Qui est Devoir ? Est-il seulement le roi des Six-Duchés ? Est-il uniquement le fils de Kettricken et Vérité ? Il est en tout cas un roi qui tranche clairement avec ceux d’avant : il ne cultive pas la manie du secret. Surtout, Devoir exprime clairement sa reconnaissance à Fitz en le laissant enfin vivre une vie paisible avec celle qu’il aime. Devoir sait qu’il doit son trône à Fitz, que ce dernier a beaucoup sacrifié de choses. Devoir a également conscience que Fitz l’a vu au plus bas, quand il a rejeté ses devoirs de prince, et qu’il ne l’a pas jugé ou dénigré pour autant.
Devoir a donc grandi. Il n’est plus l’adolescent égoïste qui ne pense qu’à ses propres désirs. Il n’est plus ce gamin prêt à tourner le dos à ses obligations afin de vivre une histoire d’amour. Il a conscience du monde qui l’entoure et des émotions des gens. On en a un exemple lorsque la cour se rend dans les Montagnes pour l’enterrement du roi Eyod. C’est Devoir qui remarque et signale aux autres que quelque chose ne va pas avec Fitz (« Devoir m’a parlé il y a déjà plusieurs jour pour me dire qu’il te trouvait très morose, même pour des funérailles, et qu’il vaudrait peut-être mieux ne pas te laisser seul »).
Fitz, lui, est bien placé pour évaluer Devoir. Il le connait depuis de nombreuses années et il a des points de référence. Fitz sait ce que c’est de gouverner : il l’a vu de près avec Subtil ou Vérité. Il sait combien la fonction peut être écrasante. Si il fait un compliment à Devoir, c’est alors nécessairement sincère. On se rend très vite compte que Devoir fait forte impression à Vérité : « quel roi vous êtes devenu, Devoir ! Vérité serait fier de vous. Il était comme vous capable de dire « je vous prie » au plus humble serviteur sans une ombre d’ironie ».
D’ailleurs, Devoir rappelle Subtil et Vérité, pas quand ils étaient en prise à leurs addictions à l’art ou aux drogues mais dans leurs meilleures années (« il me regarda et je vis devant moi le roi Subtil et le roi Vérité, mes rois, qui me contemplaient avec la compassion la plus sincère »). Pour Fitz, c’est important tant ces deux personnes ont compté pour lui.
Devoir veut également rendre à Fitz ce qu’il lui a apporté. Sans Fitz, Devoir n’aurait jamais régné. Sans Fitz, Devoir aurait été dominé par les Pie et leur vision pervertie du Vif. Sans Fitz, Devoir aurait dû faire avec un Umbre envahissant. Et, Fitz n’a quasiment jamais rien demandé en retour. Pire, tous les exploits du bâtard sont méconnus et son image publique ne vaut rien. Devoir et Kettricken considèrent cela comme un affront personnel et ils ont à coeur de réparer cette injustice. C’est pour cela qu’ils sautent sur l’occasion de présenter FitzChevalerie Loinvoyant à la cour. Bien entendu, Devoir n’est pas dupe : il mesure l’énormité de la révélation sur Fitz. Le bâtard était tant habitué à vivre dans le secret qu’une nouvelle comme ça ne pouvait que le perturber. Et c’est le cas. C’est un Devoir rassurant et protecteur qui présente Fitz à la foule : « vous tremblez comme une feuille, me souffla-t-il à l’oreille. Tiendrez vous debout ? »
La relation entre Devoir et Fitz n’est pas connue de tous au début de la trilogie. Quand commence le Fou et l’assassin, Fitz est encore Tom Blaireau pour beaucoup de gens. Il n’est qu’un noble, en plus mineur, parmi tant d’autres. Or, Tom Blaireau est directif quand il débarque à Castelcerf pour aider un Umbre agonisant. Il ose demander au roi d’ouvrir les fenêtres et chasser les gens présents dans la salle. Pour les spectateurs, c’est presque un crime de lèse-majesté. Devoir, lui, semble plutôt content que quelqu’un le traite normalement : « j’entendis un hoquet du surprise dans la pièce (…) je vis un sourire las et désabusé tirer les coins de la bouche de Devoir quand il donna l’ordre de vider la pièce ».
L’enlèvement d’Abeille va compliquer leur relation. En tant que père, Fitz est terrifié, il ne veut que retrouver sa fille. En tant que roi, Devoir doit prendre plusieurs paramètres en compte : la sécurité du royaume, le sauvetage d’Abeille, etc.
Très vite, Devoir se rend compte que Fitz va être compliqué à gérer puisque le père tremble pour sa fille. Fitz se révèle impétueux et peu à l’écoute. En lui disant qu’ « en l’occurence, c’est moi qui donne » et « j’ai mis cette opération en route, et elle doit se dérouler comme je l’ai prévue », Devoir lui adresse une ferme mise en garde. Fitz doit respecter l’autorité royale.
Or, Fitz n’y arrive pas. Il pense à sa petite Abeille malmenée. Il imagine le pire pour celle qu’il croit déjà fragile. Il désobéit donc à Devoir avec raison selon lui. Il se justifie en disant que « j’avais choisi mon devoir de père plutôt que mon devoir de prince. Et je recommencerais s’il le fallait ».
En réalité, ce qui déçoit le plus Devoir n’est pas ce que fait mais le fait qu’il lui ait caché. Il aurait pu comprendre ses raisons et ses motivations (« je savais que l’intérêt du royaume vous tenait à coeur et que vous ne me cacheriez pas la vérité même si elle devait me faire mal »). D’une certaine façon, Fitz a laissé croire à Devoir qu’il n’était plus fiable, qu’il était devenu un franc-tireur qui n’agissait que pour ses propres intérêts. Devoir prend cela presque comme une trahison. Sa question transpire la déception : « FitzChevalerie Loinvoyant, pourquoi avez-vous agi ainsi, sans m’en parler ? »
Fitz et Devoir ont deux conceptions différentes du pouvoir. Fitz est l’héritier d’Umbre et Subtil, même si il s’en défend. Il a été éduqué dans la culture du secret, des machinations et des complots. Pour lui, le pouvoir a obligatoirement besoin de gens qui font le sale boulot : « il faudrait toujours accomplir des actes déshonorants pour préserver l’honneur du pouvoir ». C’est une vision très réaliste et pragmatique. A l’opposé, on pourrait trouver Devoir plus naïf quand il affirme que « mon honneur ne doit pas être préservé par des personnes qui me servent en accomplissant des actes déshonorants ». Devoir ne se contente pas de dire ça, il l’applique en relevant Fitz de ses fonctions : « vous ne serez plus jamais un assassin ; vous ne serez plus celui qui exécute les besognes discrètes ou la justice du roi ».
La saga se conclut sur l’avènement du Loup du Ponant, le loup d’Art et de pierre créé par Fitz, le Fou et Oeil-de-Nuit. Cette créature mythique a aussi reçu quelques souvenirs de gens, dont ceux de Devoir (« j’ai quelque chose pour lui, un soir où nous nous sommes querellés et où je lui en ai voulu de toutes mes forces ; j’ai toujours regretté cet épisode ; il lui servira peut-être à présent »). Devoir fait référence à son enlèvement par les Pie, à un moment où il était sous l’emprise total de ce groupe. Cette phrase illustre le fait que Devoir a porté un fardeau pendant de nombreuses années, il s’en est voulu d’avoir causé du tort à son cousin Fitz.
Finalement, Devoir est plus que content quand Fitz mène son projet à bout : « Il a réussi ! »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire