même peur de l’homme qu’elle aime, elle craint qu’il lui fasse ce que Kennit lui a fait : « s’il voulair, il pouvait la forcer, la maltraîer. Elle serait de nouveau piégée. Elle posa la main sur sa poitrine et le repoussa légèrement ».
Il faudra l’intervention de la vivenef Parangon pour qu’Althéa amorce sa guérison. L’ancienne vivenef paria est bien plus intelligente que ce qu’elle montre. Dans l’imaginaire collectif, elle est violente et imprévisible, avec un lourd passé. Certes, cela l’a durablement marquée mais Parangon a une aptitude assez poussée à lire les humains. Notons aussi que Parangon a englouti Kennit et souvenirs. Prendre en elle ce qu’a vécu Althéa, prendre son viol la complètera. Parangon saisit donc  la peine, la douleur et Althéa sent rapidement un changement (« le souvenir était toujours là. Il n’avais pas disparu, mais il avait changé (…) cette plaie se refermerait et cicatriserait. »
Cela lui donc donne la force nécessaire pour se confier à Brashen. C’est une dure nouvelle pour son compagnon qui ressent tout un tas de choses (« une fureur meurtrière envers Kennit. De la colère envers lui-même, pour ne pas l’avoir protégée. De la peine, qu’elle ne lui ait pas parlé plus tôt »). Bien entendu, tout cela n’aurait rien changé à ce qu’Althéa avait vécu. Mais, Brashen devait se sentir rejeté quand Althéa se détournait de lui, peut-être inutile de ne pas saisir son mal-être (surtout que le viol n’était pas un secret).


4 commentaires:

  1. Pour moi, cet acte révèle énormément de choses sur Kennit. J'avoue que ça fait 3 ans que je n'ai pas relu la série (là je viens de recommencer), mais pour moi, cet acte représente non seulement la nature monstrueuse de Kennit (que Hobb cherche à nous faire oublier durant la partie du milieu) mais aussi toute son évolution. Kennit est au début un personnage profondément égoïste, et totalement incapable d'affection envers quiconque et je pense qu'un tel acte aurait été impensable de sa part au tome 1. Je pense que Kennit a progressivement commencé à ressentir de l'affection pour Hiémain, mais une affection malsaine, pervertie. Je pense que la seule chose qui l'a empêché de lui faire ce qu'il a fait à Althéa, c'est le fait que Hiémain lui ressemble trop, qu'il s'identifie trop à lui du fait de son passé et se refuse à reproduire sur lui ce qu'il a subi de la part d'Igrot (je répète que cela fait une éternité que je n'ai pas lu la série donc mon interprétation peut être erronée). Du coup, dès qu'Althéa est arrivée, toute cette envie qu'il contenait et refoulait a rejailli d'un coup (d'où le fait qu'il passe à l'acte alors qu'Althéa vient à peine d'arriver sur la Vivacia). Pour moi, cet acte représente à la fois un brusque rappel de toute la monstrusosité du personnage mais aussi à la fois une marque de son évolution. Et je trouve ça encore plus génial que Robin Hobb arrive à nous montrer une évolution en théorie positive (le fait que le personnage s'ouvre au reste du monde, c'est à l'origine une évolution positive classique) par quelque chose d'aussi violent qu'un viol, tellement cet amour et cette affection sont pervertis. En tout cas très bon article, et ça fait plaisir de voir du contenu sur l'oeuvre de Robin Hobb :-)

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  2. Kennit est, comme tu le dis, un personnage très intéressant. On a quand mêm un type avec un but noble (devenir Roi des pirates et marquer l'histoire), qui a des moyens nobles (libérer lees esclaves) mais prisonnier de son passé malgré tout ce qu'il fait pour s'en détacher.

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  3. "Les loups n'ont pas de Rois" c'est le moment qui me reste de l'assassin royal, celui qui m'a littéralement scotchée (me rappelle encore où j'étais qd je l'ai lu..Un plage venteuse de Six Fours mes filles se baignaient et moi, du sable ds la bouche, fermant le livre des frissons et wahou!!)
    Bref.....
    Belle découverte que "Les aventuriers de la mer" (j'hésite un peu avec la suite chrono..Peur d'être déçue (et pis un Stephen king entamé en attendant)..
    Le viol d'Althéa par Kennit rend compte de la complexité de l'agresseur lui même violé enfant, reprendre le pouvoir pour l'effacer, en "combattant le monstre être devenu le monstre"..
    Robin Hobb a du connaitre le viol car elle parle des émotions d'Althéa avec finesse et des processus à l'œuvre chez l'agresseur aussi (bien sûr tous les enfants victimes de ce crime odieux qu'est le viol (et surtout l'inceste) ne deviennent pas eux même des agresseurs...je le sais dans ma chair)..
    Quand Parangon lui parle il la délivre , lui demandant de lui donner cette souffrance que Kennit avait lui même reçu (mais dans un déni massif). De briser cette chaine de transmission de la souffrance qui ne "t'appartiens même pas". J'avoue que j'ai pleuré. Ce sont des paroles lumineuses et libératrices lorsque l'on a été victime..Assez énorme..J'aime son écriture où personne n'est mauvais ou bon à 100%

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  4. Sacré bon commentaire qui reflète exactement ce que je pense.
    Ils sont tous esclaves de leur passé, oui

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