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dimanche 26 juillet 2020

Homosexualité, sentiments amoureux et relations dans le Royaume des Anciens

Les aventures des Royaumes des Anciens sont avant tout des histoires d’amour qui façonnent le monde. C’est parce que Kettricken aime Vérité qu’elle traverse les Montagnes pour le retrouver et qu’elle permet aux Dragons de Pierre de revenir. C’est parce qu’Oeil-de-Nuit aime Fitz qu’il va et vient avec lui dans toutes ses péripéties, alors qu’il pourrait vivre sa vie dans une meute de loups. C’est l’amour de Reyn pour Malta qui façonne un certain nombre de ses actes envers Tintaglia le Dragon. C’est l’amour paternel de Fitz qui le fait traverser le monde pour retrouver Abeille.
L’amour dans les Royaumes des Anciens n’est pas simplement entre homme et femme, il n’est pas toujours exprimé ou vécu. Des hommes et des femmes aiment leurs compagnons de Vif, Célérité se résigne.

Fitz est un parfait exemple de la complexité de l’amour. Il a aimé, il a été aimé, il a eu du mal à comprendre ce qu’est l’amour. Il a parfois restreint l’amour à la sexualité ou au désir. Il a eu son lot de femmes (Astérie, Jinna, Molly), et pourtant une histoire éclipse toutes les autres. C’est celle qui le lie au Fou, une histoire avec son lot d’embûches, d’incompréhensions et de préjugés puisque Fitz est persuadé que le Fou est un homme et ça le bloquera un long moment pour vivre ses sentiments. C’est seulement à la fin de son épopée qu’il admettra pleinement ce qu’il ressent pour le Fou, il lui tendra la main et les deux finiront, ensemble, dans le Loup du Ponant.

Althéa avait qualifié le Royaume des Six-Duchés de barbares. La Femme Pâle moquait leur tolérance au Vif, le fait qu’ils vivaient en promiscuité très rapprochée avec des bêtes entre les jambes. C’est un pays en guerre qui compte beaucoup sur ses soldats, les pratiques de loisirs sont très virils et il y a nécessairement des préjugés sur l’homosexualité. S’ils ne sont pas aussi dangereux que ceux liés au Vif (on peut finir découpé ou pendu pour usage de cette magie), ils sont néanmoins présents. Les insultes fusent et peuvent être blessantes, elles ne sont pas que l’apanage des couches basses de la société. C’est par exemple Galen, le Maître d’Art du Château, qui s’interroge sur la relation particulière entre Fitz et Burrich : “es-tu son giton pour qu’il te laisse ainsi puiser dans son énergie ? Est ce pour cela qu’il se montre si jaloux de toi ?”. Il faut préciser qu’un gition est un prostitué homosexuel.
Bien plus tard, c’est une autre relation qui perturbera Rastaud (un garde). A ce moment du récit, Fitz et le Fou sont Sire Doré et Tom Blaireau, le maître et son garde. Les origines de Sire Doré (Jamaillia) alimentent des rumeurs. On spécule sur sa richesse, on spécule aussi sur ses moeurs sexuelles. Et quand Tom Blaireau décide d’asseoir son personnage de garde, il soulève des mécontentements et attire des remarques moqueuses. Ainsi, on lui fait comprendre que les bains, “c’est réservé aux gardes ; on n’accepte ni les pages, ni les laquais, ni les serviteurs spéciaux”. L’intonation bien présente ne laisse aucun doute quant à  la réelle teneur des propos.

Astérie est une observatrice privilégiée de ce qui se passe entre le Fou et Fitz. Elle était là quand ils ont exploré leur lien lors de la recherche de Vérité, elle a suspecté le Fou d’être une femme et d’aimer Fitz. Elle en a même été jalouse, elle aimait peut-être Fitz, en tout cas elle le désirait. Elle a fini par arriver à ses fins mais malheureusement pour elle, Fitz apprendra plus tard qu’elle est mariée et mettra fin à leur histoire. Fitz a une éthique très stricte sur ses sujets, il faut dire que celui qui l’a élevé (Burrich) lui a énormément parlé d’honneur et de respect. Il peut être très obtu. Les deux sont alors en froid, se lançant à la face des propos plus méchants les uns que les autres. Astérie, pour le vexer, le rabaisser, en viendra à douter de ses préférences sexuelles (“peut-être que le fou était bel et bien un homme finalement, et que tu es simplement revenu à tes penchants véritables”).

La question du genre du Fou (homme ou femme) a soulevé beaucoup de questions. Tout le monde s’interroge, peu de gens l’acceptent avec ce qu’il consent à donner (Jofron et Garetha font partie de ces individus). Et comme il aime changer d’identités, brouiller les pistes, avoir des attitudes ambiguës, cela ne peut que développer de la suspicion. 
Un Civil vexé qu’il ait pu soudoyer Sydel en viendra aux mains avec lui lors du roman L’homme noir. Le contentieux est profond entre eux deux et il ne fait que se renforcer quand Civil surprend le jeune Leste avec Sire Doré. Il met le jeune homme en garde, prend les présents à témoin. Il faut faire attention à Sire Doré (“si on le laisse évoluer naturellement sans lui installer d’appétits dévoyés”). C’est une étroitesse d’esprit surprenante pour quelqu’un qui a partagé son âme et son coeur avec un animal de Vif, c’est surtout la preuve que les préjugés sexuels sont bien répandus dans le Royaume.
Quelques semaines avant, le bancal clan d’Art de Devoir (Fitz, Umbre, Lourd, Le Fou) a une session assez intense. Lourd se rend compte à quel point Fitz et le Fou s’aiment, à quel point ils sont liés. Il leur jette un “regard curieusement évaluateur” qui dérange Fitz. Le bâtard royal a réellement du mal à montrer à d’autres ce que le Fou est pour lui, il le cache, en a presque honte.

C’est un fait qui existe depuis longtemps et qui a été évoqué une première fois dans le roman la Reine solitaire. Quand Astérie pousse Fitz dans ses retranchements et le force à exprimer ce que le Fou est pour lui, ce dernier profite de l’occasion pour titiller son ami. Mais, Fitz prend les choses au premier degré. Il ne veut pas laisser de place au doute quant à sa sexualité et ses préférences amoureuses, le Fou est un ami et rien de plus (“tu sais bien que j’aime dis-je à contrecoeur (...) Mais je t’aime comme un homme en aime un autre”). Plusieurs fois, on comprendra que pour Fitz l’acte physique est un acte d’amour. Coucher avec quelqu’un, l’embrasser veut dire qu’on est amoureux et il ne peut aimer que des femmes. C’est pour ça que dans le même roman il est choqué de la façon dont le Fou lui fait ses adieux (“il m’étreignit presque convulsivement puis, à mon grand désarroi, me baisa la bouche”).
Et c’est ce qui créera l’énorme dispute entre Tom Blaireau et Sire Doré. C’est Jek (une amie de Sire Doré du temps où il était Ambre) qui déclenche tout ça lors de sa visite. Sa langue fourche et elle suppose, devant Fitz, que le Fou et lui sont amants. Fitz étant Fitz, il est catastrophé. Il est incapable de laisser couler et doit confronter son ami. Le Fou reste fidèle à ce qu’il lui a toujours dit (“tu cherches un faux réconfort en exigeant de moi que je me définisse par des mots. Les mots ne contiennent ni ne définissent personne. Un coeur en est capable, s’il le veut ; mais je crois que le tien n’y soit pas prêt”). Mais, Fiz est têtu, il reste sur sa position et ne varie pas, il ramène l’amour au sexe. Les propos qu’il tient sont alors durs, blessants pour le Fou. Ils sont comme une claque (“jamais je ne pourrais te désirer comme compagnon de lit. Jamais”).
Le sexe semble être la dernière frontière entre les deux. Ils sont fusionnels sur les autres points, partagent leurs histoires respectives, tiennent l’un à l’autre. Les autres sont témoins. C’est le cas de Civil qui voit que Fitz est prêt à prendre les coups qui sont destinés à Sire Doré : “vous prétendez qu’il n’est pas votre amant, mais il est prêt à se battre à votre place”. D’une façon ou d’une autre, tout le monde a conscience que Fitz et le Fou ont une relation hors normes. Sauf Fitz (à ce moment de l’histoire).

Leurs adieux sont conformes à tout ce qui s’est passé. Dans le roman Adieux et retrouvailles, Fitz ramène le Fou à la vie. Ils ont réussi faire revenir Glasfeu et le Fou a conscience qu’il a terminé son oeuvre. Il doit donc partir, et laisser Fitz avec son bonheur (et ses malheurs) : Molly, Ortie, les affaires royales. Leurs adieux sont gâchés, incomplets. Fitz ne fait pas que se perdre dans les Pierres d’Art (il s’en servait pour voyager entre Castelcerf et Alsevjal), il porte un dernier coup fatal au Fou. Il insiste, il persévère dans la mauvaise direction en demandant au Fou si “tu refuses de revenir à Castelcerf parce que je ne veux pas coucher avec toi ?” Le Fou lui répond que l’amour peut prendre différentes formes, qu’il ne lui demanderait jamais des choses qui le mettraient mal à l’aise.

Une relation homosexuelle est clairement développée dans les romans des Cités des Anciens. C’est celle entre Sédric et Hest. Amis, ils sont devenus amants et ont continué à l’être quand Hest a épousé Alise. Il a choisi d’épouser la fille Marchande pour devancer son frère dans la course à l’héritage familiale. Car, Hest veut être riche et c’est un des premiers points de divergence avec Sédric, en tout cas au début. Sédric est clairement amoureux. Certes, Hest le punit en l’envoyant en tant qu’homme à tout faire à Alise (elle accompagne les gardiens et les dragons à la recherche d’un nouveau nid douillet). Mais, c’est aussi pour lui une façon d’acquérir de la richesse, pas pour gagner de l’argent, mais pour acquérir son indépendance. Même si Alise est son amie, il veut toujours vivre avec Hest, quitte à s’en aller de chez eux (“il existait des havres où deux hommes pouvaient vivre comme ils l’entendaient, sans questions, sans condamnation ni scandale”).
Parmi les gardiens, l’homosexualité n’est pas un souci. Ceci dit, a-t-on réellement le temps de s’interroger sur les préférences sexuelles des compagnons quand on a la charge de dragons ? 
Alise lui affirme que tout le monde va connaître son secret, ici à Kelsingra et sa famille. Sédric s’en moque, il n’a pas honte de ce qu’il est (“qui je suis ce que je suis” (...) “ça, je ne m’en excuserai jamais”). C’est pour ça qu’il n’a pas peur de confronter Hest et d’exposer son secret à tous (“j’ai partagé ta couche des années avant que tu prennes Alise pour femme (...) Dans notre cercle, tous savaient que tu dédaignais la compagnie des femmes pour celle des hommes”).
Des années plus tard, l’homosexualité ne semble plus du tout être taboue à Kelsingra. Nous en sommes témoins dans le roman Sur les rives de l’Art. Fitz et quelques uns de ses amis y font étape lors de leur recherche d’Abeille. Ils y rencontrent des Anciens, dont Sédric en couple avec Carson, et leur fille (Jerd “avait donné le jour à une petite fille que j’avais guérie, mais, curieusement, c’était un Ancien du nom de Sédric qui élevait l’enfant avec Carson”).

Enfin, les moeurs sexuelles semblent être moins guindées à Terrilville ou chez les Anciens que dans les Six-Duchés. La sexualité parait être plus libérée (Jek en est un bon exemple). Brashen se fait aborder (“j’ai déjà dit clairement à plusieurs membres d’équipage que je n’avais aucune attirance pour les autres hommes”).

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