Les animaux liés par le Vif sont les héros oubliés de la saga. Sans eux, un bon nombre d'événements n'aurait pu avoir lieu ou Fitz aurait connu la mort. Ils ont donné leur énergie, parfois leur vie, pour permettre à leurs compagnons de traverses des épreuves. D'autres ont offert le confort de leur corps à un partenaire en grande difficulté. Si Oeil-de-Nuit est considéré par un bon nombre de personnages comme un loup puissant, intelligent et important, ce n'est pas nécessairement le cas d'autres animaux avec qui Fitz a eu un lien.
Martel en est un bon exemple. Il est le chien que Patience a offert à Fitz pour se rapprocher de lui. Le présent était sincère, le signe d'une mère tentant de nouer des relations avec son fils. Mais, à cette époque, Fitz est éduquée par Burrich, un homme qui, malgré qu'il soit le maître des écuries, a un préjugé négatif sur le Vif. Dès qu'il apprend que Fitz a un chien, il fait preuve de suspicion. Et rien ne s'arrange au moment de l'épreuve d'Art (Galen a envoyé Fitz au loin et le fait revenir en le contactant par l'Art) : Fitz est témoin d'une agression que subit Burrich. Il voit cela à travers Martel, il se rend compte de ce que fait le chien pour sauver Burrich : "le poignard plongea et plongea encore dans ma chair (...) d'une ruade, l'homme se débarrassa de moi et me projeta contre la cloison d'un box. Le sang qui me coulait de la bouche et les narines m'étouffait." Les conséquences sont claires : Martel meurt ("je crus voir un bout de queue frémir dans un ultime effort, pour me faire fête. Puis le fil se rompit et l'étincelle disparut. J'étais seul." Le décès de Martel aurait pu être beau, le sacrifice d'un chien pour son maître et l'ami de son maître. Martel a tout donné, sans aucune retenue, sans aucune réserve. Il a même adressé un petit adieu à Fitz, un homme avec qui il a eu une relation courte et très intense. En soi, cela aurait pu être magnifique si Burrich n'avait pas eu un comportement égoïste : "tu as tout gâché, et pour quoi ? Pour un chien ! Je sais ce que peut représenter un chien dans la vie d'un homme, mais on ne fout pas son existence en l'air pour..." En ne parvenant pas à dépasser sa détestation du Vif, Burrich manque de respect à ce qu'a fait Martel. Son comportement ternit le dévouement de Martel. On peut presque croire que, selon Burrich, les hommes et les animaux ne valent pas la même chose, que la vie d'un chien vaut bien moins que celle d'un homme.
Fouinot a été le premier animal avec qui Fitz a eu un lien. C'étaient deux enfants qui passaient des bons moments ensemble sans y réfléchir. Pour Fitz, la relation représentait l'enfance, une époque où il n'était pas encore pris dans les intrigues politiques. Quand Fouinot a été éloigné par Burrich, cela a symbolisé la fin de l'enfance. Fitz était convaincu de ne jamais revoir Fouinot, le destin lui a prouvé le contraire. A la fin du tome L'apprenti assassin, Fitz retrouve Fouinot dans les Montagnes. Le chiot a été confié à Rurisk, un prince des Montagnes. Fouinot n'a pas oublié Fitz : si ce n'est plus la même joie enfantine, il y a quand même du contentement à se revoir. Ce lien, toujours vivant, est plus qu'utile car la vie de Fitz est menacée par Royal. Royal laisse Fitz et Burrich pour morts dans les bains ; c'est la fin qu'ils auraient connu sans l'intervention de Fouinot ("sa tête reposait sur ma poitrine quand on nous avait découvert ; les liens qui le rattachaient à ce monde s'étaient rompus. Fouinot était mort"). Fouinot a donc donné toutes ses ressources d'énergie pour tirer Fitz de ce mauvais pas. Il a lutté de toutes ses forces pour sauver son premier ami. Sans cet acte, Fitz aurait été écarté du tableau et la route aurait été grande ouverte pour Royal. Ce décès marque grandement Fitz. Puisqu'il est le narrateur, on a accès à ses pensées, à ses sentiments. Et Fitz nous offre un des plus beaux passages de la saga, deux phrases extrêmement marquantes : "les hommes ne pleurent pas leurs morts avec l'intensité des chiens. Mais nous pleurons de longues années".
Pour les gens des Six-Duchés, la mort de Royal est un acte barbare, d'une sauvagerie sans nom puisque le roi a été tué dans son sommeil par un animal. Il a été saigné. En réalité, la mort de Royal est la juste récompense de sa politique : en pourchassant et traquant les gens du Vif, en les exposant et en les tuant, il a mis en branle sa propre fin. Cela a créé des désirs de vengeance. Petit-Furet a vu son compagnon mourir : ce dernier lui a donné un dernier ordre (tuer Royal) qui a grandement marqué le furet. Cela est même devenu son obsession, possiblement la seule raison qui le pousse à continuer à vivre. Petit-Furet a donc été privé d'un lien sain, d'une relation complète et il a dû accomplir la mission d'autres. Pourchasser sur des centaines de kilomètres, durant plusieurs mois, ce n'est pas un comportement pour un furet. Fitz le rencontre alors que lui-même tente de tuer Royal, il voit bien que l'animal n'est pas en bonne santé mentale, qu'il est à la limite de la démence. Fitz remarque que "la souffrance vidait sa tête de tout sauf de son but (...) La mort de son compagnon de lien avait rendu l'animal à moitié fou, et c'était le dernier message que lui avait transmis Grand-Furet. Il me paraissait bien vain de donner pareille mission à un si petit animal". Très peu de personnes savent que c'est un furet qui a délivré les Six-Duchés de l'emprise d'un roi incompétent et dangereux. Notons toutefois que si Petit-Furet était prisonnier de la mission, il a quand même tiré un grand plaisir de ce qu'il a fait ; sans doute avait-il conscience que les derniers mois avec son compagnon étaient pénibles tant il fallait faire sans cesse attention à ne pas attirer les regards des haineux du Vif. Petit-Furet n'a pas que tué Royal, il "le déchiqueta dans son lit une nuit" et "laissa des traces sanglantes non seulement sur les draps mais dans toute la chambre, comme si son acte l'avait rendue folle d'exultation".
Des animaux privés de l'usage normal de leur corps pour accueillir leur compagnon humain, il y en a eu d'autres dans la saga. L'exemple le plus marquant est celui de Fitz et Oeil-de-Nuit lorsque le loup a permis à l'esprit de Fitz de survivre à sa mort. Si cela bien fini, d'autres ont connu des fins plus tragiques.
Rolf le Noir, un professeur de Vif particulièrement dur, tente d'enseigner à Fitz et à Oeil-de-Nuit qu'il faut fixer des limites à leur lien, qu'ils ne peuvent être fusionnels sans prendre le risque de s'exposer à de graves difficultés. La biche n'est pas une biche, c'est une biche qui se comporte comme une femme humaine : "Parela n'a plus d'existence à elle, ni mâle, ni faon (...) Quand le cerf brame, elle empêche Parela de lui répondre ; elle doit s'imaginer faire preuve de fidélité envers son mari ou une stupidité du même tonneau". Autrement dit, la biche est privée de tout ce qui caractérise une femelle de son espèce, elle est condamnée à la solitude et à vivre avec les remords de sa compagne de Vif. Pour Rolf, la femme a pris le dessus sur la biche et lui a imposé sa volonté. C'est une relation malsaine ("je voulais que vous le voyiez vous-mêmes, que vous vous rendiez compte de l'abomination que c'est, de la perversion absolue de ce qui aurait dû être une confiance mutuelle").
C'est exactement la même chose qui arrive avec une marguette dans les tomes le Prophète blanc et La secte maudite, sauf que la marguette possédée représente une réelle menace pour la stabilité des Six-Duchés. En effet, le prince héritier Devoir s'est entiché d'elle, il est envoûté. Devoir ne maîtrise pas du tout son Vif et il est un adolescent : la marguette possédée en a bien conscience. D'autant plus que la femme qui occupe le corps de la marguette a été marquée par la haine de Vif de Royal et les traditions sanglantes des habitants des Six-Duchés contre les gens du Vif. Elle cherche donc la vengeance et est prête à tout pour ça, même à priver l'animal de tout droit comme le remarque Oeil-de-Nuit ("elle ne lui permettait pas de s'occuper d'elle-même comme le fait un vrai marguet. Elle la possédait trop complètement et se voulait comme une femme dans la peau d'un animal"). Tout cela aura des conséquences désastreuses (la mort d'Oeil-de-Nuit et la haine de Laudevin pour Fitz) ; cela aurait même pu être pire si, dans un dernier sursaut, la marguette n'avait pas réussi à donner un dernier ordre : "Stupide frère-de-chien ! Tu es en train de laisser passer notre chance ! Tue-moi vite !" La marguette a saisi que ce qui se passe est anormal, elle a compris que le lien créé avec Devoir est abusif. Elle est donc prête à mourir pour empêcher ça. Encore une fois, un animal meurt parce que des humains ont voulu aller trop loin.
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