Pendant longtemps, Terrilville et les autres villes de la région des Pluies répondaient à une certaine organisation sociale avec les Marchands tout en haut. Le commerce de biens et de services, l’exploitation des trésors ensevelis du désert des Pluies ou du fleuve des Pluies leur permettent de prospérer. Mais, un retournement de position du Gouverneur et les velléités de Chalcède ont tout bas culé et apporté la guerre. Pour ne rien arranger, les dragons ont fait leur retour. Les esclaves ont gagné en indépendance. Bref, la hiérarchie sociale a été bousculée et les villes et leurs habitants doivent s’adapter, tout en luttant avec des traditions et des coutumes bien ancrées.
Le changement ne se fait pas naturellement. Il est donc imposé par les événements. La société n’a pas le choix d’intégrer les anciens esclaves si elle veut se maintenir. Il n’y aurait pas assez de ressources ou de main d’oeuvre autrement ; ce ne sont pas que les villes du désert des Pluies qui sont touchées. Le changement est global et touche même Terrilville : « les Tatoués, esclaves affranchis, avaient commencé à se mélanger aux gens des Trois-Navires et aux Marchands, unis pour reconstruire l’économie et les bâtiments de la ville ». Bien entendu, ce n’est pas une opération nécessairement altruiste, il ne s’agit pas forcément de permettre aux esclaves d’échapper à leur triste sort pour des questions morales. Il s’agit plus de répondre à des buts précis : rénover une ville ou permettre aux serpents de se transformer en dragon. On avait besoin des bras des esclaves pour aménager les terres et les eaux pour les dragons ; ainsi, « six ans plus tôt, au retour des serpents, le désert des Pluies avait invité les Tatoués de Terrilville à immigrer sur son territoire (…) les Tatoués fournissaient leurs bras pour curer les hauts-fonds du fleuve ». Mais, cela se heurte à des résistances et aux préjugés. Voir des anciens esclaves, des gens marqués par des tatouages errer librement dans les rues peut déranger. Cela va contre les habitudes : dans une lettre, un Marchand récalcitrant dit que « le Conseil a préféré embaucher deux Tatoués. Le désert des Pluies n’est plus ce qu’il était ».
Tatou est un jeune homme, proche de Thymara, une habitante du désert des Pluies marquée par la malédiction (elle a des malformations physiques). Le cas Thymara est intéressant car, à cause de sa difformité, elle n’a pas le droit de se marier ou d’avoir des enfants.
Or, Tatou s’attache à elle et lui pose des questions qui sont normalement taboues. Pour Thymara, c’est la preuve que Tatou ne fait pas encore partie de la communauté, qu’il n’a pas encore intégré les codes qui la régissent. Sa pensée est claire : « Tatou était un immigré, et, dans le désert des Pluies, on ne discutait pas volontiers des créatures comme elle avec les étrangers (…) si Tatou n’en avait jamais entendu parler, c’était que la plupart des gens le regardaient encore comme extérieur à la communauté ». Ce point de vue est partagé par la mère de Thymara. Elle semble résumer ce qui se dit. Les mots sont durs, presque à la limite de l’insulte. Ils sont cinglants quand elle compara Tatou à un délinquant sans aucun avenir (« tatoué sur la figure comme un criminel, et chacun sait que sa mère était une voleuse et une homicide. Non seulement tu acceptes la visite d’un homme, mais il faut que tu choisisses au plus bas de l’échelle pour folâtrer ! »).
La relation entre Tatou et Thymara occupe une part importante de l’intrigue. Ou plutôt le choix que fera Thymara. Car, Tatou, Thymara et d’autres sont choisis pour devenir des gardiens, des gens qui vont s’occuper d’un dragon et les mener à Kelsingra. Pour ceux choisis, c’est une aventure palpitante mais aussi de nouvelles opportunités qui se dessinent. Ils ont l’occasion de redéfinir les règles, de créer de nouveaux liens.
Thymara est innocente, elle ne se rend pas compte que Tatou est attiré par elle, qu’il cherche à la séduire. Elle est convaincue que Tatou, ce jeune homme venu d’ailleurs, va respecter les traditions d’un pays qui l’a longtemps rejeté. C’est ce qu’elle dit à Graffe : « il connait la loi : les filles comme moi n’ont pas le droit d’être courtisés ni de se marier. Nous n’avons pas le droit d’avoir des enfants, donc ça ne sert à rien d’avoir des galants ». Thymara n’a pas encore compris que le voyage vers Kelsingra allait lui ouvrir de nouveaux horizons. L’éducation de ses parents, le poids social l’empêchent de réfléchir ; quelqu’un comme Tatou n’a rien à perdre. Mais, Thymara refuse de s’intéresser à Tatou et refuse de s’intéresser aux autres garçons du groupe. Cette décision soulève l’incompréhension. L’influent Graffe tente de la raisonner : il emploie des arguments qui visent à différencier Tatou des réels habitants du dsert des Pluies. Il avance que « tu as pour lui un sentiment de loyauté fondé sur un passé commun (…) c’est ton père qui avait choisi Tatou, Thymara ; c’est sûrement un très gentil garçon à sa façon, mais il n’est pas comme nous ».
Graffe a clairement une piètre opinion de Tatou. Selon Graffe, Tatou trotte comme un petit chiot aux pieds de Thymara. Graffe précise que « Tatou est peut-être le meilleur parti pour toi ; tu peux sans doute le faire mariner et le mener par le bout du nez ».
En réalité, Tatou goûte à sa liberté. Il a une attirance pour Thymara mais il est refroidi par son attitude. Thymara est prisonnière de son éducation et refuse toute avance. Pour Tatou, c’est difficile à supporter, d’autant plus que d’autres femmes ne sont pas insensibles à sa présence (« Tatou avait déroulé son lit à côté de Jerde sans même dire bonne nuit à Thymara. Et elle qui croyait qu’ils étaient amis, et bons amis »). Cela confirme également que Thymara a mal jugé Tatou. Il ne s’est pas forcément rapproché de Thymara pour coucher avc elle, leur amitié est réelle et solide ; toutefois, il a envie que leur route prenne une autre direction.
Sans aller à se mettre en couple avec Thymara, Tatou a peut-être simplement envie d’avoir sa première expérience sexuelle, d’autant plus que bon nombre de ses compagnons en ont. Lui a jeté son dévolu sur Thymara mais elle le garde à distance. La conséquence est qu’il s’éloigne d’elle et se rapproche de Jerde. Thymara est d’abord jalouse puis voit cela comme une blague. C’est presque comme si elle considérait que Tatou n’était qu’à elle, que si elle ne voulait pas de lui alors personne ne voudrait de lui. Sa tentative d’humour blesse Tatou : « Jared est prête à coucher avec n’importe qui ! Même avec toi ? (…) Elle se mit à rire de sa taquinerie, mais son rire s’éteignit quand elle vit Tatou voûter les épaules et de détourner légèrement ».
Thymara a alors une révélation : le monde ne s’arrête pas d’avancer parce qu’elle a décidé de rester vautrée dans le passé (« elle se savait condamnée par sa nature à mener une vie exempte de passion humaine ; croyait-elle qu’il se refuserait tout plaisir parce qu’il ne pouvait pas l’avoir, elle ? »). Cet extrait en dit plus sur Thymara que sur Tatou. Il illustre bien le fait que Thymara n’a pas saisi que l’expédition doit permettre à ses participants d’échapper à leur destin : Alise veut fuir un mariage qui l’étouffe et la brime, les gardiens ne veulent plus d’une vie en bas de l’échelle sociale alors que les dragons espèrent devenir des créatures majestueuses, et non les êtres pathétiques qu’ils sont. Tous veulent évoluer, passer à autre chose, sauf Thymara.
Enfin, il faut préciser que le comportement de Thymara n’est pas entièrement de sa faute. Comment aurait-elle pu être différente alors qu’elle a eu une mère toxique ? Sa mère passait son temps à la rabaisser, à critiquer négativement ses actes. Quand elle a vu que Thymara passait du temps avec Tatou, elle l’a insultée : « Dévergondée ! Je t’ai vue, Thymara ! Tout le monde t’a vue, assise-là haut, à faire ta chatte avec cet homme ! »
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