L’Union a eu un premier avertissement. Valbeck a failli sombrer : les émeutiers ont causé bon nombre de ravages dans cette riche ville industrielle. Le peuple a cru pouvoir prendre son destin et les pauvres quitter la fange. Mais, le pouvoir en place, mené par le Prince Orso et l’Inquisition, a pris les choses en main : des émeutiers ont été pendu et la rébellion réduite à rien. Les leaders, dont la Juge, ont pris la fuite. Les choses ne se sont pas calmées puisqu’a suivi une tentative de coup d’Etat. Une nouvelle fois, Orso, devenu roi, a su garder le pouvoir. Mais, le peuple continue à avoir faim et à mourir dans des conditions indignes. La Juge continue à haranguer la foule, attiser les braises. Le peuple marche donc sur Adua, la capitale de l’Union.
La Juge a conscience de ce qu’elle dégage, du symbole qu’elle est. Elle sait qu’elle est une leader qui doit être au front, et non un stratège à l’arrière qui tente de manipuler les acteurs. La Juge se met donc en scène et elle le fait bien. Dans une foule déchaînée et qui assiège le palais royal, elle sort du lot : « plus belle, plus enragée et plus légitime qu’il aurait espéré la voir dans ses rêves les plus fous. Plus qu’une simple femme, un symbole et un idéal fait chair. Une déesse qui guidait le peuple vers son destin ». On sait que la Juge est une femme impitoyable, prête à tout. Elle motive son comportement. Elle ne le fait pas par plaisir mais par nécessité : il n’y a que comme ça que la révolution réussira (« parce que si le monde doit changer, il faut que quelqu’un énonce le verdict. Une héroïne doit oublier ses sentiments et condamner à mort le passé »). Elle ne peut pas se permettre de transiger, elle n’en a pas le droit. La Juge se sent comme investie d’une mission sacrée, d’un devoir envers le peuple et tous ceux qui ont cru en la cause. Ses propos ne laissent pas la place au doute quand elle dit que « nous devons porter ce fardeau. En l’honneur de tous dont le nom est gravé dans la pierre, dehors. Ceux qui ont tout donné, y compris leur vie ».
La révolution réussit : les Conseils sont réduits à zéro, Orso est emprisonné et mis dans une cage. Il assiste à bon nombre de procès menés par la Juge. Il est donc un observateur attentif de la Juge. Si, selon lui, la Juge est instable et dérangée, « il fallait lui reconnaître une qualité : savoir réussir ses entrées ».
D’autres sont bien plus circonspects ou de farouches critiques. Vick a fréquenté la Juge à Valbeck. Elle sait que la Juge est prompte aux massacres, à l’horreur. Elle voit la Juge répéter la même chose à Adua, non pas en pendant les gens, mais en les balançant du haut d’une haute tour (« on n’y immolait pas des gens, à sa connaissance, mais uniquement parce que la Juge tenait à. Son grand spectacle, de haut de la Tour des Chaînes »). Vick parle à Tallow, un jeune homme devenu un confident et un ami ; elle lui dit que l’avenir de l’Union est bien sombre si la Juge reste en vie. Elle regrette qu’il n’y ait personne pour s’opposer à la toute-puissance de la Juge et que cela la laisse libre de commettre les pires atrocités possibles : « La Juge, aujourd’hui, a plus de pouvoirs que tous les rois de l’Histoire. Harold le Grand lui-même rendait des comptes à Bayaz. Cette dingue ne sera pas heureuse avant d’avoir démoli le monde entier ».
Pike, un membre de l’inquisition qu’on pensait proche des idées révolutionnaires et qui change à nouveau de camp, rejoint le constat de Vick : « un homme très sage m’a dit un jour qu’il fallait d’abord brûler le monde avant de le changer. Mais la Juge est un incendie incontrôlable. Le moment est venu d’étouffer les flammes et de rétablir l’ordre ».
La Juge trouve en Savine une opposante de premier plan. Savine est tout ce la Juge déteste : une personne ayant profité du système pour s’enrichir et qui a écrasé les plus faibles, une personne qui a cherché à s’acheter une bonne conscience, une femme fille de roi. Elle décide donc de juger Savine, de la soumettre au tribunal populaire. C’est un choix regrettable qui amorcera la fin de la Juge. Elle a sous-estimé Savine, ses talents à manipuler la foule et utiliser les mots. Broad l’avait pourtant mis en garde (« donner à Savine l’occasion de s’exprimer, il avait prévenu la Juge, était une grosse erreur. Mas la dingue tenait à un procès comme grand spectacle. Afin d’humilier l’accusée en plus de la punir ») ; il n’a pas été écouté tant la Juge semble faire du cas Savine une affaire personnelle.
Mais, Savine utilise tous ses atouts, notamment sa nouvelle maternité. Elle se met en scène avec ses enfants, elle met en avant son côté fatigué et ses bonnes oeuvres (elle a fourni à manger au peuple affamé). Certes, cela ne suffit pas à l’innocenter : Savine est condamnée à mort. Preuve de sa détestation de Savine, la Juge assiste à la mise à mort. C’est elle qui mourra alors que la confusion règne : de violents combats règnent autour du palais et dans les rues, des canons chantent. Savine et Broad saisissent leur chance : « le Juge, elle, continua à tomber, un dernier rictus rouge de sang fendait son visage avant qu’elle ne soit plus qu’une masse indéterminée de vêtements et membres battant l’air en vain ».
Dans les dernières pages du roman, on finit par comprendre que tout cela, la révolution, Valbeck, les morts, les pendaisons et les massacres, a été manigancé par Sand dan Glokta pour se débarrasser de Bayaz et se desserrer de son étreinte et de l’emprise de la banque. Glokta est pathétique en disant que la Juge est un moindre mal (« Le Tribunal du Peuple n’était pas nos projets, tu t’en doutes, mais quand la nullité de Risinau est apparue au grand jour, la Juge semblait la seule alternative. Qui aurait pu savoir qu’elle serait encore pire ? »). D’une certaine façon, Sand dan Glokta admet qu’il a joué avec une force incontrôlable ; il n’a pas su cerner la Juge. Savine rit de ses justifications et de ce choix. Elle ne peut pas comprendre comment il a pu choisir Savine, après ce qui s’est passé à Valbeck. Son dégoût transpire dans sa colère (« N’importe quoi ! Il suffisait de penser à ce qu’elle avait fait à Valbeck ! Avoir des yeux et des oreilles, voilà tout ce qu’il fallait ! Cette femme était raide dingue ! »).
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