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jeudi 31 août 2023

Fitz et le Fou, des débuts compliqués

A la fin du Destin de l’assassin, Fitz et le Fou fusionnent : ils ne deviennent plus qu’une créature dans le loup d’Art et de pierre. C’est la fin d’un long voyage où les deux personnes se sont aimés, détestés, méprisés, se sont sauvés mutuellement de la mort. Leur relation a été plus qu’intense, parfois conflictuelle. C’est une histoire d’amitié et de sacrifice. Mais, dans les premiers tomes de l’assassin royal (l’apprenti assassin, l’assassin du roi et la nef du crépuscule), leur lien est à construire : ils ne se connaissent pas, ils sont deux étrangers dans un château qui leur parait hostile.


Leur première rencontre a lieu alors que Subtil semble enfin se souvenir qu’il a un petit-fils. Subtil décide de former Fitz. C’est une décision importante car c’est une reconnaissance du statut de Fitz par la royauté ; c’est aussi une opportunité indirecte qui permet au bouffon du roi et à Fitz de se rencontrer. En tout cas, à ce moment, ils sont deux inconnus qui ne se comprennent pas et sont encore en train de s’appréhender. Fitz est perplexe en voyant le bouffon, il ne saisit pas ce qu’il veut, qui il est ou quelles sont ses motivations. Les actes du bouffon le rendent perplexe (« l’espace d’un instant, il me dévisagea, puis il fit un geste incompréhensible de ses longues et maigres mains. Insulte ou bénédiction ? »).

Très vite, Fitz tombe sous le charme du bouffon. Ce n’est pas une question de physique, d’attirance amoureuse mais grâce au charisme et l’attitude. Le fou du roi envoute clairement Fitz qui n’a jamais vu quelqu’un comme lui : « il leva un doigt, comme pour arrêter non seulement mes pensées mais le jour lui-même. Mon attention n’aurait pas pu être complète ». Le Fou, lui, parle à Fitz par défaut : il ne recherche pas son amitié, il vient le voir par nécessité. En effet, un message s’est imposé à lui, un message à délivrer impérativement à une personne se voyant comme Fitz, comme un bâtard. Or, il n’y a que Fitz qui arbore cette identité. A ce moment du récit, le Fou ne cherche pas à faire de son Fitz son catalyseur, il ne cherche même pas à le convaincre. D’ailleurs, il est froid quand il lui parle : « quant à ce qu’il signifie, que veux-tu que j’en sache ? Je suis bouffon, je n’interprète pas les songes. Bonne journée.».


Fitz est flatté que quelqu’un s’intéresse à lui. Il ne se sent pas encore à sa place dans cette cour et il mendie, il valorise chaque miette d’attention. Qu’il soit choisi par le Fou comme interlocuteur lui plait. Il s’en ouvre à Umbre (« il se paye ma tête, mais de sa part ce n’est pas méchant. Ça me donne l’impression d’être, comment dire… important qu’il ait choisi de s’adresser à moi »).


Très vite, on saisit l’importance que Fitz a pour le Fou. Bien entendu, avec le recul, on sait que le Fou est le Prophète blanc de son époque et Fitz son catalyseur. Mais, ce n’est pas via cette optique que le Fou séduit Fitz. Il cherche avant tout à devenir proche de lui, à créer un lien d’amitié : « accepterais-tu de continuer si je te le demande ? Comme un ami ? » Pour quelqu’un d’aussi seul que Fitz, aussi prompt à la solitude, cela résonne forcément et cela le comble. Mieux, Fitz a conscience que le Fou fait un énorme effort. On peut lire que le terme ami « résonnait bizarrement dans sa bouche ; il n’y avait mis nulle moquerie et l’avait au contraire prononcé avec soin, comme si le dire tout haut risquait de lui faire perdre son sens ».

Au retour des Montagnes, Fitz a changé. Il a failli être tué par Royal et il se sent diminué physiquement. Il a connu une intense période de déprime et quand il revient à Castelcerf, c’est pour voir Royal pavaner, une Molly inaccessible. Le Fou, lui, est là et les deux continuent de se voir.  Fitz se confesse au Fou : « tu m’as manqué, dis-je, et je savourai l’expression de surprise qui passe en un éclair sur ses traits ». Ce n’est pas un moment anodin : il montre la joie, certes cachée, du Fou.

Fitz et le Fou sont donc amis. Mais Fitz reste Fitz et il est susceptible. Il prend mal une critique du Fou (« je n’arrivais pas à croire qu’il ait pu me donner ainsi en spectacle et j’éprouvai un sentiment de trahison. Il avait la langue acérée et le tempérament volage, je le savais, mais je n’aurais jamais pensé être un jour la victime publique d’une de ses plaisanteries »). Le Fou n’a pas fait cela par gaieté de coeur ; c’était une nécessité, non seulement pour annoncer la mort de Dame Thym (un déguisement d’Umbre) mais aussi pour tromper les espions de Royal.


Le Fou est un être à part. Pour quasiment la totalité des gens de Castelcerf, il n’est qu’un bouffon, une personne chargée du spectacle et de divertir. Fitz est une des rares personnes qui a cherché de creuser un peu et voir plus loin que les apparences. Tout simplement, Fitz regarde le Fou. Il se rend compte que le Fou n’est pas à sa place à Castelcerf, qu’il a traversé le monde pour servir un roi et atterrir dans un monde qu’il ne connait pas. Il le voit « comme une personne, petite et mince, toute fragile avec sa peau décolorée, son ossature d’oiseau ». Cette impression de fragilité est fréquemment ressentie par Fitz quand le Fou est compagnie du vieux et fatigué Subtil. Le Fou a énormément de respect pour Subtil, il tient à lui. Le voir dépérir le rend triste (« quand je détournai enfin les yeux, je vis le seul spectacle capable de me plonger dans un trouble encore plus grand : le fou, inconsolable, pelotonné aux pieds de Subtil »).


Proche de Subtil, le Fou l’est trop pour Royal. Il emploie la manière forte pour lui faire comprendre et le Fou se fait tabasser par des gros bras. Cela lui laisse des marques visibles. Fitz est choqué en voyant ça et tente de raisonner son ami. Mais, le Fou décide de rester imprudent.

Un des traits marquants du Fou est l’agilité de sa langue, il sait manier les mots, tourner les phrases. Il est aussi capable d’être direct et demande frontalement à Fitz si il a fait un bâtard. Fitz le prend mal et est à deux de le frapper. Il se ressaisit (« étrange comme l’acte que je m’apprêtais à commettre me paraissait soudain monstrueux commis par un autre »). La période tendue pèse sur les nerfs de Fitz : il est impuissant, son aventure avec Molly est dans une impasse et Royal resserre son emprise sur le pouvoir.

Mais, Fitz n’a jamais frappé le Fou. Il n’a qu’une fois cherché à le dominer physiquement. Vérité parti dans la quête des Anciens et annoncé mort, Royal annonce le déménagement de le cour à Gué-de-Négoce. Fitz et d’autres tentent de faire intervenir Subtil mais le roi est fatigué. Subtil n’est plus qu’un pantin, une marionnette que tout le monde utilise. Subtil a une utilité : il possède l’Art et il pourrait entrer en contact avec Vérité. Or, le Fou s’oppose à ce qu’on utilise Subtil. Fitz n’a pas le choix, il doit dominer son ami : « ce fut la première et la dernière fois que je devais user de force avec le fou, je n’éprouvai aucun plaisir à lui démontrer que j’étais plus fort que lui : voir le regard qu’il m’adressa dans les yeux d’un ami est un spectacle trop insupportable ».


Le cas Subtil est donc le principal point de friction entre les deux. Le Fou ne veut que le bien pour Subtil, il ne veut pas que Subtil devienne un pion dans la lutte que se livrent Fitz et Royal. Il veut une fin digne pour le roi. Le Fou a aussi conscience que l’espérance de vie de Subtil est très limitée si Royal accède au pouvoir. Tout cela le pousse à avoir peur, le pousse dans ses retranchements.

L’amitié entre Fitz et le Fou est alors en grand péril. Le Fou, au pied du mur, exerce une forme de chantage : « je te promets que, si mon roi s’en va et que je ne suis pas avec lui, je révèlerai tous tes secrets. Tous sans exception ». Le Fou ne fait pas cela par gaieté de coeur, cela l’attriste. Il sait qu’il trahit potentiellement Fitz, il sait que ce qu’il fait est mal (« les larmes qui ruisselaient sur son visage étaient teintées de rose (…) incapable de supporter cette vision, je m’enfuis dans l’escalier »).

Malheureusement, Subtil meurt. Pour tous, c’est Fitz qui l’a tué. Tout concorde : il était là, il était là seul avec Subtil. Le Fou est accusateur : « tu l’as tué, tu l’as tué ! Tu as tué mon roi, traître immonde ». C’est la dernière fois que Fitz voit le Fou. Leur dernière rencontre est marquée par des accusations et des insultes.

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