Fitz et Oeil-de-Nuit sont liés par le Vif. Grâce à cette magie, ils partagent une connexion intense. Le loup n’a pas nécessairement besoin d’avoir d’autres relations dans sa vie, même si à un moment de sa vie il cherchera de s’intégrer à une meute. Pour Fitz, c’est plus complexe : il recherche la compagnie d’une femme, sa vie est traversée par la naissance et la mort d’amitiés.
Il ne s’agit pas d’avoir une communion totale, d’avoir deux esprits dans le même corps ; ils l’ont tenté et cela n’a pas fonctionné.
Oeil-de-Nuit était prêt à supporter ce fardeau à un moment de sa vie (la fin de la nef du crépuscule). Le loup a vu là son devoir, la nécessité de sauver son compagnon de lien de la torture de Royal. Quand Burrich a décidé qu’il était temps que Fitz regagne son corps, le loup n’a pas compris. Il a perçu cela comme une trahison. Accueillant Fitz, le loup a pu lui montrer la beauté de la chasse, la simplicité de la vie, surtout quand elle est loin des affaires humaines. La réintégration de Fitz dans son corps sonne comme une perte pour Oeil-de-Nuit : « un instant de vacillement d’équilibre entre deux mondes, deux réalités, deux choix. Puis un loup pivote d’un coup et s’enfuit (…) se sauve tout seul sur la neige ». On perçoit bien ce que ressent le loup : il est déçu, trahi, abandonné. C’est une réaction légitime d’un jeune loup.
Les rencontres avec Rolf le Noir vont tout changer. Dans un premier temps, ils ne le croisent que rapidement alors qu’ils s’en vont tuer Royal. C’est leur première réelle rencontre avec quelqu’un de puissant dans le Vif, d’un individu lié avec un prédateur (un ours) qui leur en apprend beaucoup sur la magie. Le loup comprend qu’il ne veut pas répéter ce qu’il a fait des années. Il ne veut plus accueillir Fitz en lui (« cesse, mon frère. Ne fais pas ça (…) Je t’aime, mais je ne souhaite pas être toi »). Il n’est donc pas question de remettre en cause la force de leur lien mais d’admettre que chacun a sa propre identité. Pour Fitz, c’est un refus douloureux qui met en plus en avant la faiblesse de son corps. Blessé, diminué, ayant faim, il côtoie un loup en pleine forme physique. Il se rend compte que « ses poumons puissants aspiraient l’air glacé de la nuit (…) ses pattes solides portaient sans mal son corps élancé ». D’une certaine façon, Fitz est envieux de la vitalité de son compagnon. Fusionner le loup est alors une solution de facilité.
Dans les Montagnes, la relation entre Fitz, le Fou et Oeil-de-Nuit va prendre une autre dimension. Le contexte favorise cela. Le groupe à la recherche de Vérité est aux abois : ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver en s’enfonçant dans les Montagnes et ils sont traqués par les troupes de Royal. Le temps est en plus rude et la chasse compliquée. Oeil-de-Nuit montre toute son utilité. Il ne se contente pas seulement de fournir de la viande mais aussi d’apporter une certaine satisfaction par de petits gestes. Il offre un peu de confort à un Fou frigorifié : « le grand loup se pressa encore davantage contre lui. J’ajoutai mes propres couvertes au celles du fou, puis m’allongeai à côté de lui ». Ce moment intime est la continuité de ce qui se passait à Jhaampe quelques temps auparavant alors que Fitz était en pleine convalescence.
Toute cette partie du récit permet aux trois de réellement se découvrir. Traverser des épreuves difficile semble être un bon moyen pour se rapprocher. Cela leur offre en tout cas l’opportunité de voir qu’ils comptent l’un pour l’autre. On en a la preuve quand Caudron tente de retrouver sa personnalité : à ce moment-là, Fitz et le Fou partagent un moment très intime (« j’étais le fou et le fou était moi. Il était le Catalyseur et moi aussi ; nous étions deux moitiés d’un tout, tranchées et réunies »).
Si on se place du point de vue du Fou, c’est un moment de contentement. Le prophète s’était vu comme un être à part, pas vraiment à sa place, pas vraiment accepté dans la cour de Castelcerf. Il n’était pas nécessairement compris, ou aimé. Fitz a bousculé ses certitudes mais le Fou a refusé d’admettre la nature des sentiments de Fitz. S’en rendre compte a été une réelle prise de conscience, presque une brusque réalité : « mais tu m’aimes vraiment ! Avant c’étaient des mots, et j’avais toujours peur qu’ils ne soient de pitié. Mais tu es véritablement mon ami. Je sais… je sens ce que tu ressens pour moi ». La plaisanterie est terminée : l’humour n’est plus employé pour montrer l’amour de Fitz, cela ne se finit plus avec le Fou qui montre ses fesses ou qui taquine Fitz ; non, c’est une certitude.
Le Fou a une autre révélation. Il comprend qu’Oeil-de-Nuit n’est pas qu’un simple loup, qu’un simple animal de compagnie. Il a sa propre personnalité, sa propre complexité. Les mots sont clairs : « Ça ? C’est Oeil-de-Nuit, ça ? Ce puissant guerrier, ce grand coeur ? »
Malheureusement, les événements les rattrapent. Cette complicité trouvée ne peut pas trouver. Vérité le dragon doit partir libérer les Six-Duchés des Pirates Rouges alors que la menace des troupes de Royal se rapproche. Et même si il décide rester avec Fitz et le loup dans un premier temps, il doit vite partir avec les dragons de pierre et d’Art. Mais, ce n’est pas un départ sans importance. Oeil-de-Nuit s’exprime avec passion en disant aux dragons de suivre le « Sans-Odeur ! C’est un puissant chasseur et il vous mènera en terrain giboyeux. Ecoutez le car il est de notre meute ». Les propos ne sont pas anodins. Avec Burrich (Coeur de la Meute), Kettricken (La grande louve) ou Astérie (la chienne qui hurle), rares sont ceux qui ont eu un surnom de la part d’Oeil-de-Nuit. Le loup met en plus en avant les qualités de chasseur du fou, ce qui pour lui est un énorme compliment. Enfin, il dit que le fou fait partie de la meute et la meute est un concept important pour le loup.
Des années plus tard, le bâtard et le loup se sont retirés. Ils vivent dans une sorte d’exil volontaire, coupés du monde. Ils aspirent à une tranquillité, à des plaisirs simples : chasser, élever Heur. Mais, le destin les rattrape. Des personnages qui apportent le changement viennent leur rendre visite : Umbre, Astérie et aussi le Fou. A l’arrivée de ce dernier, ils comprennent retrouver quelque chose qui leur a manqué sans qu’ils ne s’en rendent compte. Le loup résume bien la situation : « nous sommes un à nouveau ».
Les trois partagent alors quelques jours dans la maison de Fitz. Ils se racontent ce qu’ils ont fait ces dernières années. On sent une intimité naturelle. Tout est bousculé quand le loup manque de s’étouffer en avalant un poisson et que Fitz tente de le sauver. Il emploie le Vif et sans comprendre comment, il se retrouve prisonnier du corps du loup. Le corps de Fitz n’est plus qu’une coquille vide. C’est le lien d’Art avec le Fou (l’Argent au bout de ses doigts) qui permettra à Fitz de réintégrer son corps ; sans cela, la situation aurait été catastrophique. Oeil-de-Nuit, déjà bien fatigué, explique qu’ « il nous a évté une existence qui nous aurait anéantis tous les deux ». On sent bien que l’idée de partager son corps avec Fitz terrifie Oeil-de-Nuit (« le loup n’avait pas ouvert les yeux, mais pensée brûlait de passion ».
Dès lors, la relation entre les deux compagnons change. On en a la preuve quand Fitz n’emmène pas le loup alors qu’il se rend à Castelcerf. Il pense sans doute que son vieil ami n’en est plus capable, que ce dernier voyage signifiera sa mort.
Oeil-de-Nuit vit cela comme une petite mort. Il se sent inutile. Il a l’impression que Fitz ne le considère plus comme un être vigoureux et qu’il l’a déjà enterré. Il s’en ouvre dans un cri de désespoir : « Petit frère, ne me traite pas comme si j’étais déjà mort ou agonisant (…) Tu voles le maintenant de ma vie quand tu crains que je disparaisse demain ». Fitz se rend compte qu’il est responsable de l’affaiblissement de leur lien, de la dégradation de leur relation. Il pense que « cette muraille avait laissé filtrer assez de mes émotions pour lui faire mal comme si j’étais sur le point de l’abandonner, et mon lent éloignement par rapport à lui correspondait à ma résignation de plus en plus ancrée à l’idée de sa mortalité ».
Est-ce que ça veut dire que les deux ne s’aiment plus ? Pas du tout. Quand il finit par rejoindre Fitz, le loup offre une réponse claire qui montre tout son attachement (« vous suivez des traces et vous avancez lentement pour ne pas les perdre ; moi, j’ai suivi mon coeur. Votre chemin vous faisait contourner les collines, le mien m’a conduit droit vers toi »). Autrement dit, la force du lien de Vif anime toujours autant Oeil-de-Nuit.
Lors de la recherche du prince disparu, Devoir, un autre événement est à deux doigts de remettre en cause toute leur relation. Fitz est possédé apr sa violence, sa colère, il ne se maîtrise plus et est à la limite de tuer un otage. Ceux qui sont là (le Fou et Laurier) sont impuissants, incapables de calmer Fitz. Même le loup est interloqué : « Changeur, hier soir, tu nous as menés trop près d’un lieu très dangereux. Nous n’étions ni l’un ni l’autre en mesure de savoir vraiment ce que tu allais faire ».
Fitz assimile ce nouvel avertissement et décide de faire confiance aux talents de chasseur du loup. Il relâche le prisonnier et renoue avec Oeil-de-Nuit. Cependant, la situation reste périlleuse. Ceux qui ont capturé (les Pie) Devoir sont des adversaires redoutables. Ils poussent Fitz et les autres dans leurs derniers retranchements. Fitz est confronté à un choix impossible à résoudre : fuir à travers un pilier d’Art avec Devoir et abandonner le Fou et Oeil-de-Nuit ou rester avec eux et combattre. Il ne sait pas quoi décider, c’est le loup qui fera ce choix. Oeil-de-Nuit se projette vers le futur : « la meute ne meurt pas si le louveteau survit. Sois un loup, mon frère. Tout est plus limpide ainsi (…) Vis bien pour nous deux et, un jour, raconte à Ortie des histoires sur moi ». Le concept de meute revient à nouveau dans la gueule du loup. On sent bien qu’il considère que les petits de Fitz sont aussi les siens.
Vient alors le moment de la mort d’Oeil-de-Nuit, une scène qui parait si réelle alors qu’elle n’est qu’un rêve. Quand le loup dit « t’attendre ? Sûrement pas ? J’ai toujours dû te devancer pour montrer le chemin », on comprend qu’il s’est toujours considéré comme le grand frère, pas nécessairement le chef, mais le grand frère. Le loup meurt donc, Fitz perd son meilleur compagnon (« ma bouche était pleine d’onguent et de poils du loup, et mes doigts étaient enfoncés dans sa fourrure (…) Oeil-de-Nuit était mort »). On comprend qu’ils dormaient collés l’un à l’autre quand cela est arrivé. Fitz a pu étreindre une dernière fois son compagnon et partager avec lui un moment très intense.
Bien plus tard, dans la série du Fou et de l’assassin, une sorte de suvenir du loup apparait : c’est Coeur de Loup. Abeille et Fitz sont capables de converser avec lui. Dans le Destin de l’assassin, Fitz s’interroge sur la nature de cette apparition : « Oeil-de-Nuit, qu’es tu ? (…) Un fantôme réfugié en moi ? Un mélange de mes souvenirs et de ce que je pense que tu dirais ? » En réalité, peu importe la nature du loup. Ce qui compte sont ses actes : il est celui qui a permis à Abeille de tenir alors qu’elle était aux mains des envahisseurs, il est celui qui guide Fitz vers la carrière. Le loup sait que c’est la chose à faire, que c’est la seule façon pour lui d’être uni à Fitz pour l’éternité. Fitz se lance donc cette immense tâche sans pouvoir la mener à bien : il n’a pas assez de quoi en lui pour bâtir un dragon de pierre et d’Art. Ce n’est pas si inattendu puisque Vérité a eu besoin de Caudron et de Fitz pour bâtir le sien. Une solution émerge alors : le Fou. Oeil-de-Nuit sait que c’est une bonne solution, que le Fou est la réponse. Le Fou les complète. Fitz, lui, hésite : « ce n’est pas le genre de chose qu’on demande à un ami ; il ne l’a pas proposé et je ne lui demanderai pas. Je refuse de le soumettre à un choix aussi déchirant ».
Le Fou serait prêt à se donner mais il ne veut pas forcer Fitz. En lisant les écrits d’Abeille, il est arrivé à la conclusion que Fitz lui en veut. Le Fou a la conviction d’avoir perverti leur amitié, que Fitz lui en veut de l’avoir utilisé. Comment dénouer tout ça ? Abeille entre en scène, elle tente de réparer son erreur en hurlant que « j’ai menti pour te faire souffrir, parce que tu l’as laissé mourrir alors que tu restais vivant, parce qu’il t’aimait plus qu’il ne m’aimait, moi ! Il t’aimait plus qu’il n’a jamais aimé aucun d’entre nous ! » Il est difficile de savoir où est la vérité, si Fitz a plus aimé le Fou que Molly ou Abeille et Ortie. En tout les cas, Abeille est prête à mentir pour que le Fou rejoigne Fitz et Coeur de Loup.
Finalement, quand le Loup du Ponant se réveille, on comprend que la personnalité dominante est celle du loup. Il va directement chasser, il regarde les gens présents comme le faisait Oeil-de-Nuit. Le Loup dit que « tes mensonges étaient extraordinaires, louveteau, et le dernier était le plus inspiré. Tu partages ce talent avec ton père (…) Je dois aller chasser ». Fitz, Oeil-de-Nuit et le Fou ne font plus qu’un.
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